Dead Men

Cette entité n’est pas un film. Ou ne l’est plus.
Peut-être, initialement, aux prémices et frémissements de l’idée créatrice, l’était-il.
Puis il grandit, mûrit, fit son chemin dans le cœur de l’artiste.

C’est aujourd’hui une œuvre d’art, au plus pur sens du terme. En tant que telle, elle n’a pour seul sens que son existence. Vaine prospection que celle du pourquoi. Si clins d’œil – parfois grossiers – et références artistiques émaillent la pellicule, il ne faut y voir que l’expression du vécu de son créateur qui, comme il est acquis, n’est que la somme de ses influences.
L’œuvre est d’envergure et mérite que l’on s’y attarde. La particularité de son format fait que ce choix n’en est pas un. Le rythme est imposé, lent, contemplatif. Condamné à observer, à s’observer, yeux écarquillés et pupilles dilatées, tels ces vampires aux cernes fatiguées.

Jarmusch prophétise l’errance, désincarne les sens.
Le canevas est usé, fatigué par des années d’exploitation outrancière. Le maître d’œuvre le sait mais survole prétentieusement l’obstacle, tordant sauvagement le cou aux préjugés qui saliraient son rejeton tout en assimilant goulûment ceux qui le servent.
Ne subsiste alors que mélancolie poétique et beauté salvatrice.
Que le regard s’attarde ou se perde en arrière plan,
Que la pensée s’affole ou s’indigne,
Que les sens s’effacent ou s’engourdissent,
Toujours subsiste la parfaite harmonie d’un TOUT monomaniaque ou nulle saillie n’est offerte au hasard.
Une couleur déplacée. Un tintement syncopé. Une lueur cristallisée.

Le pinceau, parfois, tremble. Le trait si fin prend une épaisseur inattendue. Balbutiements grossiers ou délires assumés ? Penche la balance et s’affine la pensée.
A mesure que vacillent convictions et fondements, intellectualisme forcené et jeunesse éternelle, le monde se délite pour mieux respirer, la fougue s’intériorise pour mieux se savourer.
En musique s’il vous plait. Enchanteresse, absolue partition de l’éternité.
Les habitués sont là, comment pourrait-il en être autrement. Le jeune Jack White de Detroit, Tesla et l’énergie du vide, Basquiat et son héritage. Perdus eux aussi, comme abandonnés par une famille démissionnaire, négligemment imposés mais indissociables du TOUT.

Tel un rêve cotonneux dont on émerge à-demi, léthargique et désorienté, ce film qui n’est plus navigue entre deux eaux, voyage initiatique après la mort et avant la vie. Etoile perdue dans une constellation oubliée, il file en solitaire sa divine existence libérée.
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le 22 juin 2014

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-IgoR-

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