Cover Carnet de Curiosités : Lectures 2025
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69 livres

créée il y a 4 mois · modifiée il y a environ 14 heures
Le Matin des origines
7.3

Le Matin des origines (1992)

Sortie : mai 1992. Récit

livre de Pierre Bergounioux

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Et puis trop souvent, par la suite, je suis parti seul, chargé d'autant de livres que j'en pouvais porter, vers de grandes villes inconnues où j'avais à devenir. C'est là que j'ai appris à considérer les choses sous le jour triste où se dessine leur nature véritable à moins que ce ne soit notre triste, notre tardive capacité de les voir autrement qui nous les montre, à la fin,sous ce jour désenchanté. »

J'étais persuadé de l'avoir déjà lu et même au tout début de mon périple exploratoire dans les terriers creusois de Bergounioux, encore frais d'enthousiasme, zélé face aux promesses de cette œuvre. J'aurais adoré cette atmosphère de souvenirs blutés, de rêves mordorés, imaginés avec les douceurs du pastel d'un Watteau. Ah mais n'empêche que je l'ai déjà lu il y a trois mois avec la Toussaint tout ça ! Et déjà encore avant ! La Corrèze, les deux jours d'enfance dans le Lot dans la brume d'or, la bécane qui chauffe trop, la maison rose (ai-je lu, d'ailleurs, la Maison rose ?)...

*

« Un fil d’or sertissait le t du volet. Les vieilles choses renaissaient à leur splendeur enfuie. Le noyer poli d’un bahut poudreux, la panse bosselée d’un chaudron à confiture répondaient, du fond de l’ombre, à l’appel du rêve. La rosée, quand nous avons ouvert la porte, s’était évaporée. »

« Il fait si beau que, par la suite, ce qu’on appelle une belle journée ne sera jamais que l’ombre de ce jour. Des arbres fruitiers, des figuiers peut-être, et des noyers poussent sur le talus. Je me rappelle distinctement l’éclat de midi sur la caillasse du chemin, autrement dit rien du tout, puis l’ombre fertile, épaisse, après tant de soleil, encore rien du tout, donc, et après la pièce fraîche, claire qui n’était sans doute que la cuisine de chez Salvant mais qui s’ouvre dans ma mémoire comme l’antichambre de l’Olympe. »

Essai sur la journée réussie
7.2

Essai sur la journée réussie (1991)

Un songe de jour d'hiver

Versuch uber den gegluckten Tag: ein Wintertagtraum

Sortie : mars 1994 (). Essai, Culture & société

livre de Peter Handke

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

L'essai le plus réussi ? Pourtant le moins réussi dans le sens où je saurais vous dire ce qu'est pour Handke une journée réussie. Comme dans les autres Handke se heurte à son méli-mélo dense d'images que l'idée se fait dresser en lui et tente d'en extraire l'essence, même ne serait-ce que la définition. Handke ne sait pas s'ôter de l'ombre d'un doute. C'est alors tout le paradoxe de ces courts essais : nourris de marches, de voyages, de chambres d’hôtel et pourtant si abstraits. Nous perdons nos repères à ainsi suivre une boussole changeante. Des essais flottants sous une résille trop large qui sont et vont là où je ne m'y attends pas.

« Que serions-nous sans ce bruissement ? »

« Et si je manquais un tel instant cela voudrait dire que j'ai manqué le jour entier ? Cette ultime pomme arrachée sans un regard de sa branche au lieu de la cueillir avec circonspection — et tous les accords précédents entre la journée et moi seraient nuls ? Être resté insensible au regard d'un enfant, avoir fui le regard du mendiant, n'avoir pas soutenu le regard de cette femme (ou seulement de cet ivrogne) -et le rythme se casse-t-il et tombe-t-on à l'extérieur de cette journée ? N'y a-t-il plus de recommencement possible aujourd'hui ? La journée est-elle irrévocablement manquée? Avec pour conséquence que non seulement la lumière de ce jour se rabaisse pour moi à celle de la plupart des autres, mais de plus et ce serait l'un de ses dangers, que ce jour menace de basculer de la clarté des formes dans l'enfer de l'informel. »

Traversée sensuelle de l'astronomie (1938)

Sortie : 1938 (). Essai

livre de Jean Giono

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

De fait une relecture puisque cet essai sera intégré avec de rares changements dans les "méditations" du Poids du ciel, lourd de cette poésie cosmique. Sensuel est sûrement le mot clef pour ouvrir le coffre Giono, la clef de voûte de toute l'architectonique de son œuvre, oui mêle sa dite seconde période, au noir (quelle sensualité dans les symptômes du choléra !)
Étrangement sans le lest du reste notamment l'emboitement des moyens de transport, le voyageur-rêveur du train dans les grands froids cette traversée demeure plaisante en diable, mais aussi gazeuse.

« La vie est un phénomène harmonique, une constante rupture d'équilibre, qui engendre un constant appétit d'équilibre. C'est le moyen d'expression de la matière. La raison d'expression de la matière, c'est d'exprimer l'univers. L'univers n'est que vivant. »

« Une quantité infinie de matière existe de chaque côté des classifications de matière. Une quantité infinie de corps existe de chaque côté de la classification des corps. Une quantité infinie de variations fait vivre la moindre partie de l'univers par rapport à elle-même. Une quantité infinie de variations fait vivre les parties de l'univers par rapport les unes des autres. Chaque partie de l'univers a son prisme, sa gamme, sa classification des corps, chaque partie de l'univers a son univers. Il n'y a pas de prismes, il n'y a pas de gammes, il n'y a pas de classification des corps, il n'y a pas de limites. Rien dans l'univers ne peut être autre chose que l'univers; c'est la polyphonie qui va s'élancer de la base chantante de la nuit. »

Les Embrasés
7.9

Les Embrasés (2023)

Sortie : 19 avril 2023. Recueil de nouvelles, Fantasy

livre de Stefan Platteau

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Moutons Élec’ (not RIP) obligent ce fût mélasse éditoriale, un vrai micmac : énième réédition de Dévoreur... mais Platteau, lucide, voulait proposer un texte inédite – qui ne se titre pas les Embrasés. Nouvelle et même novella plus longue que Dévoreur agrémenté d’un micro-texte prologue un peu inutile. En poche ce ne sera que la nouvelle novella. (Où est é Le Roi Cornu dans tout ça ? Sans doute prévu pour une énième édition « de luxe » avant la coulée…)
Quitte à être généreux, il manque toujours selon moi des annexes très "fantasy" : cartes déjà en partie faites, plans de villes, chronologie, glossaire avec illustrations d'Ascaride plutôt que ces vilaines couvertures froides.

Le Nom de la Rose (manque-t-il à Peyr un jeune apprenti naïf ?) Nous retrouvons donc Peyr, avec qui j'avais découvert la plume délicate mais un brin chargé de l'auteur belge. Il manque je crois de relecture, de temps ou d'un regard extérieur pour reciseler et nieller sa plume telle qu'il le voudrait. Peut-être que chez son prochain éditeur... ?

Dévoreur s'intéressait à l'influence des astres sur de menues vies, astrologie efficiente. Cette novella, à l'inverse va chercher dans "l'inframonde" et le poids des douleurs qui tire vers le bas tout en remontant. L'Humain chez Platteau est pris dans ce rhizome, empêtré d'un filet qui va toujours descendant : les planètes pèsent et les fantômes tirent. Bon outre ça, au-delà, il y a l'Outre-songe et ça commence à faire un mille-feuille pas très clair : entre l'enclume, le marteau et la tenaille.

« Un chagrin vaste comme les abysses… »

Dévoreur avait pour lui l'efficace brièveté du conte tandis que les Eaux souffre du même travers que les romans de son auteur, à savoir une certaine tendance à étaler, diluer. Chaque page de Dévoreur était la surprise d’une magie singulière (doigts-fourmis) tandis que LEdslM étire son idée de fantômes remontés à la surface et sa magie, plus timide, effacée est surtout plus classique et moins cohérente - on enchante une flamme pour chercher un corps (mais comment sans "trace" pour la dresser tel un chien renifleur ?) J'y ai trouvé le temps long.

Oh et l'exploration finale avec sa cathédrale souterraine m'a rappelé la Cité diaphane de Faure… en moins évocateur !

