D’habitude, les films de zombies, ce n’est pas vraiment mon dada. Mais quand c’est au tour de Jim Jarmusch de s’y atteler avec The Dead Don’t Die, on est forcément curieux de voir ce que ça va donner. Surtout avec un casting XXL, au point de se permettre de faire l’ouverture du 72ème Festival de Cannes.
Il est clair que ce qui avait été présenté du film jusqu’ici semblait dénoter avec la plupart des films réalisés par Jim Jarmusch jusqu’ici. L’image d’une comédie horrifique mettant en scène une petite ville américaine en proie à une invasion de zombies ne semblait pas s’apparenter à celle du terrain idéal pour le cinéaste américain. Mais pourtant, solliciter l’imaginaire n’est pas une première chez lui, notamment depuis la rencontre avec les vampires d’Only Lovers Left Alive. Et voilà que, dès les premiers plans, on sait que l’on est chez Jarmusch. On voit ces images, on entend cette musique, on se retrouve perdu dans cette petite ville sans histoires qui a tout du « microcosme jarmuschien ». Enfin, retrouver toute cette troupe d’acteurs qui a accompagné le cinéaste dans sa filmographie permet de se constituer de nouveaux repères qui raviront les amateurs de son cinéma. Toutefois, alors que tous les indicateurs sont au vert, quelque chose d’étrange va se dérouler dans Centerville, mais aussi dans The Dead Don’t Die.
Une chose étrange, inexplicable. Nous suivions jusqu’ici ces personnages banals et nonchalants, détachés, archétypes des personnages emblématiques de Jarmusch, au point d’accueillir la nouvelle d’une catastrophe mondiale sans précédent sans le moindre sentiment de panique. Ne jamais faire ce que le spectateur attend, toujours prendre les choses avec calme et philosophie. Oui, tous les rouages du cinéma de Jarmusch sont en place, on entend cette musique avec ces notes de guitare électrique, puis, souvent, le morceau The Dead Don’t Die, ouvertement décrit comme étant celui du film, ouvrant une brèche dans le quatrième mur, que Jarmusch ne va cesser de fragiliser, en parlant de script, ou en faisant référence à des rôles dans lesquels les acteurs ont joué. Oui, The Dead Don’t Die sait être drôle, sortir la petite réplique qui fait mouche, mais n’est-ce pas au risque de délaisser le naturel si inhérent au cinéma de Jarmusch ? Car c’est là que se manifeste cette chose inexplicable. Jarmusch le poétique, le philosophe, adepte de la beauté du banal, joue la carte d’un comique plus mécanique, attentiste et attendu, égarant en chemin la subtilité qui faisait la beauté de ses films.
Il est vrai que The Dead Don’t Die a des atouts, avec cet humour (qui trouve cependant ses limites), cette revisite du cinéma d’horreur et, toujours, une maîtrise technique qu’on ne lui enlèvera pas. Mais cette revisite reste en-deçà de ce que le cinéaste avait montré jusqu’alors. Dans Ghost Dog, le film de gangsters s’effaçait au profit d’une belle intrigue philosophique sur la vie et les valeurs, suivant l’héritage des samouraï. Dans Dead Man, le western laissait place à une étrange, hypnotique et unique rêverie qui s’aventurait aux confins de l’humanité, de la vie et de la mort. A chaque fois, le cinéaste nous ramenait à des valeurs et à des concepts fondamentaux, le tout en mêlant rêve et réalité avec une certaine poésie. Rien n’empêchait de suivre un type de mécanique similaire dans The Dead Don’t Die, sans non plus rejeter toute forme d’innovation, car il ne s’agit pas d’être réfractaire au changement. Mais l’ensemble est trop mécanique, systématique, artificiel et, au bout du compte, peu convaincant, avec comme point d’orgue un monologue final bien trop explicite, éradiquant toute forme de subtilité, cette même subtilité qui fait la beauté du cinéma de Jarmusch.
The Dead Don’t Die ne sera pas un des piliers de la filmographie de Jarmusch. En tout cas, pas à mes yeux. Si la patte du cinéaste est omniprésente, la magie de son cinéma et l’alchimie habituelle entre ses composante n’opère pas et se fatigue vite. La mayonnaise a du mal à prendre, et le faux rythme habituel ne parvient pas à mettre le film dans de bonnes dispositions. On irait presque jusqu’à penser que le cinéaste va jusqu’à s’auto-parodier, à rire de ce qu’il dit et de ce qu’il pense, un peu comme si nous étions incapables de retenir les leçons. Mais, selon cette hypothèse, Jarmusch n’en serait-il pas venu à trahir son propre cinéma ?
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art