Cover Carnet de glanures : « Fragments »

Carnet de glanures : « Fragments »

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Liste de

626 livres

créée il y a environ 5 ans · modifiée il y a environ 6 heures
Traversée sensuelle de l'astronomie

Traversée sensuelle de l'astronomie (1938)

Sortie : 1938 (). Essai

livre de Jean Giono

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Une quantité infinie de matière existe de chaque côté des classifications de matière. Une quantité infinie de corps existe de chaque côté de la classification des corps. Une quantité infinie de variations fait vivre la moindre partie de l'univers par rapport à elle-même. Une quantité infinie de variations fait vivre les parties de l'univers par rapport les unes des autres. Chaque partie de l'univers a son prisme, sa gamme, sa classification des corps, chaque partie de l'univers a son univers. Il n'y a pas de prismes, il n'y a pas de gammes, il n'y a pas de classification des corps, il n'y a pas de limites. Rien dans l'univers ne peut être autre chose que l'univers; c'est la polyphonie qui va s'élancer de la base chantante de la nuit. »

*

« À quatre kilomètres d’altitude, le ciel est bleu marine. À huit kilomètres, il est violet sombre. À dix kilomètres, le ciel est noir et poussiéreux comme un écroulement de suie. À vingt kilomètres de hauteur, le ciel est plus noir que le ciel de la plus noire nuit malgré l’éclatant soleil, et malgré le soleil de grosses étoiles vertes le déchirent. D’ici, les bonheurs commencent à se voir en bas sur la terre : un grand morceau de continent, assez étendu pour qu’on puisse en comprendre la composition et l’économie. Des grappes de montagnes, l’eau qui ruisselle, le discours logiquement déroulé des vallées à travers toutes les raisons géologiques des roches, les conclusions des plaines où déjà la plupart des mystères sont mis à la portée de l’homme. La mer ; les contours des caps, des promontoires, la flexion des golfes, l’élan général des terres qui bordent la mer, se prolongeant à ses côtés, avec toutes les tentatives d’amour réciproque des deux matières. Des troncs de fleuves. À cinquante kilomètres de hauteur, le ciel n’est plus un plafond ; il est à l’intérieur d’un océan de ténèbres. L’énorme soleil ne cache rien. »

*

« Car un peuplier qui bruit dans le vent, je le comprend avec mon corps, un chat qui joue au soleil ou l'éclair verdâtre de la truite dans le ruisseau brun, je les comprends avec mon corps, ces images ont un dynamisme sensuel qui me permet de créer les équivalences. »

Les Embrasés
7.9

Les Embrasés (2023)

Sortie : 19 avril 2023. Recueil de nouvelles, Fantasy

livre de Stefan Platteau

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Des siècles de lutte pour bâtir nos royaumes, soupire-t-elle, et pourtant nous ne sommes toujours rien devant la colère de la nature. Quelle leçon d’humilité… les vois-tu, toutes ces œuvres des hommes bousculées, tombées en ruines ? L’orgueil d’une cité jeté bas… »

Du menton, elle désigne le spectacle qui s’étale à ses pieds.

Peyr s’avance à ses côtés et se penche à son tour sur le vide.

Les relents de la ville envasée reviennent empester ses narines. Depuis ce point d’observation surélevé, le regard embrasse les quartiers du port ; il porte même jusqu’à la Neuville, plantée sur l’autre rive de l’Angmuir. Sauf qu’il n’y a plus de rive ; elle s’est perdue dans le lointain, dissoute en reflets fauves dans l’horizon. Le fleuve est partout. Dans la vaste plaine, dans les rues, au pied des remparts, dont de larges pans se sont effondrés, sapés par les eaux. Feddrantir n’est plus qu’une grande souille, un bourbier de gravats, de limons, de bois et de charognes.

*

Les entends-tu, Peyr, se traiter mutuellement de sac à foutre, de rouchie, de suce-la-foire ou de croûte-à-cul, en invoquant les Astres et en se frappant avec leurs symboles sacrés ? Un seul de ces épisodes suffisait à ruiner pour longtemps l’image des deux couvents ! Ce pourquoi, certaines des belligérantes, prenant soudain conscience de leur emportement, s’empressaient d’apporter des soins à celles qu’elles avaient rossées, bien en vue du public. Les cogneuses tombaient alors dans les bras les unes des autres, s’embrassaient en signe de paix, pleurant et riant dans la lumière des Astres… pour mieux recommencer plus tard, malgré leurs beaux serments.