La critique de HA sur Yozone pointe lui aussi ce qui me gêne toujours lui, à savoir le familier qui contamine la prose hors des dialogues où tout le monde finit par parler de même voix un peu vulgaire.

[suite en commentaire]

Les Tortues
7.7

Les Tortues (1956)

Sortie : 1956 (). Roman

livre de Loys Masson

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

L'explosion de la tortue ?

{Je suis à la recherche de claques stylistiques dans les auteurs semi-oubliés de la 1ère moitié du XXe siècle. Souvent en vain. Il y eu certes Audiberti et son Abraxas (puis parti vers le théâtre et un néo-dadaïsme ultra-contemporain rutilant qui m'échappe) ; Richaud et son soleil ombragé, peut-être les Javanais vite fait, autre argotille ensablée. Au demeurant les Tortues s'ouvre sur l'insémination des Vanilliers, comme chez le poète Limbour.
Ces trois romans, Les Vanilliers, Abraxas, Les Tortues, "en un ciel ignoré, du fond de l’Océan des étoiles nouvelles", triade comme la ceinture d'Orion.}

« J'ai durement gagné ce peu de silence qu'il y a en moi. »

Ce n'est pas la grasse gouaille célinienne, ni saintjohnpersane selon l’Express de l’époque, que je m'attendais à lire mais c’est tout de même une coulée, fluide avec quelques éclats, pépites ou grumeaux lumineux de fièvre presque cartéruscienne pour ainsi dire. Là tout n'est qu'odeur, étouffante, écœurante, effarante, sidérée. Le age du soufre dans Abraxas. Surtout, comme dans Fragments d'un paradis, livre oral également, le cœur toujours au bord des lèvres. Car nous pouvons le considérer comme un cousin proche, une autre branche de l'arbre descendant de Melville le salué. Là encore la variole n’est pas médicinale et toute cette perspective 'métaphysique' me semble à regarder de loin.
Coup de cœur et dorénavant l'appréhension comme avec deux déjà cités, Limbour, Audiberti, d'un peu moins aimer leurs autres, moins émerveillé, charmé comme un seul coup d'épée unique.

Pour un titre de livre, de recueil. « respirer était rêver »...

« Je me disais aussi que les rames entre mes mains étaient à peine vraies, étaient irréelles comme le ciel. Et moi, le rameur, l’étais-je moins ? é, présent, futur : quels étaient mon é, mon présent, mon futur ? Je ne savais pas. Je ne savais plus. Les rames s’enfonçaient dans l’eau sans bruit, en ressortaient sans bruit. Un peu d’écume comme dans un dessin, c’était tout. Où étais-je ? Qui étais-je ? Le capitaine gardait le silence. Ah, s’il m’avait parlé ! S’il avait sacré contre Barclay et ses tortues ! S’il avait rompu de sa forte voix ce charme dont je cherchais en vain les causes !… Ramenez le monde dans le monde, capitaine ! Mais non, il se taisait. Je me taisais. Les ressacs dormaient. Peut-être les poissons eux-mêmes ? Dieu dormait, qui n’avait plus à gérer que cette création engourdie.

Les Petits Personnages (2022)

Sortie : 3 mars 2022. Recueil de nouvelles, Peinture & sculpture

livre de Marie Sizun

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

Je suis mauvais lecteur. En tombant dessus dans une petite librairie d'une petite ville triste de Sologne l’automne dernier, je ne l'avais pris que pour comparer. Comparer avec les vies minuscules des serviteurs, bien sûr. À ma connaissance elle n’a pas évoqué le Creusois comme source d’inspiration.

Il y a, à la base, cette idée que tout à chacun a en regardant certains tableaux. Mêlant le détail et le sujet arassien dans le tableau. Il suffit de dérouler la bobine des récits. « Ces oubliés de la peinture, ces marginaux, ces créatures à peine ébauchées m’ont toujours intriguée et charmée, mystérieuses, fragiles existences nées d’une idée éphémère du peintre, ou ajout, pointe finale et, qui sait, signature secrète de l’artiste ? »

Sauf que les mirages de Sizun ne font qu'aplatir les toiles avec toutes leurs nuances et leurs diverses aspérités comme on fusionne les calques d'un psd, irrémédiablement, pour n'en garder qu'une pellicule sans relief.

Ce sont presque tous des tableaux de bord d’eau. Mais ce sont surtout des histoires de couples, maris, d'amants, de ruptures, de maternités dans un présent, tant le temps que le contexte, anachronique au plus souvent, basique et fade, platement descriptif (il y a les bonnes descriptions, et les mauvaises). Au vrai, Sizun y colle de la psychologie de série. Un chapelet terraqué de clichés et de tropetons sans surprise ni ombre au tableau.

Au moins nous épargne-t-elle la fausse érudition wikipédienne et ne vas pas directement dans les tartes à la crème des artistes. Pour Turner c’est même mon tableau préféré du maître !

Littérature de tata.

(Je lis trop sur la peinture.)

« Il va se er quelque chose, quoi, ils ne le savent pas encore, mais c’est là, dans cette tendresse sans nom qui les lie et déjà les rend amants. Il ne s’agit pas de la fin d’une journée de travail ordinaire, elle le sait. Ce qui arrive en ce moment ombreux, cette heure dangereuse, elle n’en a plus tout à fait le contrôle. Y aura-t-il un mot ? Un geste ? Aucun témoin de ce qu’il advient là, entre eux, d’étonnant. Personne pour les voir, sinon au loin, ant comme subrepticement sur la placette, derrière le petit pont, entre les arbres taillés au cordeau, une ombre hâtive. »

Hiramatsu (2024)

Symphonie des Nymphéas

Sortie : 12 juillet 2024. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Cyrille Sciama

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

J'ai malheureusement raté l'exposition à Giverny. Elle avait l'air magnifique, pleine de couleurs, de motifs et de formes. La double inspiration est évidente : les Nymphéas et l'art traditionnel japonais, dans une sorte de boucle rétro-active, dessinant le symbole ∞.

L’art de Hiramatsu se distingue par une grande maîtrise technique et une approche sobre de la composition. Il s’inscrit dans la tradition japonaise du nihonga, dont il utilise les matériaux naturels comme les pigments minéraux, la feuille d’or ou de platine et le papier washi, tout en développant un langage personnel. Ses influences incluent les paravents et rouleaux peints de l’époque Edo, les paysages de l’estampe ukiyo-e, mais aussi certains courants occidentaux, en particulier l’impressionnisme pour son traitement de la lumière et de l’atmosphère, et l’abstraction lyrique pour la liberté gestuelle et l’importance accordée à la surface picturale. Son travail repose sur une palette subtile, une composition aérée et une attention fine aux effets de matière. L’ensemble conserve une grande cohérence formelle, où les références croisées s’intègrent avec retenue dans une esthétique calme, précise et dépouillée.

Le catalogue est bien décevant : petit, mince, à couverture souple avec très peu de texte. C'est d'ailleurs une brochure qu'un catalogue digne de ce nom (brochure payante !)...

Monnaie de singe
6.7

Monnaie de singe (1926)

Soldier's pay

Sortie : 1948 (). Roman

livre de William Faulkner

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Son dernier roman.

Que je lis en dernier !

Voilà j'ai lu tous les romans de tonton Faufau’.

Je me souviens de ma découverte du B&lF lors d'un été chaud mais pas caniculaire. Un temps qui s'y prêtait bien — comme Steinbeck. Le Sud de Faulkner, bien qu'ancré dans son époque prenait des tournures légendaires, des allures mythologiques, d'une autre époque, presque antédiluvienne : je m'y échappai presque autant qu'en lisant de la fantasy.

« La nuit était presque tombée. Il ne restait du jour que de pâles vestiges, une odeur, une rumeur, un fantôme de clarté dans les arbres. »

Mélo ! Beaucoup de dialogues. Ce pourrait être une pièce. Il n'est pas facile à aimer ce livre. Normal, presque banal. Saturé sans pour autant être dense.

Dès le début Faulkner écrit autour d'un point aveugle de Cercas, du creux laissé par la fonte de Nushku ou le fœtus fossilisé de Claro : ce McMahon qui jure par son absence, qui nous reste externe, extérieur, opaque ou presque, sans intérieur. Si je devais filmer ce livre, je ne le montrerais pas, du moins pas en entier, par morceaux comme dans un Géricault. Moustique 2nd roman et dernier pas vraiment faulknérien avant Sartoris [Flags in the Dust], était inconséquent, balourd malgré un sujet léger et ironique. Ce 1er roman de Faulkner serait presque un roman normal ?

