L’important - pour ne pas dire l’essentiel - lorsqu’on veut adapter un fait historique au cinéma, c’est de rester fidèle à l’Histoire, au-delà des mythes populaires. Cela est d’autant plus crucial lorsque le moment historique évoqué est délicat, et donc propice à la prolifération de récits mythifiés. C’est précisément ce que fait L. Heynemann.
René Bousquet, celui qu’on a voulu faire er pour un monstre, n’était, selon l’expression de Browning, qu’un homme ordinaire - peut-être simplement un peu plus ambitieux, et davantage exposé de par ses fonctions, que la moyenne. Acquitté une première fois pour son implication dans la politique antisémite du gouvernement de Vichy, Bousquet est de nouveau inquiété alors qu’il mène une brillante carrière d’homme d’affaires, proche de Mitterrand, dont il partage les idées politiques. La campagne de presse menée contre lui aboutira à son assassinat, survenu avant la tenue d’un nouveau procès.
Loin des pages Wikipédia simplificatrices et des jugements hâtifs qui aiment enfermer les hommes dans des cases bien définies, l’intérêt du film réside dans sa capacité à restituer le contexte avec justesse. Il montre que, si le haut fonctionnaire au service d’un État défaillant porte une part de responsabilité dans la rafle du Vél’ d’Hiv - car il est toujours possible de désobéir à des ordres iniques -, l’homme n’était pas pour autant le monstre antisémite que l’on a souvent voulu dépeindre.
Une femme, croisée par hasard, incarne habilement cette ambiguïté. Elle hait Bousquet pour sa responsabilité dans l’extermination d’une partie de sa famille lors de la rafle, et agit comme une sorte de conscience morale face à lui. Pourtant, elle lui doit la vie : ce jour-là, Bousquet a pu sauver quelques personnes en les empêchant de monter dans le convoi à destination de l’Allemagne. Sa mère, sa sœur et elle-même ont ainsi échappé à la déportation grâce à lui. Mais cela ne suffit pas à effacer la perte du reste de sa famille - et elle ne lui pardonne pas.
De même, on lui reprochera d'avoir livré des juifs aux nazis. Mais s'il avait refusé, il y aurait certainement eu des représailles et combien de civils auraient été tués? Un procès lui aurait certainement aussi reproché ces morts...Dans tous les cas, sa fonction le rendait coupable et il l'a certainement exercée avec trop de zèle et trop peu d'humanité.
Un film très mesuré, donc, qui tente de dire l’Histoire, même lorsqu’elle ne correspond pas à ce qu’on voudrait entendre. Par exemple, il est rappelé à plusieurs reprises que le gouvernement de Pétain, et Bousquet lui-même, ont cherché à protéger, aussi longtemps que possible, les Juifs français, en livrant à leur place les Juifs étrangers et les apatrides; choix en soi odieux mais faut-il pour cela nier ce fait vérifié par les chiffres? Une réalité temporaire, difficilement audible face à l’horreur des morts innocents.
Le film recèle de belles trouvailles au service de la vérité, comme ces comédiens qui s’adressent directement à la caméra, à la manière de témoins ainsi que quelques documents d'époque. Mais surtout, il y a la présence saisissante de Daniel Prévost, qui livre ici son rôle le plus complexe, avec une maîtrise exceptionnelle.