En filmant la corrida comme elle arrive, avec un dispositif de trois caméras et des micros sur les protagonistes humains, Albert Serra continue d'examiner la puissance extrême et la fragilité instantanée de l'homme. En suivant le matador et sa troupe (de cirque, de théâtre, de danse, ou son équipe de sport, car la corrida ressemble à un peu tout cela) entre le bus, l'hôtel et l'arène, le cinéaste espagnol explore un nouveau genre, le documentaire, et un nouvel espace, plus animalier.
Dans ces mises à mort de taureau, l'homme compose avec la bête, et l'homme, narcissique inable, devient animal (avec ses mimiques presque drôles si ce n'était pas terrifiant, ses cris, ses gestes).
La mise en scène de Serra est remarquable, l'homme bestial aux côtés de la bête humanisée, la puissance vitale à côté de la mort, le sang mêlé à l'or, couleurs catalanes, le é de tout ce costume traditionnel côtoyant le présent de la voiture et de l'hôtel et devenant anachronique, et dans des plans rapprochés plus étouffants qu'intimes.
Le film dégoûte autant qu'il fascine, les taureaux meurent après avoir crevé l'écran de leur naturelle cinégénie, rôles secondaires malheureux de cet homme impressionnant de silence, de sérieux et de cruauté. L'homme et l'animal sont à égalité devant la caméra, tous les deux seuls. Derrière son titre mélancolique, Tardes de soledad (après-midi de solitude) cache un mode de vie triste, presque religieux, faisant de son protagoniste un homme se croyant doté d'une mission spéciale : tuer les taureaux ; et les taureaux d'aller à la mort. Sans être contre la corrida, Serra filme cette tradition désuète qui ne laisse aucune chance à l'animal, et montre le sang comme rarement on l'a vu, vrai, frais et pathétique. Dans une forme qui ennuie autant qu'elle impressionne par sa durée (parfoparfois trop), sa dureté et sa photographie, Serra sort indemne de ces combats, contrairement au spectateur, sans doute estomaqué par cette expérience de cinéma quasi radicale.