*

« Il repense à l’ombre-Sita, à l’irrépressible vague d’émotions que ses appels au secours ont réveillée en lui. Une tempête enfouie profondément dans ses tripes, et dont il ne soupçonnait plus l’ampleur. Rien qu’à l’évoquer, elle remonte à nouveau dans son ventre, puis déferle dans tout son corps, charriant ses épaves, son écume, et le sel de tous les océans et de toutes les larmes du monde. Un chagrin vaste comme les abysses… »

Les Tortues
7.6

Les Tortues (1956)

Sortie : 1956 (). Roman

livre de Loys Masson

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

« Dans mon pays les cyclones s’annoncent plusieurs jours à l’avance. Ils dépêchent dans le ciel un chambellan de rouge au couchant. C’est le charitable ; le préfacier. Cette pourpre de nuage qu’il étend à longs plis lâches est paisible et riche au possible. À travers elle il édicte le plus parfait des calmes sur la terre. Il descend un peu, il agite une bannière de recueillement sur les fontaines et les vergers. Il bénit. À son signe, de la profondeur des mousses et des écorces une âme monte adorer. C’est partout Bethléem. Les matins s’étirent, et les soirs ; il n’y a presque pas de midis. Les coqs des bois enrobent d’humilité leurs chants ; et les boulbouls aux vantardes crêtes noires côtoient sur les branches l’oiseau de la vierge en manteau roux-capucin, l’orgueil à côté de la révérence — dans un monde sur la route des recommencements, tout prêt à changer de visage… Trois jours ; quatre parfois. Et puis s’en vient le cyclone des chaufferies des îles Cocos ou des hauts de Madagascar, après une ambassade de quelques friselis à ras de terre et d’eau. Il est violent aussitôt s’il est de grande race ; mais il y a des pets foireux qui n’en finissent pas de pluie sale. »

*

« Il est des journées d’avant-drame qui sont pires que le plein drame. Quelque chose vous guette dans le dos ; vous vous retournez, il n’y a rien. Mais à peine avez-vous repris votre position que cela du même mouvement reprend aussi sa place. Puis, sournoisement, cela glisse, va vers la droite mais toujours un peu en retrait, caché — vous regardez à droite, tout aussitôt c’est votre côté gauche qui est assiégé. Vous êtes accompagné, suivi, très net­tement assiégé ; on suppute votre résistance, vos ressources de santé, de chance ; et soudain il y a cette sensation que quelqu’un d’énorme a ri. La sensation, car ce rire vous ne l’avez pas entendu : c’est seulement comme un long biseau de cristal qu’on vous promène sur la nuque. Et voilà que vous devenez deux en vous, comme à un signe — l’homme premier, celui qui jusque-là était le vrai, lentement dissous par l’autre qui, lui, est déjà dans l’avenir, dans l’orage qui monte. Heure après heure il s’y installe. Il prépare les poisons, dessine les chemins de la foudre. Au soir il se croisera les bras, sa besogne achevée ; et alors, en vous, ce qui reste de vous, une sorte de fantôme écrasé, étiré, s’affole — et il n’y a pas de porte… »

Les Petits Personnages (2022)

Sortie : 3 mars 2022. Recueil de nouvelles, Peinture & sculpture

livre de Marie Sizun

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

« Quelle heure est-il ? La lumière est celle d’un crépuscule, tombant d’un ciel bleu-gris où se dessine déjà un très mince croissant de lune blanc qui se reflète sans éclat dans le cours d’eau. C’est sans doute peu après le coucher du soleil. L’impression générale est d’une grande mélancolie, pour ne pas dire tristesse, mais du fait de l’heure incertaine, de l’absence de vie, du caractère fané des coloris, quelque chose suggère aussi le mystère. Les fenêtres du moulin ne sont pas éclairées ; elles semblent ouvrir sur des pièces vides, abandonnées. La journée de travail est terminée. La seule fenêtre éclairée, une petite croisée, est celle de la maison d’habitation. Son jaune orangé est la seule touche de vie du tableau. Le soir annonce avec la fin de l’activité du moulin la reprise du quotidien familial du meunier et des siens. »

*

« Or dans la nature morte qu’aurait pu constituer à elle seule l’image de cette cour – représentée à diverses reprises sans aucune présence humaine –, surgit ici ce personnage, ou plutôt cette idée de personnage, puisque, de la femme apparue, on ne voit que le visage de trois-quarts, sous une coiffe blanche, une épaule et le bras gauche appuyé au rebord de la fenêtre. Et cette apparition accidentelle change tout. De gratuit, secondaire, ce petit personnage devient figure essentielle. Mystérieuse. »

*

« L’essentiel pour nous est d’imaginer ce qui pouvait se er en eux en cet instant qu’ils ont vécu chacun pour soi, mais pourtant bizarrement ensemble, dans une étonnante communauté retrouvée, par la grâce de ce qui les entourait, les portait au meilleur d’eux-mêmes, et en quelque sorte au-dessus d’eux-mêmes. De ces êtres nous ignorons tout, hors l’émotion d’ordre esthétique qui les habite et leur révèle ce que la vie a de meilleur. Et cette émotion partagée entre les uns et les autres, presque à leur insu, comparable à celle que nous permet le théâtre, n’est-ce pas le bonheur ? Même si ce moment de grâce ne dure que le temps où cette lumière leur est accordée. Le souvenir, lui, restera. »