C'est la formule consacrée : les germes à venir déjà là. (La guerre mettons, présente dès le début, le fantasme puéril des gros avions. Elles auront été toile de fond de toute sa geste.) D'autres l'ont fait alors je ne m'amai pas à ce petit jeu du décompte des graines et thèmes similaires et séminaux, bouts de phrases prophétiques de l’œuvre à venir, l'Annonce à Sartoris, Le Bruits, Absalon, Parabole enfin. Facile, évident. Mais est-ce bien vrai ? il y a bien quelques fioritures de conscience, une ou deux bizarreries formelles, de tournures étranges mais aussi tout un pan sobre si ce n’est classique, trop Fitzgerald. À la lecture de ce premier roman et Moustiques, il serait possible de s'am à imaginer un tout autre Faulkner, faisant fi des expérimentations formelles pour cre la veine plus balzacienne (oh il y a du Balzac chez le vrai mais par rebond, par ironie, de façon Quichottesque pour ainsi dire), plus mondaine avec ses artistes en croisière sur le Fleuve (ou même les parties de Tennis dans Sartoris) ; au style plus clair, translucide, badin ? La question eut-été : à la place ou à côté (toujours contre) de Hemingway ?

Essai sur la fatigue
5.9

Essai sur la fatigue (1989)

Sortie : mars 1995 (). Essai

livre de Peter Handke

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

"Jadis je ne connaissais que des fatigues redoutables."... Lu dans un certain état de fatigue. Cela compte-t-il pour ettre que Handke m'a perdu avec ses fatigues très abstraites, abstruses, obstruées qui deviennent métaphysique et qui jamais ne semblent se relier à un état au moins en partie physique de celle qui peut finir par tuer ? Il ne semble pourtant jamais vouloir ou pouvoir, s'en empêchant lui-même malgré ou grâce à sa forme bâtarde du dialogue et sa fatigue ne devient pas, comme la nausée, un humanisme. Serait-ce à relire ? Cette forme d'essai qui tourne autour du pot n'est pas exempte de fertilité et de poésie.

"Et que te restait-il après cela ? De plus grandes fatigues encore."

*

« Oui, pensais-je, cela c’est une image de la vraie fatigue humaine : elle ouvre, elle fait er, elle ménage un age pour l’épopée de tous les êtres, pour ces chiens-là, aussi. »

« Et tout mon pays est ainsi semé d’infatigables de cette espèce, de ces frais et dispos jusqu’au sein des soi-disant équipes dirigeantes ; au lieu de former, ne fût-ce que pour un instant, le cortège de la fatigue, c’est un tas grouillant, continu, de tueurs et d’hommes de main qui se met effrontément en scène, ils prêtèrent la main à tout autre chose que ceux de tout à l’heure, un tas de gredins et de dirndl devenus vieux mais pas fatigués, meurtriers des exterminations de masse dont a suinté une postérité de julots tout aussi éveillés, toujours, lesquels sont déjà en train de dresser les petits enfants en patrouilleurs, de sorte que jamais, il n’y aura de place pour les minorités dans cette majorité mauvaise, jamais de place pour que se reprenne un peuple de la fatigue ; dans cet État chacun restera seul avec sa fatigue jusqu’à la fin de l’histoire de cet État. Le jugement dernier auquel j’ai cru un moment, en ce qui concerne notre peuple – je n’ai pas besoin de dire quand c’était – n’a pas eu lieu ; ou plutôt les enseignements d’un tel jugement dernier n’ont pas de portée à l’intérieur des frontières autrichiennes, c’est ce que je pense après ce bref temps d’espoir, et n’y auront jamais de portée. Le jugement dernier n’existe pas. Notre peuple, fus-je contraint de continuer dans ma pensée, est le premier peuple de l’histoire définitivement avili, le premier peuple incorrigible, le premier pour tous les temps, incapable de remords, et de retour en arrière. »

Masterpieces of Fantasy Art
8.1

Masterpieces of Fantasy Art (2020)

Sortie : 19 septembre 2020. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Dian Hanson

Nushku a mis 3/10.

Annotation :

[Dans la compacte, non l'énorme à 150 balles aussi lourde que 2 parpaings. On voit moins bien les z'images certes mais ça ne coûte pas un bras, ça rentre dans les étagères, surtout car ça ne le mérite pas.]

Taschen Qualität, très moyenne donc.

Approche par grands noms, une petite douzaine, c'est réduire le sujet, restreindre l'approche avec un effet vignettage où l'on perd au change : c'est effacer tous les autres qui ont façonné par petites touches tout un imaginaire sur plusieurs décennies.
Pire, en plus d’être superficiel, ne rien analyser, le texte est désagréable familier, amer (gneugneu les snobs mais les gens ils préfèrent les dragons !) au style démago, puéril. Ça râle car le ‘grand art’ les snoberait mais ça reste dans le cliché. (idem pour les livres JV tiens, d'ailleurs.) Prendre Dali comme exemple de l'establishment du "grand art" - l'homme de paille n'est pas très clair - ne me semble pas très pertinent, même un contre-sens.

Alors que le sujet mériterait un vrai livre avec approches thématique, stylistique, nationale, historique, de vraies recherches dans les archives comme pour Anime Architecture. Comme pouvait le faire l'ouvrage Voir l'espace d’Elsa de Smet. qui montre que l'on peut traiter le sujet sans blaguounettes pour dire des choses sur la forme, sur le fond, sur la société et pas juste une liste de noms ! C'est creux, sans fond ni perspective.

Put-être que je me fourvoyais en pensant aimer l'imaginaire fantastique, la SF, ses images mais dieu que tout ça est vilain, kitsch, ringard, vieilli. Quasiment pas une page sans meufs à poil, des mecs très virils. Mouais... Est-ce un biais de sélection par l’autrice ou une représentation fidèle ? Un peu des deux à la fois. Moebius n'a pas vraiment dessiné de musclors et de pin-up mais Frazetta n'a pas non plus fait que ça.
Mes goûts fantasy vont (allaient) à des artistes, des styles et des univers pas représentés ici peut-être pas car plus fins mais plus tardifs. Je n'ai jamais eu le goût des jaquettes de métal : aucune nostalgie ne sera venu ici jouer.

Avec un tel ouvrage (à la base) si cher manquent des outils autant basiques qu'essentiels : chronologie, une carte, un tableau, à minima UN INDEX ? Bref ce qui aurait aidé, outre le mauvais texte, à dresser un panorama du paysage spatio/tempo-stylistique de l'art fantastique. Mine de rien pas très généraux...

Loin de la bible que cela devrait (voudrait) être.

Discours de Stockholm
7.4

Discours de Stockholm (1986)

Sortie : 1 mars 1986. Essai

livre de Claude Simon

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

[Suivi de trois écrits de Claude Simon sur le roman dont la préface à Orion aveugle]

« Mais (deuxième façon de lire ces lignes) imaginons au contraire que ce qui importait à Faulkner c’était, avant tout, d’écrire ce bref scintillement de soleil. »

Comme un Bergounioux ou plutôt Bergounioux comme un Simon ressasse et remâche, dans ses textes théoriques, précisant toujours qu'il n'est ni "philosophe" ni "sociologue", les deux-trois même motifs : le même extrait de Proust, de Tynianov sur les descriptions, les mêmes métaphores de l'écriture. Parfois presque mot à mot. Nous ne rentrons pas tant que ça dans l'atelier de la création. In fine, et c'est sans doute la faute à ce rapprochement de textes si cohérents, lire ces répétitions tendent me semble-t-il à ratiboiser sa pensée.

