Tardes de soledad
7.6
Tardes de soledad

Documentaire de Albert Serra (2024)

la vérité effective de la chose

Le Professore Ludovico en est à sa troisième feria (Guadalajra, Nîmes, Riscle) et il ne sait toujours pas quoi en penser. Plutôt du déplaisir, mais sans aller jusqu’à l’interdire. Ce n’est pas Tardes de Soledad, le film d’Albert Serra qui va y aider, plus proche de l’installation d’art contemporain que du documentaire à thèse.


Serra a un plan et il s’y tient : filmer Roca Rey, la star montante de la tauromachie, uniquement sur son lieu de travail : l’arène. Ou dans sa voiture, quand il va au combat ou en revient.


Ce sera tout : pas de spectateurs, pas de hors-champ sur la vie au dehors. Bus-arène-bus, ce sera tout, et c’est déjà beaucoup.


Si ce système est répétitif (et un peu trop long, une demi-heure de trop), le dispositif impressionne. Car le film montre – et c’est paraît-il l’ambition affichée par Serra – ce que les yeux ne voient pas. Et en l’occurrence, ce que les oreilles n’entendent pas.


A savoir l’extrême vulgarité, l’extrême mépris de la cuadrilla de Roca Rey pour le taureau. L’aficionado, selon la doxa tauromachique, vante habituellement le taureau, sa force, sa fougue, son courage. Ici, c’est l’inverse. Grâce aux micros HF disposés sur Rey et son équipe, on les entend en permanence insulter le taureau. Contrepoint ironique, les mêmes micros captent les louanges à l’endroit du patron : « Roca, tu es le meilleur, tu as les couilles plus grosses que l’arène, jamais ils n’ont vu ça… » et tutti quanti…


C’est la force de Serra : ne rien nous épargner, nous montrer, comme disait Machiavel, « la vérité effective de la chose ». Les cris du matador, ses yeux exorbités, mais évidemment le sang qui suinte du taureau, la langue pendante de la bête essoufflée, ses yeux révulsés pendant le coup de grâce, et le morceau de viande que des chevaux extraient prestement de l’arène…


Toutes ces choses, relativement peu visibles sur place, sont soudain mises à plat, en gros plan devant nous. En absentant les autres éléments (le public, parfois même le taureau), Serra nous force à voir.


Et après ce face à face à face avec la mort (magnifiquement illustré par le premier plan du film, un taureau qui respire bruyamment dans la nuit, le regard fixé sur le spectateur), il n’est pas neutre que l’autre dispositif procède de même. Roca Rey, face caméra dans son bus, silencieux, immobile, tandis que ses assistants dithyrambent virilement.


Le héros du jour ne leur répond pas, perdu dans ses pensées. Face à face, non pas avec la mort, mais avec le spectateur.


https://www.cinefast.com/?p=6929

9
Écrit par

Créée

le 26 avr. 2025

Critique lue 5 fois

ludovico

Écrit par

Critique lue 5 fois

D'autres avis sur Tardes de soledad

Est-ce que l’immonde est sérieux ?

La sortie du dernier film en date d’Alex Garland, Civil War, fut accompagnée par une polémique assez intéressante. Dans ce film traitant d’une guerre civile déchirant les États-Unis, on reprochait au...

le 8 avr. 2025

38 j'aime

« Vas-y taureau, res ta putain de mère ! » (Ou le taureau hélé)

« Fils de pute, bâtard ! Crève, taureau ! »« Vas-y taureau, res ta putain de mère ! »« T'as des couilles, on chie sur les morts. »Respect de l'animal et élégance, voici deux éléments que les...

Par

le 30 mars 2025

35 j'aime

15

Critique de Tardes de soledad par Epi-de-MAlice

2h de mecs toxiques qui butent des taureaux épuisés en disant qu'ils sont des demi-dieux et qu'ils ont des couilles fabuleuses

le 27 mars 2025

17 j'aime

Du même critique

Le film SUR Kubrick ?

Après le flop public et critique de Barry Lyndon, Kubrick a certainement besoin de remonter sa cote, en adaptant cet auteur de best-sellers qui monte, Stephen King. Seul Carrie a été adapté à cette...

Par

le 7 févr. 2011

196 j'aime

86

Un film honteusement délaissé...

Un grand film, c’est quoi ? C’est un film qui e sur NRJ12 (en VF mal doublée), qu’on prend au milieu, et qu’on regarde jusqu’au bout, malgré l’alléchant Mad Men S05e1 qui nous attend sur Canal à...

Par

le 23 janv. 2011

58 j'aime

3

Armageddon
10

Chef d'oeuvre de série B

Le film peut paraître très basique à la première lecture. Pourtant, il propose, presque inconsciemment, une étonnante grille de lecture des Etats Unis. Ce qui en fait, selon moi, un chef d'œuvre de...

Par

le 2 oct. 2011

44 j'aime

18