Hiramatsu (2024)

Symphonie des Nymphéas

Sortie : 12 juillet 2024. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Cyrille Sciama

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Devant les œuvres captivantes de Maître Hiramatsu, nous sommes transportés dans un voyage artistique à travers le temps, marqué par les échanges culturels entre le Japon et la . Caractérisées par la sensibilité du mouvement impressionniste et héritées de l'art japonais nihonga, ses ouvres révèlent la richesse et la profondeur de cette fusion artistique. Au moment où nous célébrons les 150 ans de l'impressionnisme, cette exposition rend hommage non seulement au talent de l'artiste, mais aussi au lien indéfectible entre nos deux pays. »

Monnaie de singe
6.7

Monnaie de singe (1926)

Soldier's pay

Sortie : 1948 (). Roman

livre de William Faulkner

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« "J'aurais bien voulu, reprit-il - et sa confession allait au-delà de ce qu'il avait jamais pensé -, j'aurais voulu avoir sa blessure et le reste.
- Et être mort, comme il le sera bientôt ?
Mais que représentait la mort pour le cadet Lowe, sinon quelque chose de vrai, de grand, de triste ? Il vit une tombe - ouverte - et lui-même dedans, avec bottes et ceinturon, des ailes de pilote sur la poitrine, et le chevron des blessés... Que peut-on demander de plus au destin ?
"Oui, répondit-il, oui."»

*

« Charlestown, comme d'innombrables villes du Sud, avait été construite autour d'un campement de chevaux et de mulets attachés en cercle. Au milieu de la grand-place il y avait le palais de justice, bâtiment purement utilitaire construit en briques avec seize belles colonnes ioniques souillées par des générations de mâcheurs de tabac. Des ormes entouraient le bâtiment et sous ces arbres, assis sur des bancs de bois usés et sur des chaises, les pères de la cité, faiseurs de lois solides et de solides citoyens qui croyaient en Tom Watson, ne craignaient que Dieu et la sécheresse, cravatés de noir ou affublés de tenues brossées d'un gris terni et des absurdes médailles de bronze des États confédérés d'Amérique et qui avaient définitivement abdiqué toute prétention au travail, dormaient ou aient les longues journées léthargiques à tailler des bouts de bois, pendant que leurs cadets de tout âge, pas encore assez vieux pour dormir franchement en public, jouaient aux dames ou bavardaient en mâchant leur chique. Un homme de loi, un pharmacien et deux autres plus difficiles à classer, lançaient des disques de fonte dans une direction, puis dans l'autre, entre deux trous creusés dans la terre. Et sur tout cela couvait avril, un avril jeune encore portant midi dans ses flancs. »

*

« Mais Cecily Saunders ne dormait pas. Étendue sur le dos dans son lit, dans l'obscurité de sa chambre, elle entendait aussi les sons assourdis de la nuit, humait les senteurs douces du printemps et des choses qui se développaient dans les ténèbres : la terre, qui observait la roue du Monde, le calme et l'inévitabilité terribles de la vie, qui poursuivait sa course circulaire pendant les heures de ténèbres, franchissait son point mort et se mettait à tourner plus vite, puisait les eaux de l'aube des citernes assoupies de l’orient, interrompait le sommeil des moineaux. »

Essai sur la fatigue
5.9

Essai sur la fatigue (1989)

Sortie : mars 1995 (). Essai

livre de Peter Handke

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Grâce à ma fatigue, le monde était grand et débarrassé de ses noms. J’ai pour cela une image un peu grossière de quatre modes de rapports de mon moi-langage au monde : dans le premier, je suis muet, douloureusement exclu des déroulements – dans le second, la confusion des voix, le bavardage, viennent du dehors jusqu’à l’intérieur de moi et je reste, quant à moi toujours aussi muet, tout au plus capable de crier – dans le troisième, la vie entre enfin en moi, dans la mesure où, involontairement, ça se met à raconter, phrase après phrase, un récit adressé, à quelqu’un de précis un enfant, la plupart du temps, les amis – et dans le quatrième, j’en fis le plus durablement jusqu’ici l’expérience en ce temps de fatigue au regard clair, c’est le monde qui se raconte lui-même, en silence, absolument sans paroles, à moi, comme au voisin spectateur à cheveux gris, là et à la femme splendide qui e là-bas avec une démarche ondulante ; un événement pacifique était en même temps déjà récit, et, à la différence des actions de combat et des guerres auxquelles il fallait un chroniqueur ou un chantre, il se disposait de lui-même en épopée devant mes yeux fatigués, il m’apparaissait, en épopée idéale ; les images du monde fugitif s’intégraient l’une dans l’autre et prenaient forme. »

