À peine un cinq semaines après la sortie française de l’exercice de style Presence, Soderbergh propose déjà un nouvel opus. The Insider a beau sembler jouer dans la cour des grands, en témoigne le casting regroupant Michael Fassbender et Cate Blanchett, les œuvres de Soderbergh ont toujours cette modestie bien gérée du film indépendant. Dans la durée, la variété des décors, le primat accordé aux personnages plutôt qu’à de vastes séquences en extérieur, The Insider joue avec ses contraintes, au diapason d’une intrigue où l’on bluffe en permanence.
The Insider pourrait presque être une pièce de théâtre : l’essentiel se joue dans les confrontations verbales, les situations se résumant la plupart du temps à des accessoires dérisoires (un ticket de cinéma, un écran d’ordinateur) et une observation méticuleuse de la pose de l’interlocuteur. L’écrin construit par le cinéaste travaille donc en profondeur cette artificialité : celle, dans le premier repas, d’une soirée mondaine où l’on se vend autant qu’on cherche à humilier le rival, et où il s’agit surtout de travailler le masque social. Celle, bien entendu, de la mise en scène, par une photo cotonneuse (assurée par Soderbergh lui-même), exacerbant les lumières artificielles, alternant entre le statisme des cadres valorisant la froideur méthodique des espions en plein contrôle, où la fluidité de leurs déplacements lorsqu’ils orchestrent leurs manigances. Celle, enfin, de la musique boisée et classieuse de David Holmes qui nappe le tout d’un velours cossu.
Le spectateur sera donc invité à savourer un numéro de maîtrise, entre experts, davantage qu’une quelconque analyse géopolitique. Les stars restent en représentation comme si elles foulaient un tapis rouge, et les seconds rôles luttent vaillamment pour tenter de les destituer. Tout le monde s’amuse, en somme, et David Koepp (déjà à l’écriture sur Presence) orchestre une intrigue riche en rebondissements, où l’on sacrifiera la vraisemblance à la trajectoire écrite à l’avance d’une victoire écrasante des pointures. L’élégant montage alterné lors de la séquence du polygraphe résume parfaitement les intentions du réalisateur : mettre en valeur ses personnages, disséquer leurs techniques de manipulation pour in fine s’offrir le prestigieux poste de chef d’orchestre, général en chef de la maîtrise.