La virginité a parfois ses vertus, tant elle nous permet parfois d'aborder les œuvres avec une certaine naïveté. Ce fut mon cas face à ce Revoir Paris. Sa sortie en salle m'avait échappé à l'époque. On me l'a conseillé par la suite, je ne sais plus pour quelle raison. Et voilà comment je me suis retrouvé un peu par hasard face à ce film, sans savoir de quoi il comptait il me parler. Et je pense sincèrement que, me concernant, ça a constitué un avantage certain.
Si vous n'en savez d'ailleurs encore rien, il n'est pas trop tard : vous pouvez encore fermer cette page. Pour les autres, je pense que je ne vous apprendrais rien en vous disant que ce Revoir Paris n'est pas le premier film à se risquer dans le sillage d'un événement fraîchement survenu et dont l'impact émotionnel auprès du public est encore vif. Ça donne rarement des œuvres pertinentes, tant les enjeux du sujet écrasent toute audace ou tentative de propos.
Nous-mêmes, spectateurs, venons avec nos propres attentes, nos craintes, voire nos pulsions à peine conscientisées. Des paramètres qui, de part et autres, n'offrent jamais vraiment les conditions d'une belle rencontre entre un film et son public.
En cela, découvrir ce Revoir Paris sans rien en savoir constitue selon moi un réel atout. Les cinq premières minutes sont convenues. Comme tout bon film d'auteur français du moment, Revoir Paris nous déroule tout le décorum bourgeois. Mia est une interprète qui circule dandesquement de la Maison de la Radio en bistrots, où elle retrouve son compagnon chirurgien. C'est du parisian way of life en version intensive. Ce à quoi beaucoup de films français se limitent souvent, soit dit en ant. Mais là, un orage, un changement de bar et patatra. Pour qui ne s'y attend pas, ça a le mérite de faire son effet.
La rupture est nette. C'est cru. C'est sec. Sans fioriture, mais non sans un certain savoir-faire
La balle dans la tête de la touriste chinoise, en périphérie de cadre, j'ai trouvé ça glaçant.
Et c'est là que, pour moi, brusquement, toute la démarche a pris son sens et son intérêt.
C'est effectivement devenu intéressant à mes yeux parce que, en procédant ainsi ; en posant une rupture sur le domaine DES sens plutôt que sur celui DU sens ; Alice Winocour nous invite littéralement à voir autrement Paris, plutôt que de discourir dessus. Autrement dit, elle se risque selon moi sur un terrain purement cinématographique et, pour le coup, je lui en suis gré.
Alors après, c'est vrai, en s'aventurant sur un tel terrain, l'autrice prend forcément des risques. D'un côté c'est le retour au quotidien d'hier qu'on cherche judicieusement à rendre impossible à coups de fantômes, de bruits et de moments de flottement ; de l'autre le dispositif se heurte très vite à ses limites d'imagination. Ça recycle souvent ses effets. Ça se cache derrière des moments en suspension appuyés par des nappes musicales qui peinent parfois à compenser l'absence de regards nouveaux portés sur les lieux du quotidien de la capitale. Néanmoins, l'effort est là, il est louable, et il ne s'arrête pas à la seule dimension plastique.
Car sur la question de la narration, Revoir Paris se risque aussi au parcours, à la dynamique. On croise de nouvelles personnes, on en laisse d'autres derrière. On se rappelle de ces instants étonnamment précieux alors qu'ils ont pourtant été suscités par une parenthèse d'horreur.
Et si, là encore, il y a quelques maladresses...
Je pense notamment à la façon dont Winocour tombe dans le réflexe bien français du pédagogisme sitôt s'agit-il d'aborder la question des témoignages de victimes ou de côtoyer les milieux sans-papiers.
...à l'inverse, il y a quelques moments que j'ai trouvé particulièrement bien sentis, comme l'exacerbation de ces pulsions de vie en plein coeur de ces moments de mort.