« Désenchantement ; d’un coup les lignes de l’image de l’autre s’effacent ; lui, elle, ne donne en l’espace d’une seconde d’effroi plus aucune image ; l’image de la seconde d’avant n’avait été qu’un reflet de l’air : Ainsi pouvait-il en être fini, d’un instant à l’autre, entre deux êtres humains – et ce qu’il y avait de plus terrifiant, c’est que du coup, on semblait aussi en avoir fini avec soi-même ; on se trouvait soi-même aussi laid, ou bien, oui un néant comme l’autre, avec lequel on venait encore d’incarner une manière d’être [...], on se serait voulu éradiqué, à l’instant même, évacué comme le maudit vis-à-vis ; jusqu’aux objets autour de soi qui se défaisaient, inutiles ("Le rapide e, fatigué, d’avoir été tant habité" – souvenir d’un vers du poème d’un ami) : le danger que couraient ces fatigues entre couples, c’était de s’étendre par-delà la fatigue propre, en lassitude de l’univers entier, lassitude du feuillage arraché, du fleuve à l’eau soudain comme figée, lassitude du ciel pâlissant. »

Masterpieces of Fantasy Art
8.1

Masterpieces of Fantasy Art (2020)

Sortie : 19 septembre 2020. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Dian Hanson

Nushku a mis 3/10.

Annotation :

[Ils n'y sont pas tous, loin de là...]

« Enki Bilal, Yves Chaland, Serge Clerc, Guido Crepax, Jean-Claude Gal, H.R. Giger, Gaetano Liberatore, Milo Manara, Masse, Chantal Montelier, Jean-Michel Nicollet, Joost Swarte et Alain Voss, ainsi que le Chilien Alejandro Jodorowsky et les Américains Richard Corben et Bernie Wrightson. [...] Chris Achilleos, Julie Bell, Simon Bisley, Charles Burns, Clyde Caldwell, Howard Cruse, Alex Ebel, Alex Horley, Jeff Jones, Michael Kaluta, Paul Kerchner, Rod Kierkegaard, Karl Kofoed, Walter Simonson, Lorenzo Sperlonga, Arthur Suydam, Stefano Tamburini, Boris Vallejo et Luis Royo. »

*

« De retour en , l'enfant créatif découvre Gustave Doré, Gustave Moreau et des sources d'inspiration plus inattendues : "L'été, nous retournions dans le fief familial du Gers. Là, je suis fasciné par les vieilles moissonneuses-lieuses que je découvre dans un hangar. Toutes ces griffes, ces roues dentées, ces transmissions, ce métal! Sans le savoir, notre œil stocke des images et notre imaginaire cherche une clé. Mes vaisseaux spatiaux sont nés indirectement de vieux tracteurs rouillés du Gers. Et puis, il y avait des ciels étoilés incroyables, l'été ! Superposez une machine agricole et ces galaxies, et vous avez mon univers graphique." »

Discours de Stockholm
7.4

Discours de Stockholm (1986)

Sortie : 1 mars 1986. Essai

livre de Claude Simon

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Sans doute est-ce là l'une des raisons du phénomène paradoxal qui fait que, dans le même temps qu'il naît, le roman réaliste commence déjà à travailler à sa propre destruction. »

*

« Eh bien, lorsque je me trouve devant ma page blanche, je suis confronté à deux choses : d’une part le trouble magma d’émotions, de souvenirs, d’images qui se trouve en moi, d’autre part la langue, les mots que je vais chercher pour le dire, la syntaxe par laquelle ils vont être ordonnés et au sein de laquelle ils vont en quelque sorte se cristalliser.
Et, tout de suite, un premier constat : c’est que l’on n’écrit (ou ne décrit) jamais quelque chose qui s’est é avant le travail d’écrire, mais bien ce qui se produit (et cela dans tous les sens du terme) au cours de ce travail, au présent de celui-ci, et résulte, non pas du conflit entre le très vague projet initial et la langue, mais au contraire d’une symbiose entre les deux qui fait, du moins chez moi, que le résultat est infiniment plus riche que l’intention. »

*

« Et alors tout change ! Parce que pour que ce scintillement ait lieu (ce scintillement qui, en un éclair, amène à notre conscience l’ensemble de la nature, de l’univers, la conjoncture qui fait que par le biais d’un angle d’incidence un rapport s’établit entre l’observateur, l’homme qui vide le chaudron, la rotation de la terre, la position du soleil à cet instant précis)… pour que ce scintillement ait lieu, donc, il faut l’homme, il faut le chaudron, il faut le geste, il faut cette micro action qui se trouve du coup indispensable, justifiée, générée par la description, comme le signifie bien la conjonction then montrant clairement que l’“événement principal” c’est bien, en fait, cet éclat de soleil en fonction duquel tout ce petit scénario semble avoir été monté, car c’est seulement alors, après que ce scintillement a eu lieu, que l’homme a le droit de rentrer dans le wagon, à la façon de ces personnages des horloges astronomiques qui sortent de leurs niches ou les réintègrent à un moment précisément détermine par la position des astres : maintenant, Faulkner n’a plus besoin de lui… »

Après Caravage (2012)

Une peinture caravagesque ?

