Avant La La Land, il y a eu Whiplash...

Whiplash, ça n’est pas une comédie musicale, mais… on est quand même bien dans le thème de la musique. C’est l’histoire d’Andrew (Miles Teller), un jeune garçon qui rêve de devenir le plus grand batteur de sa génération. Ou plutôt, c’est l’histoire de la vie d’Andrew qui bascule quand il rencontre le célèbre professeur, leader de groupe et sélectionneur de talent, Terence Fletcher. Bon en fait non, c’est un film sur le jazz. Oui un film sur le jazz qui centre son action sur une batterie…


Vraiment ? Un batterie ? Parce que quand je pense jazz, je pense piano, trompette, saxophone, mais batterie ? Ça veut dire qu’on pourrait écouter une batterie seule sans avoir envie de baisser le son et mettre des boules Quies ? Non parce que la batterie, c’est quand même vachement de bruit, et pas trop de mélodie !


Et bim, premier coup de pied au cul. Pour moi la batterie, c’est l’instrument au fond, derrière lequel se cache un musicien assis, alors que tous les autres sont debout au milieu de la scène. Mais la batterie c’est le rythme, la ligne des morceaux, c’est elle qu’on suit, elle qui donne le tempo. Et c’est un instrument hyper complexe qui demande énormément de talent et, si l’on en croit l’état des mains du jeune musicien, beaucoup, beaucoup de travail (et de souf). Ça, c’est la première leçon du film. On retient beaucoup les noms des guitaristes des groupes de rock, des trompettistes ou des pianistes de jazz, mais les batteurs… A part Phil Collins et Ringo Starr finalement, ils restent un peu dans l’ombre, et pourtant, pourtant, sans eux, que seraient les plus grands morceaux de jazz, de soul ou de rock ? Ben que dalle !


Tout ça pour dire que la bande originale est excellente, les morceaux de batterie aussi, et les musiciens encore plus. Vous n’aimez pas le jazz ? Mon namoureux non plus. Il déteste même. Et pourtant la magie a opéré. Parce qu’on est totalement immergé dans cette histoire, dans cette ambiance tenace.


Il faut dire aussi que les deux personnages principaux sont incroyables. Deux perfectionnistes acharnés que rien n’arrête. Le premier est prêt à tout quitter pour se donner les moyens d’atteindre ses ambitions, et le deuxième emploie tous les moyens possibles pour motiver et tirer vers le haut ses élèves.


Certains diront que le professeur est odieux, détestable et infect, et c’est un peu vrai. Mais il y a du génie en lui, rappelez-vous – pour ceux qui le connaissent, sinon prenez deux heures pour regarder Mr.Dynamite – The rise of James Brown – du grand-père de la soul qui était aussi un tortionnaire avec ses musiciens, qui était capable de les priver d’une partie de leur salaire quand ils jouaient des fausses notes sur scène. C’est à lui que me fait penser ce professeur. Un monstre certes, mais aussi démoniaque que fabuleux.


Et dans ce rôle, J.K. Simmons est tout bonnement époustouflant (ça n’est pas pour rien qu’il a reçu bon nombre de prix, dont l’oscar du meilleur second rôle), on y croit, on fonce tête baissée, on le déteste, on prend en pitié ce gosse ambitieux qui monte qui monte… Mais en même temps, on se dit que sans cette motivation puissante et intransigeante, ledit gosse n’irait pas au bout de ses limites, ne se donnerait pas tous les moyens de devenir non pas un batteur, mais LE batteur.


C’est réaliste, intense et envoûtant. Et quand je dis envoûtant, c’est vraiment qu’on est envoûté. A la fin de certaines scène, je me surprenait à serrer fort la main de mon namoureux tellement j’étais happé par la musique, le moment, l’action. On retient son souffle quand le duo est en action, l’un s’acharnant sur sa batterie, l’autre hurlant “Plus vite” encore et encore.


Et pour aller vite, le film va vite et ne fait qu’accélérer, poussé sans cesse par ce professeur toujours plus exigeant et suivi avec espoir par cet élève audacieux. Le jeune Miles Teller, que j’ai découvert dans ce film, est excellent lui aussi quand il s’acharne sur sa batterie, les yeux rivés sur son tortionnaire. Il crève moins l’écran que son aîné, mais c’est peut-être aussi son rôle qui veut ça, réservé et discret, il a une ambition plus timide, mais tout aussi tenace. Lui c’est tout ou rien. Soit il devient un génie, soit il ne joue pas.


Au-delà de cette histoire palpitante qui devient une sorte de thriller musical – la tension, l’attente et l’angoisse du thriller sont là du début à la fin ! -, il y a la réalisation qui est incroyable. D’abord, le film a été tourné en dix-neuf jours, un vrai marathon qui a probablement influencé le rythme effréné de toute l’action. Puis il y a les prises de vue avec des plans d’une intensité incroyable, particulièrement dans les face-à-face qui opposent le prof hystérique et l’élève frénétique. Et surtout, surtout, il y a la lumière.


Le film est globalement assez sombre, beaucoup de scènes dans le sous-sol de l’école pour les répétitions, ou dans des salles de concert avec peu ou pas de lumière naturelle. Et toujours, l’éclat de cette batterie dorée qui brille, illumine, éblouit.


Et éblouie, c’est comme ça je suis ressortie de ce film. On est tout retourné à la fin tellement c’est intense, tellement on se fond dans ces deux personnages, le “méchant” qu’on déteste mais qu’on ire, et le “gentil” qu’on prend en pitié mais qu’on aime voir souffrir, parce que souffrir c’est grandir !


Si vous allez voir La La Land et que vous aimez, ne vous attendez pas à retrouver la même ambiance dans Whiplash qui est pour moi moins spectaculaire, mais beaucoup plus fort, plus intense. En résumé, Damien Chazelle, deux longs métrages, deux merveilles…


À lire aussi, avec plein d'autres, sur : http://www.demain-les-gobelins.com/whiplash/

9
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le 31 janv. 2017

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GobelinDuMatin

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