Je pense notamment à ce récit d'histoire d'amour improbable entre deux inconnus ; histoire qu'on parvient à nous raconter avec une habile narration par couches superposées, d'abord par le récit de la serveuse, ensuite par l'illustration sensorielle du moment, enfin par le récit du touriste. Un enchaînement pour le coup habile où chaque élément ne se juxtapose pas, mais s'additionne par effet de strates superposées. Pour moi, l'une des scènes vraiment réussies du film.
C'est ce qui fait que, bon an mal an, je ne ressors pas de ma séance, comme c'est trop souvent le cas avec du cinéma d'auteur à la française, avec les mains vides. Certes, ce Revoir Paris ne s'extirpe pas pleinement de ces faiblesses endémiques propres au genre et à l'époque, pas plus qu'il ne parvient à transformer toutes les coups d'audace auxquels ce film se risque. Il n'empêche que c'est de ces audaces que je tire ces rares moments que je garderai en mémoire ; ces moments où les choses s'incarnent et vivent un peu, au-delà de ces conventions pénibles qui réduisent généralement tout film français qu'à une interminable exposition stérile. En cela, j'aurais presque envie de saluer l'effort – et surtout la prise de risque – d'Alice Winocour car, manifestement, il n'est pas sans péril de s'aventurer dans de pareilles entreprises.
Parce que, oui – et ce fut pour moi une surprise sans l'être vraiment – je constate que, parmi mes éclaireurs qui d'habitude se délectent de cinéma français, ce Revoir Paris ne e pas.
« Pas assez subtil » disent-ils, et j'entends ce reproche.
« Ça dit un peu des banalités, ça veut tellement véhiculer des valeurs positives », et ça non plus ce n'est pas totalement faux.
« Ça exhibe sans honte toutes ses ficelles », ça use de « recettes éculées », de « péripéties sur-écrites » et de « symboles balourds » au lieu de savoir appréhender cette vérité du moment « plus modestement » ; un point que je ne contesterai pas non plus.
Seulement, il se trouve que récemment, moi, je me suis aussi visionné d'autres films d'auteurs français tels que Jusqu'à la garde, Grâce à Dieu ou encore Je verrai toujours vos visages, et là, par contre, chez ces mêmes éclaireurs (enfin surtout chez ce bon Sergent), on ne consterne soudainement plus de banalités énoncées, de recettes éculées ni de sur-écriture. Non, là, manifestement, on a su rester modeste face à son sujet. Or, je vous l'avoue, constater ce deux poids / deux mesures, ça me scie toujours un peu.
Et si je me décide à conclure ainsi ma prose au sujet de ce Revoir Paris, c'est moins pour vous le sur-vendre que pour lui reconnaître ce mérite d'avoir essayé de sortir de ce drôle de carcan qui étreint notre cinéma national. Au sein de cet univers culturel dans lequel on rappelle sans cesse les troupes à la « modestie » ; à comprendre pas trop de musique, pas trop de péripéties, pas trop d'initiative. La photo pourra être la même que dans celle d'un film de Michael Bay, les moments de silence raréfiés au possible par des échanges didactiques interminables, et la démarche générale réduite en tout et pour tout qu'à une mise en évidence des bonnes victimes et des mauvais bourreaux de notre temps, que ça era malgré tout. On se pamera, on palmera même, voire on césarisera carrément, au prétexte qu'au moins on n'aura pas pris de risque. On n'aura pas questionné le dogme. On se sera contenté de retracer ad nauseam le même cadre, au service d'un même monde, dans une logique de renouvèlement d'un perpétuel conservatisme.
Tu m'étonnes que, dans ce petit Paris, plus personne n'ose sortir du rail. Rompre avec le train-train quotidien, c'est soudainement se prendre un sacré coup de masse. La capitale n'a soudainement plus le même éclat.
Donc oui, c'est vrai, ce Revoir Paris n'a rien d'extra. Loin de moi l'envie de vous faire croire le contraire. Néanmoins il fait partie de ces films qui tentent des choses, quand bien même est-ce maladroit. Et moi, je vous l'avoue, ça me touche plus qu'un cinéma parisien qui cherche simplement à filer droit...