Sortie : 13 juin 2012. Essai, Peinture & sculpture

livre de Olivier Bonfait

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

« Les grands musées devaient posséder « du » Caravage (le Metropolitan réussit à acheter deux œuvres entre 1950 et 2000 et en présente plus ou moins quatre) et offrir des salles « caravagesques >> dans le parcours des visiteurs. À Rome, plus d'un tiers des achats de tableaux caravagesques pour la Galerie Barberini ont été faits entre 1950 et 1960 environ, en écho direct à l'exposition de Milan : ce musée national peut ainsi présenter de nos jours, aux côtés de Caravage, ses rivaux comme Baglione, les artistes qu'il put connaître directement comme le Napolitain Caracciolo ou des peintres qu'il influença fortement, comme Valentin. En Espagne, le Prado a choisi récemment une perspective résolument européenne pour sa salle caravagesque, accrochant côte à côte un Ribera, deux La Tour, un Tournier et un Manfredi, forçant ainsi le dialogue entre des artistes de différentes nationalités qui, pour la plupart, ne s'étaient jamais croisés. »

« L'histoire de la marque Caravage aurait pu s'arrêter là : à un affadissement progressif par des copies et des dérivations, à une dilution de son art révolutionnaire dans une peinture religieuse avec juste quelques effets de clair-obscur et des touches de réalisme. Aucun des artistes cités jusqu'ici (à l'exception de Saraceni) n'apparaît ni dans la liste fournie par Mancini de la schola del Caravaggio ni dans les noms cités par Bellori... Aucune peinture caravagesque donc, mais des tableaux marqués par certains aspects du faire de Caravage : une banale histoire d'influence, de réception collective et d'appropriations individuelles, sans que l'on puisse parler d'un mouvement… »

« Du Dossier Caravage d'Alain Berne-Joffroy publié par l'éditeur du Nouveau Roman, les Éditions de Minuit (1959), à la vie violente de Pasolini (mort en 1975) ou au film Caravaggio de Derek Jarman (1985), la seconde moitié du xxe siècle allait donc être placée sous le signe de Caravage. L'étude des peintres caravagesques ne fut pas en reste: des expositions consacrées ici aux peintres caravagesques nordiques ou français, là aux collections caravagesques de tel musée, sont régulièrement organisées. Naples la populeuse où s'était réfugié le peintre après le crime commis dans la cité pontificale, Naples capitale lettrée parthénopéenne ou Naples ville dangereuse, de la révolte de Masaniello aux rapines des malfrats d'hier et d'aujourd'hui, incarna cette Italie baroque du premier XVIIe siècle et le destin tragique de Caravage. »

Le Palace
8.1

Le Palace (1962)

Sortie : 1 mars 1962.

livre de Claude Simon

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Toutefois il supposa que devait jouer simultanément une autre loi (une sorte de corollaire) un peu semblable à celle des vases communicants et selon laquelle le niveau du contenu dans les divers contenants doit être partout égal, en vertu de quoi l’Histoire se constituait au moyen non de simples migrations mais d’une série de mutations internes, de déplacements moléculaires (comme on dit qu’à l’intérieur d’un métal martelé pour être façonné il se produit de véritables transhumances – ou plutôt quadrilles – de particules), si bien qu’il lui semblait voir, jurant, trébuchant et se croisant dans les escaliers deux files (les descendant et les gravissant) de conquérants-déménageurs ployant sous le double fardeau de leur équipement guerrier et (pour les uns, ceux de la file descendante) de chiffonniers en marqueterie, de coiffeuses enguirlandées, d’aguichantes nudités, croisant (porté par les autres, ceux de la file montante) l’équipement fonctionnel que les besoins de l’Histoire nécessitaient en lieu et place des élégants accessoires conçus pour remédier au nostalgique dépaysement des milliardaires brésiliens,... »

*

« ("... comme une grille d’égout, disait l’Américain, et si on la soulevait on trouverait par dessous le cadavre d’un enfant mort–né enveloppé dans de vieux journaux – vieux, c’est-à-dire vieux d’un mois – pleins de titres aguichants. C’est ça qui pue tellement : pas les choux-fleurs ou les poireaux dans les escaliers des taudis, ni les chiottes bouchées : rien qu’une charogne, un fœtus à trop grosse tête langé dans du papier imprimé, rien qu’un petit macrocéphale décédé avant terme parce que les docteurs n’étaient pas du même avis et jeté aux égouts dans un linceul de mots..." »

