Manic shooter du jeu de rythme, Thumper est une baffe de game feel et de théorie du cerveau triunique. Pour en décrire correctement une session, il faudrait utiliser de la psychographie : voilà où on en est réduit. Car Thumper, c’est moins du gameplay que de la transe pré-limbique. Si les premiers niveaux offrent un challenge sommaire et aimable, la fin nécessite des réflexes surnaturels. Il n’y a pas de déement de soi, mais un déement de sa condition humaine. Une forme d’auto-hypnose pour se convaincre qu’on n’incarne pas le scarabée : on est le scarabée.
Percussions contenues le long d’un rail infini, on ne joue pas la musique dans Thumper, seulement son accompagnement. De la frustration initiale de ces beats qui ne partent jamais, on atteint des rollercoasters de plates-formes, de murs, de piques et de barrières. Sauter dans l’anneau, tomber en stomp pour récupérer la vie perdue au dernier tournant, changer de couloir, gratter les barrières, se laisser glisser sur le terminus, virer à gauche, à droite, se bouffer un serpent. Le regard fixé au milieu de la tempête de couleurs et d’explosions de l’écran, Thumper se joue en précog, toujours un peu dans le futur. Quand la vue ne suffit plus, on anticipe à l’ouïe, puis en extrapolant, en répétant des patterns ressassés comme des leitmotivs, à l’instinct.
La concentration impossible à maintenir laisse place à un multi-threading du cerveau. On devient alors capable de parler sans mourir, d’enchaîner les virages sans réfléchir. Le joueur se transforme en spectateur de sa propre prestation, ne reprenant les rênes de sa pensée que pour les régulières phases de boss, où il s’agira de casser la gueule à des triangles à tentacules et autres sosies punks d’Andross. Le reste du temps, immergé dans le rêve fiévreux de tunnels de lames de rasoir et de couloirs de câbles électriques, on dodeline entre inconscience léthargique et illumination omnisciente.
Ni casu, ni hardcore, Thumper présente un challenge solide, sans jamais se complaire dans les abysses de cruauté d’un Osu!. Ses neuf niveaux offrent une courbe de progression nivelée, lissée, pour permettre un apprentissage graduel des différentes mécaniques sur fond d’accélération permanente. On bloque sur un boss, on coince sur un age, on réapprend à jouer à chaque pause, mais on se relève toujours. Jusqu’à atteindre les deux derniers checkpoints du jeu, récompenses finales d’une initiation de plusieurs heures. Oubliez la vue, laissez tomber l’ouïe, Thumper se brise dans une dernière accélération post-luminique, un dernier boss fight New Age avant les crédits.
Enfant bâtard d’un Bit Trip Runner sans plates-formes et d’un Audiosurf sans personnalisation, Thumper ne prend le meilleur d’aucun monde. Pour le game design traditionnel, c’est une anomalie, un glitch dans le système. Illisible au point de faire er ces sales jeux flash pour des modèles d’ergonomie, ses mécaniques sont si pauvres qu’une manette NES possède trop de boutons pour elles. Et pourtant, ça marche. Thumper cristallise ces tabous dans une expérience aussi viscérale que géométrique, symbiose des sens au service du rythme. On se repère à vue et on navigue à l’ouïe, scarabée électrique fendant un sillon immuable dans la frénésie extatique des patterns infinis.