De Jean Grémillon, réalisateur oublié avant sa réhabilitation récente par Bertrand Tavernier, je n'avais vu que l'excellent film noir "L'étrange Monsieur Victor", tout en sachant que ses autres titres étaient assez différents, plus orientés vers le mélo lyrique - c'est à dire moins ma came a priori.
"Pattes blanches" correspond bien au style Grémillon, avec un lyrisme très présent dans le scénario et les dialogues, œuvre du dramaturge Jean Anouilh, mêlé à une forme de naturalisme dans la description d'un petit village côtier dans la Bretagne rurale.
On se laisse vite absorber par la rude atmosphère régnant sur place, grâce à la mise en scène aux accents documentaires de Grémillon, qui capte les petits gestes du quotidien (Jock se lavant les cheveux dans la cour), les habitudes collectives (le jeu de quilles), tout comme les grands rituels de la communauté (les scènes de chant et de danse lors du mariage).
Sans oublier quelques arrière-plans superbes sur la nature sauvage bretonne.
J'ai aussi apprécié l'authenticité de personnages très marqués : l'aubergiste rustaud (Fernand Ledoux), la femme fatale désœuvrée (Suzy Delair, dont on peut apercevoir les fesses dodues), le bâtard instruit mais rejeté (Michel Bouquet, jeune et maigrichon), la petite bonne laide et bossue (Arlette Thomas - future maman des frères Jolivet), et enfin le châtelain désargenté (Paul Bernard).
En revanche, ce type de cinéma manque à mon goût de subtilité et de cohérence psychologique : tout est surligné à gros traits, avec un jeu très théâtral voire outré, des comportements excessifs et des situations parfois peu crédibles.
Par exemple, il suffit de laisser Suzy Delair cinq minutes à proximité de n'importe quel bonhomme, et c'est parti pour un tour... J'ai eu beaucoup de mal aussi avec le personnage de Paul Bernard, sa psychologie opaque et ses nombreux revirements...
Bien entendu, il faut se souvenir de l'ancienneté de "Pattes blanches", et faire preuve d'indulgence par rapport à certains parti-pris vieillots.
Au final, le positif l'emporte assez largement, et l'ensemble se laisse suivre avec intérêt.