Plein-ciel
7.5

Plein-ciel (2024)

Sortie : 7 février 2024. Roman, Fantasy

livre de Siècle Vaëlban

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« C’était la première fois qu’elle pénétrait dans l’antre de la Maîtresse des costumes et des ornements. Elle s’immobilisa, surprise. Suspendues au plafond par des serpents de dentelle, des danseuses habillées de tutus enlaçaient des acrobates ciselés dans d’immenses feuilles d’argent. Les murs, tapissés de soie magenta et de délicates fleurs en tissu, accueillaient des tableaux voluptueux dans des cadres baroques : les couples s’y étreignaient au milieu de paysages sylvestres. Ivoire s’évertua à demeurer imible. »

« Elle pria Nostrae de lui accorder son soutien. Le Génie de la nuit vint, accompagné des quatre autres : Saoffle, Tantris, Liviadel et Freor tournoyèrent sous son crâne en une sarabande endiablée. Leurs masques rituels défilaient dans sa mémoire. Ivoire se rappela toutes les processions auxquelles elle avait assisté, toutes ces journées de carnaval durant lesquelles les citoyens costumés en Génies envahissaient les rues de Nimbostratus jusqu’aux Confins. »

« Ivoire repoussa la voix de Kélicia qui racontait n’importe quoi : il n’y avait pas de plan savamment conçu derrière les mailles de son existence. Elle avait certes bénéficié de la comion de Sylve, mais elle s’était débrouillée seule après sa mort. Par tous les astres, sa vie entière ne pouvait pas reposer sur un mensonge ! Mais Sylve-Sénéchale était un Masque. « Même lorsque tu les croiras sincères, ils te mentiront », avait-elle dit à Dé. « Ils ne savent pas faire autrement, ils se trompent eux-mêmes à chaque fois qu’ils regardent dans un miroir. » Avait-elle été prise au piège de ses propres mots ? Sylve lui aurait-elle menti ? »

« Et, à l’intérieur d’elle, tout était différent. Sa chair avait beau être encore douloureuse, Ivoire ne se sentait plus vraiment fragile. Elle n’était plus une feuille de papier-calque prête à se déchirer sous les coups de crocs. Elle s’imaginait davantage ressembler à cette corne d’ivoire que rythmait Li lorsqu’il prononçait son nom – une constatation fort agaçante, au demeurant. »

« Finalement, le huis clos décrété par la Maîtresse-Jouet aida la jeune femme à retrouver un semblant de paix intérieure. Il n’y avait rien de tel que de travailler dans un Atelier brillamment orchestré avec des artisans de qualité. Ivoire avait toujours adoré cette ambiance si particulière où la création, détachée de son objet final, combinait les talents et la ion des Jouets. »

Carnets du grand chemin
8.1

Carnets du grand chemin (1992)

Sortie : février 1992. Essai

livre de Julien Gracq

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

[Parfait age (un parfage)]

« Le parc de Saint-Cloud, veuf de son château, avec ses avenues convergeant vers le vide, sa perspective étagée qui cascade avec ampleur de palier en palier jusqu’à la balustrade suspendue au-dessus de la Seine, rameute à lui seul dans mon imagination toutes les étoiles de routes désaffectées qui, toujours, m’ont parlé dans la langue même des Sirènes. Routes qui ne mènent plus nulle part, perspectives inhabitées qui ne donnent sur rien, comment ne pas voir qu’elles sont sœurs de ces pièces vides, pleines de gestes fantômes et de regards que nul ne renvoie, dont la vacuité centrale a trouvé place malgré moi presque dans chacun de mes livres ? Il peut se rencontrer pourtant une singularité paysagiste plus rare encore. Dans le site peu connu de la Folie Siffait, proche de la Loire et du petit village du Cellier, site que Stendhal, et, je crois bien, George Sand ont visité au siècle dernier, partout des escaliers en ime, des échauguettes, des belvédères sans panorama, des pans de courtine isolés, des soutènements pour jardins suspendus, des contreforts qui semblent épauler au-dessus du vide le mur de fond d’un théâtre antique, renvoient, sous l’invasion des arbres, à l’image d’un château non pas ruiné, mais éclaté dans la forêt qu’il peuple partout de ses fragments : si jamais l’architecture s’est manifestée sous la forme convulsive, c’est bien ici. Pourtant, tant de préméditation dans l’étrange rebute un peu : il manque, dans cette matérialisation coûteuse et un peu frigide — sur plans et sur devis — de la lubie d’un riche propriétaire désaxé, la pression du désir et la nécessité du rêve qui nous émeuvent dans le palais du facteur Cheval. Ce qui me ramène quelquefois sous les ombrages aujourd’hui très ensauvagés de la Folie-Siffait, c’est plutôt une projection imaginative terminale : j’y vois le prolongement en pointillé et comme le point ultime de la courbe que dessine, depuis la fin du Moyen Age, l’alliance de plus en plus étroite nouée avec la pelouse, le bosquet, l’étang et l’arbre, par l’art de bâtir : j’y déchiffre comme le mythe de l’Architecture enfin livrée en pâture au Paysage. »