(et une balle perdue pour Malraux)

« Dans une formule particulièrement percutante, Jean Ricardou a défini le roman moderne comme étant non plus "l’écriture d’une aventure, mais, au contraire : l’aventure d’une écriture", et, de son côté, Olga Bernal a très justement souligné que "si le roman du XIXe siècle était un roman du savoir, le roman moderne est essentiellement un roman du non-savoir". »

--
On pourra trouver le discours seul ici :
https://www.nobelprize.org/prizes/literature/1985/simon/25233-claude-simon-nobel-lecture-1985/

*

« Assis avec Proust, sa grand-mère et une marquise bavarde à cette table d’un grand hôtel normand, nous sommes soudain pénétrés, comme devant une peinture de Cézanne ou de Rubens, par ce sentiment pour ainsi dire cosmique que tout dans la nature se commande, est organisation, dépendances, rapports. »

« Dans une telle optique, toute description apparaît non seulement superflue mais, comme le souligne Tynianov, importune, puisqu’elle vient se greffer de façon parasitaire sur l’action, interrompt son cours, ne fait que retarder le moment où le lecteur va enfin découvrir le sens de l’histoire : « Lorsque dans un roman j’arrive à une description, je saute la page », disait Henri de Montherlant, et, dans le Second manifeste du surréalisme, André Breton (que tout pourtant opposait à Montherlant), déclarant qu’il mourait d’ennui à la description de la chambre de Raskolnikov, s’exclamait avec fureur : "De quel droit l’auteur nous refile-t-il ses cartes postales ?" »

Après Caravage (2012)

Une peinture caravagesque ?

Sortie : 13 juin 2012. Essai, Peinture & sculpture

livre de Olivier Bonfait

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

Je voulais le lire depuis sa sortie. Publié en 2012 dans cette chouette coll. Hazan.

On croit connaître la trajectoire : la comète Caravage, sa fulgurance, ses frasques, le tremblement et le scandale puis les caravagesques logiquement, jusqu’à La Tour et les ‘peintres de la réalité’. Manfredi, Baglione, Orazio Gentileschi, Ribera, Guido Reni en parti, un peu Vouet, Valentin de Boulogne.

« Dans cette écriture de l'histoire de la peinture dite "caravagesque", il faut donc quitter le paradigme de l'arbre pour adopter celui du tableau synoptique, car il existe une rupture nette entre Caravage et les peintres actifs après 1610. »

Après Caravage propose une remise en cause de la notion de ces "caravagesques" qui ne serait pas le caravagisme. Aussi refusant les simplifications héritées du XIXᵉ siècle, Bonfait examine-t-il comment Caravage a transformé la peinture européenne, non par la création d'une école stylistique mais en provoquant une pluralité de réponses, diverses, variables selon les lieux de production en Europe, les artistes et les milieux sociaux. Il démontre que ce faire "caravagesque" masque des réalités bien plus complexes, tant dans les usages du clair-obscur que dans la construction de la figure humaine ou le rapport au réel.
Il souligne en cela l’importance de Bartolomeo Manfredi à propos duquel on parle dès le XVIIe siècle d’une "manfrediana methodus" et insiste sur l’autonomie du mouvement caravagesque par rapport à l’esthétique de la peinture de Caravage et cherche à comprendre la genèse d’une peinture de réalité en Europe autour de 1600. Son approche méthodologique privilégie l'étude des contextes de réception et dénonce la tentation d'essentialiser trop vite, trop facilement, ce "style caravagiste".

« Naturellement, il n'est pas question de nier ici l'importance de l'art de Caravage, ni son rôle de détonateur. »

Il est toujours ardu de lire (plus de rendre-compte) de ce type d'ouvrage tant il faudrait par ailleurs lire avant, à côté et après dans les eaux académiques. Si je l'avais repéré à sa sortie, c'était... il y a déjà plus de 10 ans, l'historiographie a bougé. Comme le dit l'auteur, on redécouvre un Caravage toutes les semaines... j’aurais été curieux de voir, au-delà de rares recensions, la réception de ce document. Depuis il semblerait par exemple que l'idée de 'manfrediana methodus', abondamment utilisée ici, soit remise en question, dérivée d'une mauvaise traduction dès l'origine.

Le Palace
8.1

Le Palace (1962)

Sortie : 1 mars 1962.

livre de Claude Simon

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« et l’étudiant pensant : "Mais pourquoi me raconte-t-il tout ça ?"»

Sidération, fragmentation, pulvérisation. Comme un Fabrice del Dongo du début du XXe siècle : il n'y comprenait rien. On n'y voit goutte chez Simon malgré tout. Ses descriptions me font l'effet de ces fins de rêves quand la lumière du jour vient les contaminer : en rêve je n'arrive pas à garder les yeux ouverts alors que mon corps souhaite, à l'inverse, les ouvrir.

Un Simon entre deux eaux (deux hauts ?) car s'il venait de trouver son style avec l'Herbe et surtout avec le séminal Route des Flandres, possédant donc dorénavant toute sa panoplie littéraire et présentant dans ce roman l'une de ses autres obsessions à venir, ce n'est pas l'épaisseur et la densité enivrante des chefs-d’œuvre. J'en suis donc le premier surpris mais j'ai le plus souvent peiné sur ce court roman d'à peine 230 pages.

*

« répandant de part et d’autre d’un océan (puis à travers un continent tout entier, puis à travers un second océan) cette civilisation (ce sceau, cette marque) de la croix reconnaissable du premier coup d’œil aux mêmes et monumentales églises de pâtisserie, aux mêmes cieux incandescents, aux mêmes dockers faméliques, aux mêmes omniprésents et tenaces relents de melon pourri, de poisson frit, de caroubes entassés sur les quais, d’huile rance, aux tapageuses et obsédantes enseignes ("Lavajes – Inyecciónes") de dispensaires pour maladies vénériennes, – la toque emplumée ou la chevelure de bronze (quelquefois il est représenté tête nue, sa longue chevelure de prophète tombant jusque sur ses épaules) servant de perchoir au fatidique pigeon (la colonne elle-même constituant pour ainsi dire l’axe de l’infatigable et frémissante ronde, du permanent tourbillon d’ailes suspendu dans l’air moite, dessinant comme un invisible cône renversé, la pointe en bas) : une colombe, l’oiseau, l’esprit venu se poser dans un frémissement de plumes et de feu comme un signe, comme pour le désigner, l’envoyer, lui insufflant le don de témérité et de mille langues inconnues semblables au jacassement des oiseaux multicolores cachés dans les vastes forêts, à la découverte de terres inviolées pour en rapporter par rapine, persuasion ou violence, l’or, les épices, les âmes et la vérole. »

Plein-ciel
7.5

Plein-ciel (2024)

Sortie : 7 février 2024. Roman, Fantasy

livre de Siècle Vaëlban

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Si j'aime les hauts styles baroques, chantournés, alambiqués Plein-Ciel, malgré sa couverture, reste sage côté langue et grammaire, à part d'étonnantes métaphores culinaires et savoureuse. J'aurais aimé des descriptions précises, techniques de couture, de fabrication des décors, de masques, des pièces.

« — Plein-Ciel n’attend pas, Ivoire. Plein-Ciel exige le perpétuel mouvement et ta dévotion la plus complète, Ivoire des Jouets. »

Si l'univers coloré charme dans un premier temps, notamment par son quasi-huis-clos de l'opéra avec ses corridors, ses alcôves, ses cuisines et ses coulisses façon "tranche de vie" avec ce qu'il faut de pression de la part de la hiérarchie et si la magie intrigue par son originalité et, a priori, structurée, cohérente, après son premier tiers, le ivre déraille très vite vers absurdités c'est-magique, une romance au forceps et un méli-mélo mal calibré, foutraque, mal dégrossi, qui perd en finesse et son propos sociétal à gros sabots.

*

« Lourdes tentures aux broderies minutieuses, tapisserie ancestrale fanée par le temps, délicieux mobilier en bois d’ébène, chandelier aux trente et une bougies. Et, au milieu de ce somptueux fatras, la famille dans laquelle Ivoire avait eu le malheur de naître. »

« Elle était cette chose, ce problème insoluble dont on débattait à chaque occasion. Il n’y avait pas de remède à son apparence, il fallait l’accepter. Mais comment accepter sa difformité alors que chaque membre de sa famille s’évertuait à la faire disparaître ? »

« Ivoire se replia dans un silence confus, essayant d’intégrer ces nouvelles informations, d’empiler les masques les uns sur les autres, de distinguer les faux-semblants des mots véridiques. De trop nombreuses inconnues dansaient dans cette équation : il était grand temps pour elle de jouer sa propre partition. »

Carnets du grand chemin
8.1

Carnets du grand chemin (1992)

Sortie : février 1992. Essai

livre de Julien Gracq

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

Gracq le romancier, styliste, stylite, phraseur, ne m'intimide pas au contraire je m'y love comme dans des cuddle socks tandis que le Gracq essayiste et diariste me fait peur. Acerbe, sans compromis, jamais d'accord avec moi, aigre en apparence comme le un vent coulis, vent noir de fin d'hiver, acide. Des avis comme des coups de sabres, définitifs, à la Nabokov.

