Il y a, pour moi, dans Un homme et une femme quelque chose d’irritant, de trop doux, de trop bien posé. Comme une conversation qu’on surprend au restaurant, entre deux amants d’âge mûr, heureux d’être vus ensemble, de parler bas, de s’échanger des silences et des regards.
On voit la mise en scène de l’amour plus que son tremblement. Et peut-être que mon refus vient de là, de ce vernis de tendresse posé sur une douleur que le film effleure sans jamais la mordre. Un film qui se regarde être un film d’amour, mais qui n’éprouve pas ce que cela coûte vraiment d’aimer encore après avoir perdu.
Lelouch a souvent été regardé comme un formaliste sentimental, un pionnier du montage elliptique, du glissement chromatique entre noir et blanc et couleur, du récit découpé comme une rêverie. Mais cette audace formelle peut aussi être ressenti, plus simplement, comme un habillage. L'utilisation de toutes ses formes tournent souvent à l’exercice de style.
Trintignant et Aimée s’aiment, peut-être. Mais on doute qu’ils souffrent. Leur douleur est déjà esthétisée, nettoyée, transformée en pause musicale. Ils sont beaux, bien habillés, bien cadrés, bien tristes. On ne les sent pas abîmés, seulement ralentis. Le veuvage, ici, ne saigne pas. Il se stylise avec du Francis Lai et des chabadabadas en fond sonore.
Il y a une sensation de luxe discret qui traîne derrière chaque plan, de sensualité timide mais très étudiée. On regarde deux êtres se frôler, et ce frôlement est si beau qu’il en devient suspect. On attend l’accroc, le mot de trop, le silence trop long : il ne vient jamais. C’est peut-être ça, au fond, qui dérange. Que rien ne vienne faire vaciller la ligne. Que le film traverse la douleur comme on traverse un couloir d’hôtel.
Et pourtant, tout est là : la perte, la solitude, la peur d’aimer à nouveau. Mais tout est tenu à distance, comme si l’émotion devait être apprivoisée, esthétisée, mise sous vitrine. Le film ne cherche pas la vérité du trouble, il cherche son image. Il ne veut pas comprendre ce que c’est qu’aimer de nouveau, il veut en capturer la beauté. Lelouch filme le couple comme un objet esthétique. Il ne filme pas le conflit intérieur, mais son reflet dans une vitre.
Et peut-être que mon rejet tient à cela. À ce jeu de faux-semblants. À ce refus de friction. À ce romantisme bourgeois, où l’amour est une manière de bien se tenir, d’aimer en silence, de traverser le chagrin en foulard Hermès. À cette distance entre ce qui est dit et ce qui est ressenti. À cette manière d’enrober la peine dans du velours, de lisser toute aspérité pour que l’élan amoureux tienne en une chanson.
Ce n’est pas que Un homme et une femme soit un mauvais film. Il est même d’une précision rare, d’une beauté délicate. Mais c’est une beauté de papier glacé, de musique douce, de regards consensuels. L’amour est là, mais on ne sent pas son prix. On n’entend pas ce qu’il en coûte d’y revenir.