Suzanne Valadon (2025)

Catalogue de l'exposition

Sortie : 8 janvier 2025. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Daniel Marchesseau

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Les spécialistes du XXe siècle ont eu beau tirer Suzanne Valadon du silence ou briser la posture réductrice qui la piégeait, ils n'ont pas su extraire son empreinte d'une vision à ce point binaire qu'elle ne pouvait jamais être vraiment personnelle. Qu'importe le traitement favorable qui lui a été réservé durant des décennies au cours desquelles les mauvaises critiques se sont faites rares, qu'importe aussi qu'elle ait souvent permis de faire le liant entre différents récits de l'histoire de l'art, Suzanne Valadon est restée enserrée dans des contradictions rendant difficile toute approche de son œuvre pour ce qu'il était, c'est-à-dire pour lui-même. Ces mécanismes la situent inlassablement entre Gustave Courbet et la nouvelle génération, entre Edgar Degas et les nabis, mais, bien que ce désir ait quelque chose d'inapproprié étant donné son envie de se libérer de tout cadre,il paraît encore impensable de lui accorder la parenté d'un courant propre ou d'appréhender la nature unique de son parcours. »

*

« Quels souvenirs en garde l'histoire de l'art ? é le mélange initial de succès dans la scène de l'entre-deux-guerres et de réticence de l'histoire de l'art à voir chez Suzanne Valadon autre chose que la muse romantisée des grands artistes qui ont croisé son chemin, la critique du XXe siècle réhabilite sa mémoire en voyant dans son autonomie une synthèse de cette période riche en mutations formelles et historiques. Tantôt convoquée comme carte mère matricielle de courants auxquels elle n'a pas pris part, tantôt dépeinte en euse entre deux siècles, entre le classicisme et la modernité. Nourrie par des filiations composites mais jamais étouffantes, elle incarne désormais une figure singulière et capitale pour qui veut se retourner sur le panorama artistique qui a été le sien. Après n'avoir été ni d'une époque, ni d'une autre, Suzanne Valadon devient tout à coup le pont entre ces mondes, dont on observe le plus souvent les contradictions et les ruptures. Ce regard actualisé sur son travail, pour ne pas dire la considération qui lui est enfin accordée, ouvre la porte à de nouvelles lectures de ses toiles où surgissent les indices de correspondances insoupçonnées avec d'autres démarches. »

La Terre plate
6.4

La Terre plate

Généalogie d'une idée fausse

Sortie : 8 octobre 2021 (). Essai

livre de Sylvie Nony

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Comme nous l’avons constaté dans des discussions informelles, certains collègues avouent mentionner dans leur cours la question de la Terre plate à l’occasion de commentaires de documents figurant dans les manuels, qui aujourd’hui, pourtant, ne font plus, sauf exception, mention de cette croyance. Ils pensent ainsi bien faire en complétant un manuel qu’ils jugent lacunaire. On aime de toute évidence croire à ce mythe confortable, qui permet de légitimer une vision linéaire du progrès et une représentation simple de l’histoire, mais aussi certainement dote notre époque d’un doux sentiment de supériorité (alors que bien peu de nos contemporains sont à même de comprendre une page de philosophie médiévale). »

« Il faut donc être attentif à plusieurs points : la révolution astronomique du XVIe siècle ne peut ni se lire sur le mode « un savant seul contre tous », ni sur le mode « la science contre l’Église » – mythe construit par l’histoire positiviste sur la base des procès faits à Galilée – et encore moins sur le mode providentiel du grand homme et du savant-génial-qui-découvrit-la-modernité. En outre, il ne faut pas confondre le retour aux sources grecques restituées dans leur intégrité et la redécouverte des théories. »

« Au même endroit, il est décrit comme "un simple marin se présentant sans crainte au milieu d’un cercle imposant de professeurs, de moines et de dignitaires de l’Église". La délicieuse langue d’aujourd’hui dirait : un self-made-man dressé contre l’establishment. La Terre ronde, ainsi, appartient au génie des humbles, la Terre plate aux bigots et à ceux qui se proclament experts. »

La Ville au plafond de verre
6.7

La Ville au plafond de verre (2023)

Sortie : 3 novembre 2023. Roman, Fantasy

livre de Romain Delplancq

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Un Velast est par nature bouillonnant, fluide, toujours en gestation de lui-même. Il se constitue et se destitue au gré de ses assemblées, des figures qui en émergent et en prennent un temps la barre, de ses éventuelles victoires, de ses régulières défaites et de ses inévitables compromis. D’une ville à l’autre, d’un siècle à l’autre, les Velast mutent tant que les soutiens d’un Velast ici seront les adversaires de tel autre ailleurs. Peu importe : « Velast » n’est le nom ni d’une forme ni d’une organisation. C’est le nom d’une fonction. Une fonction de révolte.

