Il y a une scène dans Sinners qui est non seulement essentielle, parce qu'elle illustre la première partie de la citation ouvrant le film (... sur ce qui lie le Blues à son héritage africain comme à sa descendance, le hip hop), mais aussi parce qu'elle explicite parfaitement l'Amour de la musique qui a nourri le film de Ryan Coogler, et l'aide à s'échapper de son cadre de "blockbuster indie / film de genre" pas forcément intéressant, a priori : c'est cette scène d'une salle remplie de musiciens et de danseurs en folie, en transe, interagissant avec des fantômes du é et des spectres de l'avenir. C'est beau, c'est fort, c'est simple et intelligent, et très honnêtement, c'est là le film que nous avions envie de voir.
Car il faut bien ettre que ni le nom de Ryan Coogler à la réalisation, ni celui de Michael B. Jordan (deux fois) au casting ne faisait naître en nous une attente particulière : tous les deux œuvrent normalement dans un cinéma qui nous est trop étranger pour nous intriguer. Et c'est bien là que Sinners s'avère une étonnante surprise : dans le sérieux avec lequel il aborde dans sa longue première partie les racines et l'importance du Blues, son ancrage dans une Amérique raciste, hostile, où la vie est terriblement dure : Sinners nous parle, même si ce n'est pas directement, de Robert Johnson (dont la musique semble irriguer nombre de scènes...), et ça, ça nous va très bien.
Après, il faut bien que Sinners attaque la seconde partie de sa phrase d'ouverture, qui parle d'une fragilisation de la frontière entre notre monde et l'au-delà, et déploie ses chapitres "film de genre", autour des mythes classiques du vampirisme. N'aimant pas du tout le film de Rodriguez, From Dusk Till Dawn, cette resucée à la sauce 2025 nous faisait craindre le pire. Heureusement, il y a assez de mise en perspective "politique" pour que l'on oublie les excès de gore : il est très drôle que les vampires jouent et dansent de la country music ou du folklore irlandais, marquant une différence culturelle nette avec la sensualité et l'émotion du Blues. Quant au discours du chef des vampires incitant les humains noirs à les redre pour échapper à la violence de la société US, il est quand même assez culotté et malin.
Dernière cerise sur le gâteau, un final réellement "tarantinesque", dans la logique de Inglourious Basterds, mettant en scène une revanche possible vis à vis des criminels du KKK, qui fait bien plaisir à voir.
PS : ne quittez pas la salle au début du générique de fin, vous manqueriez une longue scène de conclusion, qui jette d'ailleurs une lumière différente sur ce que nous avons vu avant, et qui permet de sortir de la salle réellement séduits par la complexité du discours du film. Et par sa profondeur.
[Critique écrite en 2025]