Tuer pour survivre : quand le polar prend racine dans la corruption

Avec On the Job (2013), le réalisateur philippin Erik Matti signe un thriller à la fois tendu, stylisé et profondément ancré dans les réalités sociales de son pays. Si je lui ai mis 8/10, c’est parce que le film réussit à conjuguer divertissement et dénonciation sans jamais sacrifier l’un à l’autre. C’est un polar rugueux, imparfait, mais qui ne laisse pas indifférent.


Le pitch a de quoi intriguer : des prisonniers temporairement libérés pour exécuter des meurtres commandités par des figures politiques. Ce scénario, aussi glaçant qu’invraisemblable, est pourtant inspiré de faits réels aux Philippines. Et c’est là que le film frappe fort : il s’appuie sur une réalité sociale tordue pour construire une fiction noire, implacable.


Le système judiciaire corrompu, les politiciens véreux, la police aux ordres... tout cela n’est pas seulement une toile de fond. C’est le cœur du film. Chaque scène semble suinter la tension entre fatalisme et résistance, entre survie et compromission.


La narration repose sur deux arcs parallèles. D’un côté, un duo de tueurs : Tatang, vétéran expérimenté, et Daniel, son jeune protégé. De l’autre, Francis, un enquêteur ambitieux bien décidé à faire éclater la vérité.


Le film joue habilement sur ce contraste, mais il faut reconnaître que le binôme des tueurs crève davantage l’écran. Plus complexes, plus ambigus, ils portent la dimension humaine du film avec une intensité rare. Le personnage de Francis, lui, souffre parfois d’un traitement plus classique — sans être inintéressant pour autant.


L’esthétique du film mérite aussi d’être saluée. La caméra d’Erik Matti colle aux bas-fonds de Manille, capte l’agitation urbaine, les regards fuyants, la violence tapie à chaque coin de rue. Le film est nerveux, brutal, mais jamais gratuit. Les scènes d’action sont percutantes, tendues, toujours au service de la tension dramatique.


La musique et le montage contribuent à cette atmosphère suffocante, même si quelques transitions peuvent sembler abruptes. Mais dans l’ensemble, le rythme tient en haleine.


Côté casting, Joel Torre (Tatang) livre une performance mémorable : froide, mais teintée d’une humanité inattendue. Piolo Pascual, dans le rôle de l’enquêteur, s’en sort très bien, même s’il est un peu éclipsé par la puissance du duo criminel.


L’une des grandes forces du film, c’est justement de ne jamais juger ses personnages. Tous sont pris dans une mécanique infernale, et chacun tente d’y survivre avec ses propres armes. C’est cette lucidité morale qui rend On the Job si percutant.


On the Job ne révolutionne pas le genre, mais il en repousse les limites en injectant une profondeur sociale et politique rare. Quelques déséquilibres narratifs l’empêchent d’atteindre l’excellence, mais son efficacité, sa tension constante et son propos engagé en font un film à ne pas manquer.


À la fois thriller haletant et miroir d’un système gangréné, c’est un film qui dérange, questionne, et reste en tête bien après le générique.

8
Écrit par

Créée

le 30 avr. 2025

Critique lue 5 fois

1 j'aime

CriticMaster

Écrit par

Critique lue 5 fois

1

D'autres avis sur On the Job

Abgoisse à tous les étages

Le polar d'Erik Matti, cinéaste philippin surdoué, n'a rien à envier à la concurrence coréenne ou japonaise. S'inspirant de faits réels, On the Job tisse une véritable toile entre des tueurs au sang...

le 28 mai 2018

Du même critique

L’obsession sous perfusion

Note : 6/10Pour son premier long-métrage, Brandon Cronenberg livre avec Antiviral une dystopie clinique fascinante mais inégale. L’idée – vendre au public les maladies de célébrités comme objets de...

le 19 mai 2025

1 j'aime

Étincelles sans feu : un voyage fascinant qui manque de brasier

"Spark: A Burning Man Story", réalisé par Steve Brown et Jesse Deeter, nous emmène au cœur du désert de Black Rock, à la rencontre d’un événement hors normes, où l’art, l’utopie communautaire et...

le 19 mai 2025

1 j'aime

“Elysium” ou l’utopie en panne : quand le fond dée la forme

Note personnelle : 6.5/10Elysium est un film de science-fiction engagé, qui tente de mêler action, réflexion sociale et esthétique futuriste. L’idée de départ est forte, la critique du monde actuel...

le 19 mai 2025

1 j'aime

2