Il y a des films qui ne vous accueillent pas. Des films sans poignée, sans seuil, sans promesse de chaleur. Il vous prend à rebrousse-cœur, vous jette dans une brutalité sèche, presque ingrate, où l’âpreté n’est pas un effet de style mais un programme esthétique, une manière de dire que la beauté ici ne sera ni donnée ni offerte, seulement conquise ou refusée.
On entre dans Padre Padrone avec un écran noir, d’abord. Le silence. Puis, un cri : le père surgit, arrache l’enfant à l’école, à l’enfance. La caméra encaisse. Elle prend acte. Et déjà, on comprend qu’on ne sera pas invité à ressentir, mais à observer.
Le père, parlons-en. Monolithe, taureau archaïque, il incarne moins un personnage qu’un principe. Ce n’est pas un homme, c’est la Loi. Dure, silencieuse, répétitive. Il n’argumente pas, il impose. Il ne transmet pas, il mutile. En face, Gavino (d’abord enfant, ensuite adulte, puis narrateur) tente de se frayer un chemin vers la parole, mais chaque mot est une bataille, chaque phrase un affront.
Là où Truffaut filmait l’enfance comme une fuite poétique, les Taviani la cadrent comme une geôle. Le monde ici est fait de pierres, de chèvres, de cris rauques et de silences pesants. Rien ne respire. On pourrait croire à un excès, à une simplification symbolique, mais ce serait ref de voir ce que le film fait : il ne simplifie pas, il essentialise. Il met en tension des forces primitives, presque mythologiques : la terre, la langue, le père, le livre.
Mais ce film est sec. C’est là, sans doute, mon point de résistance. L’émotion ne circule pas, ou si peu. Elle est contenue, comprimée, aspirée par le dispositif même du film. La voix-off didactique vient tout baliser, tout nommer. On ne laisse pas le spectateur respirer : on le guide, on le plaque, on le force à voir.
Ici, l’apprentissage n’est pas un processus intérieur. L’école, la langue italienne, la philologie ne sont pas des objets de désir, mais des armes. Et comme toute arme, elles blessent autant qu’elles libèrent.
Ce film n’a pas de cœur. Il a une idée. Et c’est peut-être là que réside l’hostilité qu’il me suscite. Padre Padrone n’est pas un film à aimer. Il est un film à affronter. On ne peut pas y projeter ses affects : on ne peut que constater leur refoulement. Il n’y a pas de place pour le rêve, l’ambiguïté, la sensualité. La mise en scène n’est pas sensorielle, elle est rhétorique. Chaque plan semble venir dire : "regarde, comprends, assimile".
Et pourtant, malgré tout, malgré cette sécheresse, malgré cette rigidité presque dogmatique, quelque chose reste. La sensation d’avoir vu un film qui ne veut pas plaire, mais marquer. Qui ne cherche pas l’adhésion, mais l’impact. Et peut-être que c’est cela, au fond, l’ambition des Taviani : Un cinéma sans refuge.
Alors oui, mon rejet est légitime. Mais il est aussi révélateur. Je n'ai pas aimé Padre Padrone parce que c’est un film qui ne cherche pas à être aimé. Il cherche à parler. À parler plus fort que le père. À parler malgré le père. À parler au lieu du père. Et dans ce geste-là réside peut-être sa grandeur autant que son échec.