L'entrée en matière nous rappelle à la fiction pour nous signifier que nous sommes face à une histoire à laquelle il serait bon de croire par la phrase introductive qui nous y invite. Nous ne sommes rien sans histoire. Ainsi, nous vous invitons à croire en celle-ci.
Et nous voici transportés par un mouvement de caméra qui délaisse le studio pour les décors de l'Irlande du XIXè siècle, comme par magie et introduit le personnage de Lib (Florence Pugh), au visage fermé, prête à combattre le monde par sa démarche volontaire. De la famine qui aura précédée et des dégâts de la guerre, c'est l'obscurantisme religieux que cette infirmière anglaise devra combattre, tout en luttant contre ses propres démons. Mandatée pour surveiller une jeune fille de 11 ans qui vivrait sans s'alimenter, le cinéaste renvoie à ces légendes de jeunes filles à jeun, prétendument élues par Dieu et rend compte de ce pouvoir des croyances auquel va se confronter Lib, sûre de l'escroquerie mais qui se heurtera à la volonté d'Anna (Kila Lord Cassidy).
Ce village perdu dans les Midlands, soumis aux hommes de pouvoir, seuls décideurs de la destinée d'Anna, verra d'un mauvais œil l'acharnement de cette jeune femme pratique, ant de son statut d'aidant à celui d'enquêtrice, veillant à mettre face à leurs propres contradictions tous ceux prêts à croire à une présence supérieure pour se rassurer de leur propre misère, tout en laissant dépérir l'enfant. Les uns voyant là un pouvoir de persuasion à leur culte, les autres à une nouvelle cure de jouvence, pendant que certains encore manipulent leur entourage, ou que des voyageurs s'invitent dans la demeure de cette jeune fille miraculeuse, contre toute logique et bienveillance, tout en soulignant le poids du patriarcat par la violence faite à Anna par le é, qui devra en assumer la responsabilité. Et alors que la seule à rendre solidarité prend le visage peu commode de la none (Josie Walker) elle aussi mandatée, le cinéaste vient déjouer nos attentes du cliché attendu, en soulignant un humanisme salvateur, pendant que Lib impose, elle, sa présence. Son caractère rationnel à déer les entraves la montre engoncée dans ses vêtements, peu pratiques à avancer sur les chemins boueux, en métaphore de son combat à mener, mais bien souvent attablée avec un bel appétit, comme pour lutter un peu plus encore face à un environnement qui la rejette, qu'elle soit femme, anglaise, libre de ses croyances ou simplement logique.
Sebastian Lélio continue alors son portrait de femmes battantes, entre subjectivité de la foi et concret de la science pour ces deux jeunes femmes isolées, où les prières de l'une sont combattues par le verbe inlassable de l'autre.
La musique de Matthew Herbert vient accompagner la photographie d’Ari Wegner, qui reste l'élément séducteur du métrage et rappelle aux plus belles ambiances tragiques. Ce sont aussi les intérieurs et ses clairs-obscurs, la mise en valeur des décors naturels ici, vivement colorés, les ciels plombés, et les rafales de vent, où la rigueur de l'environnement s'oppose à la luminosité de ses personnages qui rappellent au film de Dreyer, Ordet. S'il n'atteint pas sa puissance évocatrice, on retrouve l'incommunicabilité familiale et Lib en miroir du personnage de Inger dans sa lutte contre l'ordre établi, tout comme son personnage déambulant dans les landes, convoquera la perdition de Johannès, alors qu'Anna reprend le symbole de l'innocence prêt à croire à son sacrifice pour le bien-être familial. Un bel hommage au cinéaste semble-t-il.
De ses saillies lumineuses dans la vie d'une femme en prise aux drogues, naviguant dans ses traumatismes és, Lelio nous interrogent sur l'aspect fantasmé du récit. En trouvant contre toute attente dans un journaliste (Tom Burke) l'amour et la force supplémentaire à lutter contre l'aveuglement religieux et dans la jeune Anna la sororité nécessaire à la survie, c'est à l'image de ce thaumatrope tournoyant d'un possible à l'autre, que nous croirons ou pas à ce beau final improbable, convoquant par son optimisme, le miracle attendu.