Avec leur triage par thèmes — les paysages, longuement, la nourriture, les bateaux, la peinture vaguement, la littérature enfin. Le style de Gracq peut-il (il le ferait déjà selon ses détracteurs) tourner à vide ? Le temps y est parfois un peu long. Au vrai ce volume est certes roboratif mais pas loin de l'écœurement. Ces fragments n'ont pas l'éclat transparent de Nœuds de vie.

Parallèles dressés tout du long de la première partie, dans ses ressemblances, son tempo, ses accointances et ses disparités avec les Semaisons de Jaccottet. Deux chambres mais pas forcément deux ambiances. Un patio existe entre les deux.
Gracq rêche et ronchon. Pas tant réactionnaires ou conservateur qu’arrêté, si tant est qu'il fût un jour en mouvement. Il me fait surtout penser à Tolkien, arraché à un autre siècle (mais lequel ?), avec son petit veston bien cintré, à son bureau d'acajou, isolé dans sa tour-bureau en brique recouverte de lierre. On sait que le Seigneur des anneaux fût pour lui l'une des dernières lectures enthousiastes.

(En fait il ne me reste que deux romans de lui à lire... à moi la poussière et le gravier du chemin, en avançant.)

Idée de citation de titre de livre (pour un recueil de poèmes luministes alourdi d'une inquiétude en sourdine) : "radiance sans couture".

(Lire Châteaubriand ? J'avais adoré le début au lycée et directement acheté les 4 tomes - que je n'ai jamais lus.)

*

« Des étapes comme celle-ci, que je me remémore parmi beaucoup d’autres, avec leur gradation subtile, leurs changements à vue, le très riche jeu d’orgue de leurs éclairages, et leur marche dramatique vers le coup de théâtre ultime et le baisser de rideau de la nuit, ont été pour moi à bien des reprises le décor d’un opéra somptueux où la musique de la Terre montait d’elle-même, où je suffisais à moi seul à figurer tous les registres et tous les rôles, en même temps que j’en étais l’exclusif et privilégié spectateur. »

Suzanne Valadon (2025)

Catalogue de l'exposition

Sortie : 8 janvier 2025. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Daniel Marchesseau

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

[Je note le catalogue, pas l'exposition, encore moins l'artiste]

Plutôt un 5.

Des textes en partie rédigés par "des pas spécialistes" (cf. infra et le goût du "hors spécialistes") avec même un texte littéraire très lourd, factice, qui vient citer Peyramaure comme de véritables sources, très agaçant. Entre les quelques pages académiques sur les dons et legs et celles intéressantes sur le goût des tissus que l'on retrouve tant dans les tableaux de l'époque (côté art classique on sera habitué à ce genre d'approche est commune), ils sonnent comme de courts billets d'humeur, articles de blogs*. Avec ces pages colorées cela donne d'avantage l'impression d'un Cahier de l'Herne.

À tous et toutes reprendre les mêmes citations, les mêmes événements de la vie de Valadon, certes particulière et avec tout ce qui peut attirer et attiser la fable comme Montmartre, l'invitation de Degas, la rencontre avec Toulouse-Lautrec, etc. c'est tout autant signe de cohérence que de manque de latitude dans les approches. Par conséquent la promesse du texte inaugural, très ampoulé lui aussi, sur une vision prismatique et hors du... mythe biographique de la peintresse ne me semble pas tenue. {« Les spécialistes du XXe siècle ont eu beau tirer Suzanne Valadon du silence ou briser la posture réductrice qui la piégeait, ils n'ont pas su extraire son empreinte d'une vision à ce point binaire qu'elle ne pouvait jamais être vraiment personnelle. »}

J'aime les catalogues riches en textes laborieux et annexes. Pourquoi ? Car j'aime l'idée (illusoire souvent) d'y revenir comme d'un outil à utiliser sur le long terme - retourner compulser la biblio, dénicher un détail important, retrouver une note de bas de page essentielle, une image plus jamais reproduite ailleurs. Comme une belle bulle hermétique contenant son petit monde muséal** mais paradoxalement ouverte à tout un flux et reflux d'informations. Or avec ces textes périphériques je vois mal la durée dans le temps.

--
* Évidemment l'habitué de C et de LRd2M ne peut s'empêcher de critiquer "le féminisme".
**Il faudrait normaliser dans ces publications les images — voire un texte des régisseurs et ateliers — sur la scénographie. C'est plus courant en AC.
*** Rêve d'une infographie tissant tous les liens-tableaux entre les expos de par le monde.

La Terre plate
6.4

La Terre plate

Généalogie d'une idée fausse

Sortie : 8 octobre 2021 (). Essai

livre de Sylvie Nony

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

L'autre point G à tant de débats sur Internet : non Godwin mais le 'Oui, avant Galilée qui a osé dire que... on croyait la Terre plate !'

Cette idée fausse irrigue tout un pan de notre culture. Les deux autrices proposent un florilège du XXe siècle montrant que beaucoup d'historien ne vont pas lire les sources premières... jusque dans les manuels scolaires. (Elles mettent soit dit en ant aussi à mal les Somnambules qui me tentait tant)

Les autrices reviennent dans un premier temps sur le savoir factuel durant la Grèce ancienne puis au Moyen Âge et en insistant sur le fait que le MA n'a jamais cru à une Terre plate à part deux illuminés du fond, jamais écoutés et de manière générale que le savoir antique n'a PAS été tant perdu que ça à l'époque médiévale — les curieux de l'histoire de l'astronomie seront en terrain familier.
Puis, plus intéressante, dans un second temps elles détaillent comment cette idée d'un Moyen Âge plat a été créée, déformée et amplifiée par ignorance, paresse ou idéologique, par des auteurs comme Irving ou A. D. White, diffusée encore aujourd'hui. Je n'aurais pas dit non à une troisième partie par un troisième auteur invité, sociologue des croyances, peut-être ?

Le document est (très) synthétique et malgré tout (trop) répétitif — c'est qu'il s'agit d'enfoncer le clou via une pédagogie par le ressassement. Or j'ai la conviction que les gens lisant ce livre ne sont pas ceux qu'il faut convaincre ! Finalement, cette réitération donne un ton parfois désagréable, comme excédé, à bout de patience sur ce (leur) sujet ! Au lieu d'aller un peu plus dans le détail ou les finesses.

Oh et évidemment, c'était la faute à Voltaire !

::Un résumé d'un livre sans rapport qui m'avait échaudé : "l’année 1492 sonne le début de la mondialisation, précédé par l’arrondissement d’une planète jusqu’alors considérée comme plate."::

:: S'il n'est pas nommé leurs critiques de ceux qui s'improvisent historiens des sciences avec notamment le goût des héros me fait penser à celle que pratique un physicien quantique européen que l'on voit un peu partout. Ah, tel penseur antique savait lui ! contre tout le monde et Aristote ! il a osé (cf. comme moi aujourd'hui) ! sans jamais faire le pas de côtés épistémologiques, à tout le moins sémantiques.) ::

La Ville au plafond de verre
6.7

La Ville au plafond de verre (2023)

Sortie : 3 novembre 2023. Roman, Fantasy

livre de Romain Delplancq

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

J'ai tout d'abord imaginé la ville le style, les couleurs, la DA d'ARCANE (2 villes opposées, une nouvelle magie qui modernise, etc.) puis, sa réalité sociale se faisant jour, à celle des DISHONORED avec sa Dunwall sombre, sale.

Dans ce glasspunk, La forge et le verre sont a priori similaires à ce que fait Benett sur les Enlumineurs puis partent dans une direction faussement inattendue — un peu comme dans la Brume la magie déçoit tant ses protagonistes que ses lecteurs et c'est pas plus mal — mais plus intéressante dans ses conséquences. Dans un cadre somme toute classique de la ville haute/citadelle et de la ville basse, le propos est avant social/sociétal, vernis cyberpunk, vers une révolution en marche. Sauf que malgré les noms cités à la fin cela reste très classicos et sans surprise. Surtout ce n'est pas aussi nuancé que cela voudrait l'être.
En fin de compte, nous avons l'impression de deux livres concaténés en un seul, se dispersant, survolant à droite et à gauche pour filer à toute allure vers la fin après des débuts pourtant langoureux.

