En revoyant the Servant après très longtemps, je mesure combien mon approche d'un film et mon jugement ont varié avec les années, je n'en avais gardé qu'un vague souvenir et ça ne m'avait pas vraiment emballé, disons que quand j'étais ado, ce genre de film ça n'était pas mon truc. C'est normal. Mais là, maintenant, j'ai particulièrement apprécié ; de là à ce que le film soit un chef-d'oeuvre comme beaucoup de critiques de presse l'ont dit, il y a une marge, mais pour moi, c'est un grand Losey.
Le propos est novateur pour l'époque car Losey aborde des thèmes peu explorés dans le cinéma britannique comme la servitude, la domination, l'autorité abusive, l'homosexualité latente, les pulsions sexuelles, la décadence physique et morale. Mais surtout, le renversement des rôles est fascinant, cette étude du maître qui devient esclave de son serviteur, voire même son jouet, peut faire penser à une variante de la fable de Faust, car il y a quelque chose de machiavélique et de pervers dans la façon dont Barrett investit la vie très oisive de Tony. Losey joue avec le rapport des classes et l'ambiguïté d'une situation qui a perdu ses repères, c'est la manipulation d'un esprit faible par un esprit fort, et en cela, la fin est carrément révélatrice.
L'autre atout est technique : la photo en N/B de Douglas Slocombe est superbe avec les ombres inquiétantes des personnages, et la mise en scène est audacieuse avec des plans qui frôlent les visages, une caméra très près des acteurs, et qui balaie l'espace (avec cet escalier obsédant) ou qui se fond dans les miroirs. Quant aux acteurs, parlons-en : James Fox, petit frère d'Edward Fox qui a pourtant débuté avant lui, trouve un rôle de poids avec cet aristocrate beau gosse qui tombe en pleine déchéance, Sarah Miles est une fille insouciante et godiche qui ne retrouvera jamais un rôle aussi osé, et Dirk Bogarde révèle une grande puissance de jeu tout en finesse. Un film d'une intensité vénéneuse.