« I can imagine what you might be thinking of me. » ANNIE WILKES

En 1987, Rob Reiner fonde Castle Rock Entertainment, une société de production dont le nom rend hommage à la ville fictive emblématique de l'univers de Stephen King, utilisée dans plusieurs de ses romans. Cette entreprise reflète l’ambition de Rob Reiner de produire des œuvres marquantes, mélangeant qualité narrative et attrait commercial. Peu après sa création, Castle Rock se lance dans l’acquisition de droits d’adaptation, et Misery, roman à succès publié par Stephen King la même année, devient l’un de leurs premiers grands projets.

Rob Reiner, bien que séduit par le potentiel narratif du roman, n'est initialement pas convaincu de vouloir réaliser un film appartenant au genre horrifique, qu'il ne considère pas comme sa spécialité. Souhaitant néanmoins garantir une adaptation fidèle et percutante du roman de Stephen King, il s'entoure de talents réputés. Il fait appel au scénariste William Goldman, auteur ayant déjà signé plusieurs chefs-d'œuvre cinématographiques (et avec qui il a déjà travaillé sur The Princess Bride). Rob Reiner envisage également de confier la réalisation à George Roy Hill.

Pour donner plus de profondeur et de réalisme au personnage principal de Annie Wilkes, le scénariste William Goldman s’appuie sur des faits divers glaçants pour façonner cette figure inoubliable d'antagoniste. Il puise notamment dans les histoires de deux criminelles américaines notoires. La première, Janine Jones, était une infirmière reconnue coupable d’avoir tué plusieurs enfants sous sa garde dans les années 1980, exploitant la confiance liée à son rôle pour perpétrer des crimes effroyables. La seconde, Diane Downs, avait choqué le pays en 1983 en tentant de tuer ses propres enfants, prétendant ensuite qu’ils avaient été attaqués par un inconnu. Ces influences donnent à Annie Wilkes une dimension troublante, mêlant une façade d’apparente douceur à une capacité terrifiante de violence.

Ces références ancrent le personnage dans une réalité psychologique et criminelle tangible, rendant son comportement encore plus effrayant et crédible. À travers elles, William Goldman explore les thèmes de la manipulation, de la folie, et de la dualité entre l'apparence et la monstruosité. Annie Wilkes devient ainsi plus qu'une simple fan obsessionnelle : elle incarne une combinaison terrifiante d’instinct maternel dévoyé et de contrôle destructeur, inspirée par ces figures réelles dont les crimes ont marqué les esprits.

La profondeur psychologique qu’apporte William Goldman au personnage de Annie Wilkes convainc Rob Reiner de s’investir pleinement dans le projet et de reprendre le rôle de réalisateur initialement confié à George Roy Hill. Impressionné par la richesse émotionnelle et la tension que le scénario promet de développer, il se rend compte que ce film peut devenir bien plus qu’une simple adaptation horrifique. Cette adaptation marque alors la deuxième collaboration de Rob Reiner avec l’univers de Stephen King, après le succès critique et commercial de The Body.

Misery sort dans les salles françaises au début de l’année 1991, quelques mois après sa sortie aux États-Unis en novembre 1990.

Le film explore avec brio les thèmes centraux de Stephen King, notamment la fascination dévorante et parfois toxique qui peut exister entre un auteur et son public. Ce rapport est incarné dans la relation troublante entre Paul Sheldon, un écrivain désireux de s’émanciper de son œuvre populaire, et Annie Wilkes, une iratrice obsessionnelle incapable d’accepter ce changement. King a souvent évoqué que le roman, au-delà de cette thématique, était une métaphore de sa propre lutte contre la dépendance aux drogues, Annie symbolisant l'addiction qui le retient prisonnier et menace de le détruire. De son côté, William Goldman, scénariste du film et lui-même écrivain, apporte une sensibilité particulière à cette dynamique, ayant sans doute expérimenté les attentes et pressions exercées sur un créateur par son public. Ce double regard, celui de King et de Goldman, enrichit le récit en lui donnant une résonance universelle sur les sacrifices, la créativité et les pièges de la célébrité.

Là où le film se distingue, c’est sur sa capacité à immerger le spectateur dans une atmosphère oppressante et tendue, où chaque détail amplifie le sentiment de menace. Rob Reiner démontre une maîtrise exceptionnelle du suspense en jouant sur les silences angoissants, les regards menaçants et les dialogues chargés d’une tension sous-jacente. La mise en scène resserrée, concentrée sur les espaces clos de la maison d’Annie Wilkes, intensifie le sentiment d’emprisonnement vécu par le protagoniste, Paul Sheldon, tout en plongeant le spectateur dans une sorte de huis clos psychologique étouffant. La musique subtile de Marc Shaiman, collaborateur de Rob Reiner sur When Harry Met Sally, agit en toile de fond pour renforcer cette oppression, avec des compositions discrètes mais efficaces qui soulignent l’incertitude constante et l’imminence de la violence. L’ensemble crée une expérience immersive, où chaque geste et chaque mot semblent porter une menace latente, tenant le spectateur en haleine jusqu’à la fin.