{Sinon style correct, sobre, tenu sans fausses notes avec quelques sursauts où l'ironie de l'auteur se réfrène pour ne pas trop percer le dit. Personnages plutôt attachants avec l'habituelle structure en alternance.}

Bref, surtout l'envie d'un Dishonored 3.

*

« Ni les guerres ni le commerce n’avaient jamais pu amalgamer la grande macédoine de langues et de cultures qu’on appelait l’Aden. Le moindre ruisseau y changeait de nom selon qu’on le baptisait sur sa rive droite ou sur sa rive gauche. La grande chaîne des Orcarites qui scindait le pays en deux tranches verticales n’y simplifiait rien, et tel ou tel voyageur perdu pouvait encore retrouver, nichés dans les hauts cols, de vieux hameaux surgis d’anciens siècles, ajoutant une énième couleur à cette interminable mosaïque humaine. Tout s’y cultivait, tout s’y minait, tout s’y élevait, tout s’y vivait… Et tout s’y vendait. »

« L’intégralité du spectre social le séparait de l’aristocrate, mais il ne sentait sortir de sa bouche qu’une sincérité acérée là où les forgiers ne prononçaient rien sans l’enrober de sucre. Elle le regardait de haut, bien sûr – et pourquoi pas, d’ailleurs ? On n’apprend pas l’humilité, dans des familles comme la sienne. Mais ses actes avaient témoigné du respect qu’elle lui portait. »

Sonnets (1546)

Sonnetti

Sortie : 10 avril 2025 (). Poésie

livre de L'Arioste

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Traduttore, traditore. Lire de la poésie traduite, certes. En traduction versifiée en plus !
Heureusement, le commentaire de Frédéric Tinguely, érudit mais jamais sec, est là pour accompagner le lecteur dans ces 41 poèmes. Et montre à quel points l'Arioste s'est inspiré des thèmes de Pétraque et qu'à leur tour les Français, du Bellay et Ronsard ont brodé sur les motifs de l'Arioste. Souvent plus dans la réécriture que l'inspiration.

Si ce n'est que comme Dante avant la Comédie, comme Pétrarque ou les Pléiades ce sont avant tout des sonnets d'amour : l'amour héraldique, l'amour indicible, infini, impossible à dire, tout ça thématiques. Cela me laisse tristement de marbre.

Une amitié singulière (2025)

Correspondance 1944-1956 (Henri Calet & Francis Ponge)

Sortie : 13 février 2025. Correspondance, Littérature & linguistique

livre de Henri Calet

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Surprise, motherfucker : celle d’une amitié inattendue entre deux écrivains que, dans leurs écrits, tout oppose. Les lettres échangées sont brèves, peu bavardes, presque sèches. Elles parlent de vacances, de rendez-vous pour se voir, glissent quelques mots d’amitié. Rien de littéraire, rien de flamboyant. Et pourtant, cette amitié existe, discrète, nichée entre les lignes. C’est à l’auteur qu’il revient de la révéler et de combler les silences.
Dans ce ciment après coup, transparaît l’effervescence d’un monde — celui de Gallimard. Une constellation où l’on croise, souvent au détour d’un nom, Audiberti, Limbour, les peintres de l’époque, Braque, Camus… Dès le début, le ton est donné, l’invitation lancée à du beau monde ! : « MM.Audiberti, Henri Calet, Ch.-A. Cingria, René-Jean Clot, René Daumal, Georges Limbour, Henry Michaux, Georges Pelorson, Francis Ponge, Rolland de Renéville, J.-M. Sollier et Jean Paulhan. »

« Parti pris des choses ou parti pris des anonymes solitaires : deux tentatives verbales pour finalement donner corps au mystère de l'altérité. »

Paulhan présent toujours en fond, distant, froid, loin de la chaleur dont il fait montre pour d'autres artistes. Projet de 2026 ? Lire la correspondance de Paulhan, ce grand attracteur de la 1ere moitié du XXe siècle littéraire./ J'ai déjà lu celle avec Jean.

*

« Ponge et Calet se sont donc rapprochés à partir d'un même antifascisme dans l'esprit de la Résistance et aussi parce qu'ils étaient intégrés au même cénacle formé autour de Jean Paulhan, Albert Camus et Pascal Pia. Pendant l'année 1945, chacun déploie une activité considérable. Impérieuse nécessité à un moment de l'histoire où il faut se faire ou refaire une place dans une société meurtrie par cinq années de pillages allemands, de marché noir, de vichysme collaborationniste et d'enfermement de presque deux millions d'hommes dans les stalags. Autant de thèmes qui apparaissent en filigrane dans le roman Le Bouquet, que Calet peut enfin faire paraître en mai et que la critique accueille favorablement .Telles que le romancier les rapporte de façon assez noire, les premières années de l'Occupation contrastent violemment avec le soulagement relatif de la capitulation que l'Allemagne vient de signer. »

L'Art et la Création de Arcane
8

L'Art et la Création de Arcane (2024)

League of Legends

The Art and Making of Arcane

Sortie : 5 décembre 2024. Beau livre & artbook, Cinéma & télévision

livre de Elisabeth Vincentelli

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Un ouvrage pas à la hauteur ? Non pas que j'élève la série au rang de chef-d'œuvre mais, à l'instar des Spider-man récents, ce fût une véritable proposition graphique en e devenir un standard et le résultat d'une maîtrise technique qui relève la barre pour tous les autres. Qu'on l'apprécie ou pas, il y aura clairement un avant et un après Arcane.

Insatisfaisant car s'il y a du texte, c'est en grande partie du babillage verbeux, complaisant, auto-congratulateur et surtout répétitif : il aura fallu que les deux studios apprennent à a travailler ensemble, la créativité avant tout ! ah qu'ils ont bien travaillés ! l'A.D.N. de ci et de ça (comme si la série était essentielle, prédéterminée à être ainsi) et messieurs, dans le respect des joueurs qui ne sont plus la communauté la plus toxique du milieu ! Tandis que la production de A à Z reste très floue dans ses influences (Mucha ? No shit !), ses bifurcations, ses problématiques, ses détails notamment techniques et ce mélange 3D/2D très texturé qui est est avouons-le point fort de la série. Il décrit beaucoup trop la série, son histoire, son univers (et son succès...) qui devrait être l'objet d'un tout autre livre.
Parfois des citations des producteurs ou créatifs délivrent ces précisions concrètes tant attendues et l'on se demande si le format 'entretien' comme chez Macq n'aurait pas été plus fructueux pour une véritable analyse. Manque de détail et ton trop laudatif, ravi de la crèche.

La mise en page est rigolote avec les gribouillis de Jinx mais, danse, surchargée, sans cohérence ni thématique ni chronologique ni topologique ne met pas les concepts art à l'honneur, bien au contraire, toutes étriquées et chevauchées qu'ils sont dans ces pages. Les images en deviennent presque illisibles.

Mais surtout il y a ZÉRO attributions de ces images — croquis, concepts, illustrations plus peaufinées, décors, layout — rien, NADA. Or comme je le dis souvent les livres d'Ubi ont le mérite de tout attribuer et de permettre, outre les honneurs et l'éthique, le suivi des artistes au long cours.


Bref, mes griefs habituels, mais plus prononcés qu'ailleurs. Mêmes problèmes que celui sur Dead Cell. J'imagine que les fans de la série, voulant le beau-livre et et pour l'œuvre seront moins regardant que moi.

https://www.iamag.co/the-art-of-arcane-league-of-legends-90-backgrounds-and-matte-paintings/

La Côte sauvage
7.5

La Côte sauvage (1960)

Sortie : janvier 1997 ().

livre de Jean-René Huguenin

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

On connaît la légende, l'étoile filante façon Radiguet : un (deux) romans et puis s'en vont. Insérez une citation sur la mort jeune et le génie qui n'attend guère. "Il y a des étoiles mortes qui brillent encore parce que leur éclat est pris au piège du temps." Écrit Don DeLillo Salué par la critique, par des auteurs renommés tels que Mauriac, Nimier ou Aragon, élève de Julien Gracq (baignades mystiques et érotisme latent comme Au château d'Argol...)

