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Documentaire de Chantal Akerman (1976)

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Ta maman qui t'aime.

Chantal Akerman regarde New-York, et elle entend la voix de sa mère. Elle filme la ville, et lit les lettres que sa mère lui a envoyé durant tout son séjour. Elle est partie d'Europe à l'aube, sans un mot, sans un bruit, sur la pointe des pieds. Elle n'a rien dit, elle a traversé l'Atlantique. Cette dérobade, sa mère lui reproche. On le sent dans ses mots, qui ne parlent de rien sinon de cette absence, de ce vide. Entre les images et les lettres lues, il y a un océan et un monde qui les sépare. Pour ne pas être seule, sa mère écrit. Pour être seule, enfin, Akerman filme sa fuite, l'espace jusqu'où elle a couru. C'est fixe, et ça panote parfois. Des gens ent et regardent, et s'interrogent, et marchent toujours. On voit New-York en surface, son image, et on entend l'Europe, son intimité, la famille, l'abcès à la gorge du père, la douleur de sa mère.
Akerman filme cette bizarrerie, cet entre-deux. Akerman fait un film pour se sentir quelque part. On lui dit : reviens, tu me manques, écris-moi vite, ta maman qui t'aime. Un peu touchante, un peu agaçante, un peu plaintive. Répétitif, monocorde, la plus plate possible : elle lit ces lettres et ne souligne rien, laisse ouverte l'approche du visage de sa mère qui écrit. Car c'est New-York qu'elle veut filmer, et c'est l'Europe qui habite ses pensées. Là, quelque chose se joue. Il y a une histoire de famille, comme une lutte qui s'installe entre la mère et la fille. L'une semble étouffer l'autre, il y a comme une bagarre pour exister et pour chercher sa solitude (ou la combler) - on sent la fuite, on sent l'ailleurs, on sent la difficulté à l'assumer, aussi, et de lire chaque jour que quitter sa famille n'est pas sain. On comprend le désir de fuir, et de partir, de respirer d'autres airs. De dresser des espaces, de voir. C'est un acte de dissidence, de recherche, de cinéma. Je m'en vais, dit-elle, je vous aime mais je m'en vais, comme une ombre aspirée par la nuit new-yorkaise.
Akerman fait un film sur sa mère. Elle ne lit pas ses propres lettres, l'image suffit à lui répondre. L'une écrit, l'autre regarde. Dans l'opacité de l'image, elle capte la distance qui se creuse. Et se réduit : à la fin, on quitte New-York et on s'imagine Akerman et sa mère s'enlacer alors. Je vois la mère pleurer et étrangler sa fille de ses caresses. Je vois la fille regarder discrètement par la fenêtre, et vouloir déjà repartir à l'aventure, traverser d'autres océans, caméra à la main. Le cinéma comme lieu d'échappée, lieu d'escale.
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le 11 févr. 2015

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B-Lyndon

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