Le succès de Minecraft est incomparable. Un jeu issu de l’anonymat le plus complet est devenu l’un des jeux les plus joués et les plus médiatisés, aussi bien à travers les médias traditionnels que dans les médias participatifs tels que Youtube. Pourquoi ? Parce que toute l’humanité s’y retrouve résumée. Explication…
Au commencement, il y avait Dieu. Comme il s’embêtait, il a commencé à inventer tout plein de choses, et il s’est bien amusé. Mais il était seul, désespérément seul. Aussi créa-t-il l’Homme, un être neuf, capable d’une véritable autonomie. Mais cet être si beau fut tenté par l’immense pouvoir de Dieu, celui de créer. Il décida donc lui aussi de devenir un créateur. Quand Dieu réalisa que sa créature se voulait son égal, il en conçut une colère phénoménale, montra à l’Homme à quel point il était misérable et vil, et l’éjecta de l’Eden. L’Homme devait maintenant survivre. La partie de Minecraft venait de commencer…
Vous vous réveillez donc seul, au milieu de nulle part. Tout autour de vous vous parait à la fois familier et étranger. Vous décidez donc d’explorer les environs. Et la nuit tombe. Et vous réalisez que quelque chose ne va pas. Les ombres sont peuplées de créatures monstrueuses, de dangers incommensurables, et vous prenez conscience de votre mortalité.
Peut-être avez-vous survécu à la nuit, peut-être êtes-vous un autre homme à l’instinct de survie plus développé. Le jour vient, et vous réalisez maintenant que vous êtes Robinson Crusoé : perdu dans un milieu hostile, vous n’avez que trois choses : vos jambes pour vous mouvoir, vos bras pour vous approprier les fruits de la nature, et votre créativité, le fruit de l’arbre de la connaissance motivé par la nécessité. Poussé par l’urgence, car la nuit est une fatalité, vous réalisez qu’il va falloir vous abriter, pour survivre aux monstres qui hantent les ténèbres. De vos mains, vous creusez le sol. De vos mains encore, vous façonnez un abri dans lequel vous pourrez survivre à la nuit. Réalisant que vous êtes à nouveau dans les ténèbres, et donc toujours vulnérable, vous poussez l’ingéniosité plus loin : il vous faut de la lumière même dans la nuit la plus profonde. Bientôt, après avoir exercé votre esprit, vous produisez des torches, substituts au soleil providentiels. Mais tout n’est pas terminé. Vous avez faim. Il va falloir chasser. Vous êtes fatigué. Il faudra aménager votre logis avec le confort nécessaire. Les jours ent, puis les semaines, et votre hutte rudimentaire est devenue un véritable foyer. Une porte protège l’accès à votre maison, un coffre renferme vos possessions, vous cuisez la viande et transformez le minerai, vous cultivez un coin de terre et cartographiez la région. L’impératif de survie est donc déé. Votre moteur est désormais la curiosité. Quels sont ces métaux que j’ai aperçus dans cette grotte ? Jusqu’où puis-je descendre ? Que puis-je trouver au-delà de la forêt lointaine ? Que se e-t-il si j’essaie de cuir du sable ? Puis-je créer de nouveaux objets ?
Vous êtes désormais le maitre d’un environnement auparavant hostile. Vous avez transformé le monde dans lequel vous évoluez.
Minecraft est donc en soi un jeu qui aurait certainement reçu l’approbation de Daniel Defoe. C’est également l’illustration parfaite de l’aventure humaine dans une perspective progressiste. L’Homme n’est pas juste une créature ive soumise au châtiment divin, il est capable de dominer son environnement, et d’être l’égal d’un dieu, la mortalité mise à part.
Mais tout ça, c’est bien joli, mais les mythes des origines restent des mythes : il n’y a pas eu un premier homme et une première femme, mais bien une ou plusieurs communautés. De la même manière, à travers son mode multijoueur, Minecraft e du mythe à la réalité.
Car vous n’êtes pas seul au monde. D’autres hères vous accompagnent. Si au départ vous êtes tout aussi vulnérable seul ou à plusieurs – qu’est-ce que trois moutons quand une infinité de loups se terrent dans les ombres ? –, bien vite de nouvelles perspectives s’offrent à vous : à plusieurs, on peut créer plus. On doit montrer qu’on existe, et ériger des monuments à la gloire d’un seul ou d’une collectivité. Il devient désormais nécessaire de nommer les lieux et les choses, de systématiser les modèles de déplacement, de répartir équitablement l’espace. D’établir des règles de vivre ensemble. Naissent alors la propriété, les délimitations, les descriptions, le dialogue, le partage, les conflits… Les doctrines sociales côtoient les modèles de gouvernement, l’économie s’associe au droit. Le monde connait des limites. Mais la vie n’en devient que plus fascinante.
Minecraft, c’est un hasard. Des jeux, sortis avant et après, se basent sur des principes similaires. Mais il s’agit sans conteste d’une des meilleures simulations de vie qui ait jamais existé, qui transcende même le statut de jeu et s’affranchit de la moindre limite. Non seulement c’est clairement le porte-étendard des jeux sandbox, mais c’est également celui qui vous fera ressentir plus que jamais ce que c’est que d’être vivant, de créer l’histoire par chacun de vos pas. Combien de fois vous a-t-on ressassé la découverte des Amériques par Christophe Colomb ? La plupart des joueurs de Minecraft l’ont vécue, je l’ai vécue : le monde devenait trop plein, à plusieurs en multi nous nous sommes servis des dernières technologies – notamment le voyage sur longue distance via le Nether – pour atteindre une terre vierge que nous avons colonisée. Minecraft est plein de situations absolument pas scénarisées qui sont des reflets de l’histoire de l’humanité.
Plus concrètement, j’ai commencé à jouer à Minecraft en phase d’alpha, je fais donc partie des grincheux qui ont snobbé – gentiment - la vague des nouveaux arrivants de la phase bêta, ainsi que ceux encore plus nombreux de la version « finale ». J’ai donc vu le jeu évoluer, devenir de plus en plus fascinant au fil des mises à jour. Aujourd’hui, je délaisse pas mal le jeu, même si j’ai des phases, généralement consécutives aux grosses màj.
Je ne pense pas que Minecraft soit nécessairement l’un des meilleurs jeux sortis, par contre je suis certain que c’est l’un de ceux qui illustrent le mieux la condition humaine, dans tout ce qu’elle a de magnifique et de dramatique.