Au début, j'ai cru que j'allais détester ce roman que je faisais traîner dans ma PAL avec ses dialogues faux comme dans ces vieux films français que les cinéphiles adorent dans leurs premières années... ou d'un Duras estival, disons les Petits Chevaux de Tarquinia. Ça y fume et boit sous des moustaches et des mèches tout autant. Bonjour tristesse...
Mais une nonchalance, une légèreté dolente, audacieux — la cruauté de la morsure n'est jamais loin — pas mortifère pour autant qui sied à mon idiosyncrasie, ou plutôt celle que j'aimerais avoir, ou même celle que j'aimerais retenir, d'avant, d'un regret d'un moi ancien aussi fantomatique que fantasmé. On pourra trouver facile tout ce non-dit, la suggestion. La fin rapide comme dans l'Éducation sentimentale. Je suis dorénavant très curieux de son Journal.

Je crois préférer aux gros romans-monde les courts textes qui se lisent pourtant lentement, à savourer ligne à ligne et faire tourner chaque mot dans sa bouche comme un galet.

« et il les regardait s’éloigner, s’éloigner, glisser loin de lui, et il restait appuyé à la barrière, déchiré par cette illusion de légèreté que donnent les êtres qui nous quittent. »

« Toute chose devenait un scandale à force d’être inconnaissable. Il lui semblait que la vie, les objets, les autres et lui-même, tous participaient à quelque entreprise d’égarement. »

{Tiens, au demeurant pourquoi n'existe-t-il pas d'adaptation ? Par la Nouvelle vague à l'époque, dans les années 80 avec une esthétique romantique kitsch ou maintenant par tout le récent flot Fémis ?}

Vie de Gilles (2025)

Sortie : 2025 (). Recueil de nouvelles, Récit

livre de Marie-Hélène Lafon

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Je n'ai pas lu Les Sources et dont le Gilles de ces deux nouvelles très très courtes était un personnage. Variations minuscules sur le monde du "what if" apparemment.
Accompagné de peinture de Denis Laget. Si j'aime bien le travail de Denis Laget, peintre contemporain parfois figurative, tout entier dans la matière, qui a influencé et même formé une grande partie de la jeune nouvelle avant-garde figurative en , là quelques croûtes brunasses...

Les Heures silencieuses
6.9

Les Heures silencieuses (2011)

Sortie : 4 janvier 2011. Roman, Histoire, Peinture & sculpture

livre de Gaëlle Josse

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

L'ekphrasis mon genre préféré du moins en théorie car le résultat souvent me déçoit ; aimer l'idée surtout ? Ou bien celles qui ne disent pas leur nom ? Ou en écrire moi-même ?
D'un tableau pas très connu d''un peintre habitué aux intérieurs d'églises lavées à grandes eaux plus que les intérieurs cossus de riches armateurs. Le Concert de Vermeer évoqué vers la fin.

« Il éprouve du plaisir à s’interroger sur tout ce qui échappe à notre entendement. La carte des étoiles lui est aussi familière que l’intérieur de sa chambre, et ce qui nous paraît obscur ou mystérieux est pour lui source de ravissement. »

Le projet de Josse est réussi pleinement. L'autrice, le XXIe siècles s'effacent, le petit exercice habituel du récit historique se fond totalement, fond et forme et jamais l'anachronisme ne pointe le bout de son nez.

« Il en est ainsi qu’à certains moments de notre vie, tout concourt à la vêtir d’épines. »

Comme le double Bruegel de Jean-yves laurichesse chez Dougier, le récit est tenu et ténu, joliet et gentillet, pas trop mal écrit mais nonobstant cette douceur, un peu fade, un peu mignarde. Lenteur du récit et de la lecture (pourtant rapide). Le flamand était "éloge de l'individu", paysans, fermière, artisans, ici quelques lamelles de vie, éloge du quotidien, comme un petit pan de vie jaune à Delft. Quelques tourmente, de grands chagrins contenus.

(Il faudrait que je tente du Tracy Chevalier, pis du Sophie Chauveau, Peyramaure...)

***

« J’ai un vœu secret pour ce tableau, qui me fait honte à avouer, tant il est peu convenable. Mais la vie est ainsi, elle recèle quantité de portes secrètes dont on ne soupçonne point l’existence, tant que nul événement ne vient y frapper.

On se découvre alors un visage bien surprenant que l’on peine à accepter comme sien, tant il diffère de celui que l’on montre d’ordinaire, auquel chacun est accoutumé.

Je voudrais que Nicolaes Brouwer figure sur ce tableau. C’est notre maître de musique. Il sera peint de dos, tant il serait peu décent qu’on reconnaisse son visage.

La plume me pèse d’un seul coup. Il faudra pourtant bien que je m’acquitte de cet aveu. »

Début et fin de la neige

suivi de Là où retombe la flèche

Sortie : mars 1991 (). Poésie

livre de Yves Bonnefoy

Nushku a mis 6/10.

Annotation :


« C’est la dernière neige de la saison,
La neige de printemps, la plus habile
À recoudre les déchirures du bois mort
Avant qu’on ne l’emporte puis le brûle. »

Ce qui fut sans lumière
7.8

Ce qui fut sans lumière (1995)

Suivi de Début et fin de la neige

Sortie : 25 août 1995. Poésie

livre de Yves Bonnefoy

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

Pourquoi un tel rejet de B. dans ses planches courbes, son Rôme puis toutefois le plaisir à son arrière-pays où a ce recueil (première plaquette) ? La différence se cache-t'elle dans les strates de Bonnefoy, mille feuilles alternant froideur lointaine et des bouts de saveurs et de couleurs ? Ou a mon caractères, mes humeurs ? Sans doute un peu des deux. Ce qui est sûr c'est que ce n'est toujourspas l'amour ouf comme avec Jaccottet sur lequel, je bats la coulpe, j'ai totalement retourné ma veste depuis ces dix dernières années.

Trois plaquettes réunies. Amplement préféré Ce qui fut sans lumière à Début et fin de la neige.
Les avais-je déjà lu dans une édition des Planches Courbes ? Je ne sais. C'est le souci de ces plaquettes éditées méli-mélo en gros petit recueils "précédé de ... suivi de ..." des années après, c'est qu'elles perdent leur singularité voire leur cohérence chronologique, parfois leurs dessins ou lithographies exécutées pour.

Pas si éloigné de la Toussaint de Bergounioux plus bas. Même carrément proche si d'aventure je ne me trompe pas dans l'ambiance générale de ces poèmes, ce qui en ressort de ce maillage large d'images lavées aux grandes eaux du soir, limpides. Jardins de l'enfance traversés de ronces. Oh et déjà les barques.

Idée de titre pour un livre, de SF : "Ce feu au dédale des mondes"

"Et ne me restent donc que des images, Soit, presque, des énigmes, qui feraient"

"Je prends à pleines mains cette masse sombre Mais ce sont des étoiles"

La Toussaint
7.8

La Toussaint (1994)

Sortie : février 1994 (). Roman

livre de Pierre Bergounioux

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

Lu sans préavis et prêt à ronchonner sur le corrézien (même pas 5 pages avant de nous ressortir - mais peut-être était-ce la première - son laïus sur son trou centre du monde entre ses collines... 49 avant arriérées, son mot favori, fétiche.)
Et pourtant ! re-happé puis rincé, lavé entre des lectures raboteuses, au style de Bergounioux, celui d'avant. Celui d'avant ses lambeaux publiés à la va comme j'te pousse dans l’indifférence générale sur de maigres miettes sociologiques. J'aurais aimé qu'il multiplie ces vies minuscules.

"On est déjà là, épars en ceux qui respirent, dont c’est le moment."

Son père, son grand-père. Où l'on évoque la bête faramineuse, la maison rose, etc. Un territoire encore plus petit que le Comté de Faulkner, un mouchoir de poche, une peau de bœuf pas encore découpée en lanières... Pierre a-t-il eu une vie adulte ? On se demanderait.

Dans La Toussaint, Bergounioux explore la mémoire des morts avec sobriété poignante. Le grand-père et le père, figures d’un héritage pesant, hantent un récit où le é affleure à chaque phrase comme des roche. L’écriture, tendue entre précision et mélancolie, tisse des liens subtils avec le reste de son œuvre, esquissant une continuité souterraine. Il évoque la bête faramineuse, la maison rose, etc.