James Caan livre une prestation remarquable, incarnant Paul Sheldon, l’écrivain captif de l’obsessionnelle Annie Wilkes. L'acteur apporte une profondeur émotionnelle impressionnante à son personnage, oscillant entre la vulnérabilité et la résilience. Caan réussit à capturer avec finesse l'angoisse croissante de son personnage tout en préservant une certaine dignité et une humanité poignante. Son jeu sobre et subtil contraste avec l’intensité de sa partenaire, créant ainsi un équilibre saisissant entre la terreur de son emprisonnement et sa détermination à survivre. Les scènes où Paul tente de manipuler Annie ou de négocier son évasion sont particulièrement marquantes, montrant l’évolution de son personnage, d’un simple écrivain à un homme forcé de jouer une partie de stratégie mentale pour préserver sa vie. La prestation de James Caan est essentielle pour ancrer le film dans un réalisme émotionnel, rendant l’horreur psychologique encore plus tangible et immersive.

Kathy Bates livre une prestation absolument bluffante dans le rôle d'Annie Wilkes, un personnage complexe et effrayant qui marque les esprits par sa psyché profondément perturbée. L'actrice, avec une précision diabolique, parvient à incarner une femme à la fois douce et terrifiante, oscillant sans cesse entre des moments de tendresse maternelle et des accès de violence extrême. Son jeu est empreint de nuances, rendant Annie imprévisible et donc d’autant plus menaçante. Bates joue habilement avec cette dualité, ant d’une gentillesse presque enfantine à une colère furieuse avec une fluidité qui déstabilise à chaque scène. Ce mélange de douceur et de danger est l’un des aspects les plus fascinants de sa performance, et il capte totalement l’attention du spectateur.

Annie Wilkes est une figure lunatique et changeante, et Bates l’interprète avec une intensité glaçante. Elle incarne parfaitement cette folie qui se cache derrière une façade apparemment normale, mais aussi cette forme de déconnexion de la réalité. L’influence de figures criminelles réelles, comme Janine Jones et Diane Downs, est évidente dans l’interprétation de Bates, qui retranscrit une forme de dépendance affective extrême, mais aussi une folie qui se manifeste par des actes de violence gratuits et inexpliqués. L’isolement d'Annie, sa vie solitaire dans une maison isolée avec sa cochonne, accentue son caractère étrange et sa rupture avec la norme sociale. Elle est un être profondément perturbé, guidée par une logique tordue et une obsession dangereuse, qui la rendent imprévisible et extrêmement menaçante pour Paul Sheldon.

La scène de la découverte de l’album souvenir d’Annie est l’un des moments les plus choquants du film et il devient un véritable tournant dans le récit. En feuilletant l’album, Paul (et le spectateur) prend conscience de l’ampleur de la folie d’Annie, qui conserve des souvenirs macabres de ses actes és, y compris des coupures de presse relatant ses meurtres. Ce moment est déstabilisant, car il dévoile une autre facette du personnage : l’adoration fanatique qu’Annie porte à Paul, mais aussi sa capacité à commettre des actes monstrueux sous le couvert de sa bienveillance apparente.

L’incroyable performance de Kathy Bates dans ce rôle iconique lui vaudra bien évidemment l’Oscar de la meilleure actrice en 1991. Elle parvient à rendre Annie Wilkes totalement inoubliable, une figure de terreur psychologique dont l’ambivalence morale et la dangerosité trouvent leur expression dans chaque mouvement, chaque regard, chaque parole.

Misery se distingue comme un thriller psychologique captivant, brillant non seulement par sa mise en scène maîtrisée, mais surtout par les performances exceptionnelles de ses acteurs. Kathy Bates, dans son rôle d'Annie Wilkes, livre une prestation d'une intensité inouïe, incarnant une figure à la fois terrifiante et fascinante, et s’impose comme l'une des plus grandes antagonistes du cinéma. James Caan, quant à lui, complète parfaitement ce duo en apportant une profondeur et une humanité nécessaires à son personnage de Paul Sheldon. La combinaison de la tension palpable, du suspense oppressant et de l'exploration complexe des thèmes de l’obsession et de l’isolement, en fait un film marquant, qui réussit à mélanger l'horreur psychologique avec une réflexion plus profonde sur les relations entre créateurs et leur public.

8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 1991

Créée

le 28 nov. 2024

Critique lue 33 fois

Steven Benard

Écrit par

Critique lue 33 fois

D'autres avis sur Misery

La colère de Caan

Comme beaucoup de monde le sait, Le film Misery est l'adaptation du roman portant le même nom écrit par Stephen king 3 ans auparavant . Misery se présente comme un huit-clos immersif porté...

Par

le 1 sept. 2013

45 j'aime

2

The Fan

Stephen King est un auteur prolifique. Avec plus de 50 romans à son actif, les œuvres de King sont un vivier pour le cinéma. De grands réalisateurs ont adapté ces romans, dont Stanley Kubrick...

le 26 mars 2016

43 j'aime

1

Je suis votre plus fervente iratrice !

Après avoir charmé tout un public cinématographique avec son film romantique Quand Harry rencontre Sally, le réalisateur Bob Reiner s’attaque à l’adaptation d’un roman écrit par l’écrivain populaire...

Par

le 11 sept. 2019

40 j'aime

8

Du même critique

Marvel’s Spider-Man 2
10

« Spider-Man didn’t save me back there, Miles did. » PETER PARKER

En 2023, cinq ans après Spider-Man et trois petites années après Spider-Man : Miles Morales, les hommes araignées reviennent dans une suite directe aux aventures des deux super-héros. Le studio...

le 4 janv. 2024

2 j'aime

« Si tu veux un conseil, n’utilise pas toute ta force… » SANGOKU

Comme la majorité des jeunes français, j’ai connu Dragon Ball le 02 mars 1988 sur TF1, dans le Club Dorothée. J’étais loin de me douter que ce dessin animé était l’adaptation d’une bande dessinée,...

le 18 oct. 2022

2 j'aime

3