Ravage
5.5
Ravage

Film de Gareth Evans (2025)

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Hard boiled saignant sans renouveau

John Woo et Tsui Hark ont leur descendance et Gareth Evans est un de leur rejeton. Comme dans toute famille, soit les générations qui succèdent enrichissent le patrimoine soit elles le dévoient, voire le profanent. Chez John Woo nous avions la flamboyance et le romantisme, chez Tsui Hark la pensée, la poésie voire le burlesque, et chez Evans qu'avons-nous au juste?


Le cinéaste Gallois a fait ses premières armes en Indonésie où, au cours du tournage d'un documentaire sur les arts martiaux, il a découvert le Pencak Silat (Art Martial Indonésien) qui l'a fasciné. Son premier (deuxième) film, The Raid fut donc l'expression cinématographique de cette fascination. Ce qui suscita l'attention des critiques de l'époque c'était que nous avions à faire de manière probante à un cinéaste cinéphile, tout du moins dans le genre où il s'exprimait. Beaucoup de critiques ont toujours adoré qu'on leur adresse des références qui les situent, voire les flattent et The Raid concentrait toutes ces qualités. Poussé par un budget limité, Evans eut l'intelligence de se replier sur un huis-clos qui n'était pas sans rappeler Assault on precinct 13 de Carpenter, mais aussi d'opter pour un immeuble qui nous rappelait les leçons de spatialisation de l'action mise en place par Mc Tiernan dans Die hard; les étages comme niveaux de jeu ou de conscience, mais aussi l'espace architectural comme atout qu'il faut utiliser ou contrainte qu'il faut modifier ou détruire. Naissait donc de ces références une grande lisibilité de l'action mue par une bonne intelligence visuelle, mais purement performative.


S'il était évident qu'Evans avait bien étudié les deux géants Hong-Kongais du films d'action que sont Hark et Woo, il n'arrivait pourtant pas, à la différence de ses pairs, à ce que les scènes d'action et de combat soient la continuité de qui se raconte car les siennes se présentaient plutôt comme des blocs de performance. Les arts-martiaux Chinois ont souvent souligné l'importance du spirituel dans le combat, comme la nécessité de l'intérioriser et que le geste "beau" en était la résultante. Chez Woo c'était l'emploi de ralenti afin de souligner non pas le geste qui neutralise, qui tue, mais plutôt son chemin plus que sa finalité, son élégance plus que sa performativité comme dans The Killer. Chez Hark, le geste était le fruit d'une introspection, d'une connaissance de soi, d'un accaparement de sa propre singularité à l'instar du manchot de The Blade qui de son handicap tire une botte qu'aucun de ses adversaires n'arrive à déjouer. La mise en scène chez ces deux réalisateurs provenait donc de leur conception philosophique et spirituelle du geste, du mouvement, du combat. Chez Evans nous avons à faire à une toute autre philosophie, car son art martial de prédilection, le Pencak Silat, privilégie d'autres priorités. Dans cet art seul compte la visée létale, le geste qui tue sinon neutralise en un minimum de temps, le geste performatif par essence. Donc en dehors de rares exceptions, les combats chez Evans sont courts et expéditifs, d'où la succession de duels brefs souvent achevés violemment, le Pencak Silat étant aussi spécialisé dans le combat à l'arme blanche. C'est en tout cas la seule dimension que perçoit Evans de cet art martial, alors qu'un cinéaste comme William Friedkin, faisant appel au même style de combat pour The Hunted, en avait une appréhension beaucoup plus complexe qui entraînait une mise en scène des combats plus singulière.


Mais celle d'Evans ne manque tout de même pas de qualité. Afin de créer un certain foisonnement, il multiplie souvent la menace pour la faire habiter chaque recoin de l'espace. En découle une réalisation qui soigne ses enchaînements; faite de courts blocs de séquence ponctués par des phrases chorégraphiques ciselées, Evans combine souvent plusieurs affrontements par des filés (pano rapide) qui les lient dans l'espace. Il résulte de cette mise en scène que le spectateur n'est jamais perdu. Sa conception d'un cadre hyper énergique dans les scènes d'action, collant au mouvement, révèle une dynamique très sensori-motrice, avec des axes qui pivotent lorsque les corps sont renversés, mais aussi des cadres inversés rendant le point de vue d'un protagoniste. Cette truculence à filmer le mouvement des corps reprend ce qui avait été la sève et le renouveau du cinéma Hong-Kongais, bien qu'encore une fois, Tsui Hark qui avait inauguré cette manière de filmer dée de loin Evans en originalité et en liberté.


Dans Ravage, tout ce savoir-faire est à nouveau sur l’écran et Evans choisi un personnage de flic véreux et désabusé dans le style Hard Boiled comme principal protagoniste. Le monde d’Evans est un monde de cinétique violente qui voue les hommes à s’entretuer promptement. Quoi de mieux qu’un personnage misanthrope pour nous le dévoiler. On nous sert donc encore le bon vieux thème de la rédemption, mais ce n’est pas ce qui est gênant dans ce film; lorsque l’on privilégie la narration par l’action, le choix d’un thème éculé est souvent le bon. Le problème encore une fois chez Evans, c’est que les scènes d’actions ne racontent pas plus que leur propre performance. La trajectoire narrative du personnage n’évoluant que dans le peu de scènes de dialogues, cela nous donne l’impression qu’il y a comme une sorte de déconnexion entre les actions physiques et les actions psychologiques, ne faisant de l’histoire qu’un prétexte à une orgie spectaculaire qui détonne souvent. Donc à la réponse est-ce qu’Evans dévoie ou profane le lègue de ses inspirateurs: le profaner non, le dévoyer assurément, vers du toujours plus performatif, en parfaite adéquation avec ce que le monde brutal de l’occident industriel a toujours fait. On peut aimer, on peut aussi s’en er.


6
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le 27 avr. 2025

Critique lue 40 fois

2 j'aime

Sergent Steiner

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