Étonné par la tentation du suicide suggérée avec retenue qui surgit comme possibilité. Douleur contenue.

*

"Une ancienne image triste, tenace (c’est pareil) va s’effacer. J’en ai une autre, joyeuse, à lui opposer."

"Il n’a jamais beaucoup parlé, alors que ça aurait contribué à éclairer bien des choses."

« On met longtemps, à proportion de ce que ça vient de loin. C’est là depuis toujours, dans l’air, la lumière qu’on est promis à traverser, entre l’éternité de l’avant et celle de l’après ou bien dans le vieux sang venu du fond des âges, avec les noirceurs et les chagrins, les attentes trahies, les regrets, le désespoir.
J’imagine que c’est ce dont grand-père m’aurait parlé, sur le coteau ou ailleurs, peu importe, s’il avait eu la possibilité de s’attarder dans le rai de lumière où nous ons tour à tour. »

La Brume l'emportera
7.7

La Brume l'emportera (2024)

Sortie : février 2024. Roman, Fantasy

livre de Stéphane Arnier

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

J'ai pensé à Hobb dans les ruminations sans fin et à vrai dire répétitives de son narrateur : l'auteur a encore plus tendance à surligner les dilemmes de son récit, même d'y répondre par la voix de son personnage, au lieu de les laisser flotter pour que le lecteur puisse les attraper au vol.
Le grand nœud du récit est d'ailleurs coupé, tel Alexandre le Grand coupant le noeud Gordien, au trois-quart du récit.

Songé à Hobb pour la magie, mystérieuse tout en restant cohérente et rarement un deus ex machina. Surtout, tout du long j'ai attendu une boucle temporelle comme on en voit tant et l'auteur a la bonne idée de ne pas tomber dedans, pour un é fantomatique, inopérant, stérile, mirage bien plus cruel tant pour eux que pour le lecteur qui n'aura pas les fruits de germes caducs.

Quelques (trop) grosses ficelles, coïncidences, hasards heureux, enfin le plus souvent malheureux ...et ce pour relancer la machinerie du récit. En un mot, un petit manque de finesse dans le fond et de subtilité dans la forme. Ou l'inverse.

« Oui, j’étais mal-aimable, mais ne jugez pas trop durement ce vieux Keb : il était fatigué, efflanqué et aigri. Il avait besoin de croire que ses montagnes formaient un roc inébranlable auquel il pouvait se raccrocher – un roc qui ne changerait jamais.

Mais tout change toujours, pas vrai ? »

L'inspiration Maori m'a parfois parue en décalage avec le reste comme posée là et pas tant exploitée. Un peu comme les influences indiennisantes de Plateau sur les forêts d'Europe septentrionale. Je crois que j'aurais aimé un ou deux peuples en plus pour venir enrichir l'univers.
De la même façon, la Guerre n'est pas assez évoquée ou plutôt pas assez évocatrice dans ses descriptions. Sacrifier le futur pour deux-trois escarmouches, une bataille ? Au reste avec cette grappe de personnages qui se croisent et se recroisent cela rétrécit le livre, fait fondre comme neige la taille de son territoire,qui finit comme un mouchoir de poche. J'ai peiné à imaginer à la fois ces îlots de survivants et le monde d'antan, plein de vies. Il est évoqué "quelques milliers". Only? Même pas plusieurs dizaines !? 4-5 personnages se partagent la part du lion.

Comme trop souvent un final bourrin, lassant.

Antonello de Messine (2024)

Une clairière à s’ouvrir

Sortie : 18 octobre 2024. Essai, Peinture & sculpture

livre de Franck Guyon

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« SE POURRAIT-IL qu'un événement soit ce moment si singulier qu'il prend forme et consistance dans le plus grand silence pour répondre en écho, secrètement, à bien d'autres moments: et que tous ainsi se réfléchissent et se nourrissent les uns les autres, par-delà les distances qui les tiennent éloignés, comme à perte de vue, et quelles que soient les directions auxquelles peuvent se soumettre les flèches du temps : et que tous forment alors, les uns pour les autres, et par les autres, une sorte de territoire, de constellation, ou les appels deviennent accueils et les accueils appels ? Sans doute y aurait-il là matière à ruminer, manière de traverser cet ici-bas par le corps et l'esprit. »

Publié dans la récente collection 'Phalènes' chez l'Atelier contemporain, récente maison d'édition spécialisée dans les écrits sur l'art : « Le papillon – particulièrement le phalène, ce papillon nocturne qui se glisse par la porte entrouverte, danse autour de la lumière et finit par s’y précipiter, s’y consumer – semble bien l’animal emblématique d’un certain rapport entre les mouvements de l’image et ceux du réel voire d’un certain statut, instable il va sans dire, de l’apparition comme réel de l’image. » (Georges Didi-Huberman)

Antonello sa textures douce, ses ombres satinées de brun, tendres ocres, ces "bruns de basane" (Giono), sans le bitume flamand, par encore la violence des Caravagismes à venir. À quand une exposition "événement" au musée Jacquemart-André ?

Guyon trop croyant pour moi. Beaucoup de pages (93) pour dire que l'invisible est invisible.
Arasse a écrit un très bon livre, dense et précis, sur l’Annonciation où il montre que les artistes de la Renaissance ont utilisé des variations iconographiques et des dispositifs esthétiques pour suggérer le mystère de l’Incarnation, jouant sur la spatialité, le regard et les détails pour suggérer l’événement sacré.

Les Armées de ceux que j'aime
6.1

Les Armées de ceux que j'aime (2021)

The Armies of Those I Love

Sortie : 21 novembre 2024 (). Roman, Science-fiction

livre de Ken Liu

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Liu est toujours sur le fil du rasoir de la tendresse et de l'humanisme : la mièvrerie pour ne pas dire la niaiserie est sans cesse sous ses pieds. Et quel funambule n'est jamais tombé de sa ficelle ? Cette novella se lit au vrai comme du young adult.

« Elle n'est qu'une coque de noix prise dans le tourbillon d'un engin dément qui baratte le poids de l'histoire. »

Comme dans Horizon: ND c'est du post-post-apo qui refleurit & reverdit sur les chicots délabrés de notre société. Clairement le pitch et l'univers sont le même que dans le jeu du studio Guerilla Games où chaque robot a sa tâche distincte de nettoyage. Cette novella se lit comme un JV. Il est alors facile d'imaginer les dialogues à roue de choix du village, les quêtes annexes à crafter avec des "os anciens" — Franny fabrique une pile, les phases d'escalades magnétisées à la Uncharted sous la jupe de la ville, les combats contre les robestioles avec tous les orbes colorés jaune, violet, bleu à détruire.
Le type de texte qui rafraichit dans un recueil mais qui manque de substance de de profondeur. A l'heur néanmoins de laisser vagabonder l’imaginaire (autres villes, sous l'océan, d'autres continent, dans le ciel ?)

La traduction fait er aux oublier les jeux de mots : Balise/Beacon Hill de Bos[s]ton et le Bosquet sacré/Holly Wood de LAX.

::Alter : texte simili-poético-cosmique façon Bateau ivre aux relents bouddhiques avec trois voix/voies (comme dans l’Ère des cristaux) qui sans surprise ne plaira guère car sortant des clous habituels mais plus intéressant à mon sens — c'est ma came(lote). J'allais dire et si Egan écrivait de la poésie ? En fait pas du tout il ferait ça sous forme de chiffres, de motifs oulipiens, d'algorithmes d'écriture !

*

« C'était ainsi qu'elle commençait chaque histoire : les trois petits cochons, les trois compagnons du moine pieux qui voyageait vers l'ouest, les trois voies s'ouvrant à l’humanité — s'inviter entre les étoiles comme des fusées-comètes au sillage de feu, s'élever dans le nirvana du cloud pour vivre sous la forme d'esprits électroniques, ou rester dans ce monde :

un palimpseste de nos chemins errants,une aquarelle peinte de la nuance du regret,un livre composé des histoires de nos erreurs accumulées.

Nous avons choisi la troisième voie, disait Mère. Nous savons par les histoires ; nous sommes faits d'histoires ; nous ne pouvons pas échapper aux histoires. »

Nushku

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