Le rendez-vous fixé tous les deux ans par Wes Anderson au Festival de Cannes, et le fac-similé des procédés du réalisateur reproduisant sa singulière patte de films en films, pourrait donner au critique l’idée d’une vengeance : copier-coller le texte écrit à l’occasion du film précédent.
Avec Wes Anderson, c’est désormais la tradition qui prime : ce qui put avoir la fraîcheur de la singularité durant la première partie de sa carrière est devenu un programme, dont la rigueur n’a d’égale que sa mise en scène au cordeau. L’esthétique du cinéaste est toujours irable, et la fréquentation de son univers plutôt agréable : tout est à sa place, planifié, organisé, en symétrie, colorisé avec ce pastel vintage qui n’agresse jamais la rétine, au gré d’une mélodie constate venant souligner le charme suranné et délicat de ce petit univers en vase clos.
Du plaisir sans surprise, donc : des retrouvailles, un protocole, la pérennité d’un savoir-faire. La direction artistique de Wes Anderson (humour à froid, imibilité des visages, précision des mouvements latéraux de caméra ou des travellings se posant sur chaque personnage prenant tour à tour la parole) contamine l’œuvre, maison de poupée rutilante mais dévitalisée. On pouvait pourtant s’attendre à certains frémissements, dans un début où l’on commence par torpiller le capitalisme destructeur et où la ligne claire se laisse éclabousser par quelques giclures d’hémoglobine. La famille, toujours au cœur des préoccupations du cinéaste, pourrait déséquilibrer par ses failles la symétrie ambiante, et le personnage de Cera n’est pas dénué de charme. Mais l’ensemble ronronne rapidement dans une intrigue à la linéarité pénible, où les cartons cochent des quêtes accomplies, métaphore parfaite de l’écriture de Wes Anderson : accumuler les rencontres (c’est-à-dire les caméos), multiplier les décors factices (dont ce vain et redondant paradis en noir et blanc) et construire une fable où, visiblement, certains cœurs qui ne sont pas les nôtres commencent à battre. Dans ce cabinet de curiosités de l’homme le plus riche du monde, dans ces boites et dans ces trajets, l’emmotional gap est la quête ultime : un gouffre dans lequel on aimerait bien voir s’abimer un peu la perfection désincarnée du cinéma de Wes Anderson à l’avenir.