Chaque fois que les pauvres gens se rassemblent pour résister qui à l’Empereur, qui aux barons, qui aux forgiers, il y a un Velast. »

*

« Le nom de Felfedis ne remontait pas très loin. L’arbre généalogique fleuri qui enlaidissait le couloir de leur deuxième étage plafonnait péniblement à deux siècles d’ancienneté, quand la lignée d’un baron varanne remontait les millénaires. Les Felfedis, certes, n’étaient pas nobles. Cependant, ils étaient forgiers, ce qui en cette époque était presque aussi bien ; et à Korost, en particulier, beaucoup mieux. Depuis mille ans, son incomparable fabrication du verre et les innombrables applications qu’en faisaient ses artisans avaient enchâssé la cité comme une des plus belles pierres de la couronne impériale. Et la découverte de l’arnoire deux siècles plus tôt l’avait révélée au monde. L’arnoire, le métal noir, l’or aux tons d’obsidienne, qui permettait aux machines de Korost d’utiliser la lumière du soleil. »

*

« Les ambitieux de tout l’Empire s’y étaient précipités, et les riches marchands d’Ivar avaient joué des coudes pour s’y tailler des parts de lion. Le Felfedis le plus haut perché dans l’arbre du deuxième étage était de ceux-là. On ouvrit des écoles où l’on se partagea les hermétiques secrets de la forge du métal noir, puis on les referma bien vite. On s’empara des filières d’acheminement des précieux minerais. On forma ses enfants, on leur fit épo les rejetons désargentés de l’aristocratie – tout en étalant par-derrière, puis au grand jour, un mépris pour ces débris impériaux qui ne tenaient que par la rente de leurs verreries. La plèbe de Korost surnommait les débris en question "Barons-tessons". »

Sonnets (1546)

Sonnetti

Sortie : 10 avril 2025 (). Poésie

livre de L'Arioste

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Ce fut ici qu'en des nœuds si serrés
Les beaux cheveux me prirent ; que le mal,
Qui me tuerait, naquit ; vous le savez,
Loggias de marbre, toits hauts et superbes,
Ce jour-là dames, cavaliers élus,
Avez reçus tels que jamais Pélée,
Pourtant choisi entre mille héros
N'en eut aux noces par Zeus redoutées.
Bien vous souvient qu'en repartis captif,
Le cœur percé, mais ignorez peut-être
Comment mourus et revins à la vie,
Et que ma dame, aussitôt qu'elle vit
Mon âme en elle de moi retirée,
M'offrit la sienne et qu'encore j'en vis. »

*

« Le soleil clos d'un voile ténébreux
Jusques aux rives extrêmes tendu
De l'horizon, s'entendait le murmure
Des frondaisons, et les tonnerres au ciel ;
Sous une pluie incertaine, ou la grêle,
Je m'apprêtais à franchir les eaux troubles
Du fleuve fier renfermant le tombeau
Du fils hardi du seigneur de Délos ;
Quand j'aperçus l'éclat sur l'autre rive
De vos beaux yeux et entendis des mots
Qui lors pouvaient me changer en Léandre.
Soudainement, la nuée alentour
Se dissipa, découvrant le soleil,
Le vent tomba et s'apaisa le fleuve. »

Une amitié singulière (2025)

Correspondance 1944-1956 (Henri Calet & Francis Ponge)

Sortie : 13 février 2025. Correspondance, Littérature & linguistique

livre de Henri Calet

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Lettre de Christiane MdG :

« En regardant de plus près les notes d'Henri concernant son roman, il m'est venu des idées, nous en parlerons. En tout cas, j'ai la conviction qu'on ne [peut] pas laisser perdre cela. Son œuvre se termine là, dans ce tumulte, dans ce chaos, dans cet échec, dans ces douleurs. Elle y trébuche tout entière, tête première dans le trou de la mort. C'est là qu'est la boucle, il faut en tirer partie. »

*

[Il faudra Perec :]

« Le projet de Calet d'un livre gigantesque sur Paris s'enlise dans sa formule même. Outre qu'il hésite à se tourner vers Grasset, il n'est pas convaincu par une organisation de l'ouvrage arrondissement par arrondissement, ni par une entreprise plus classiquement romanesque.Avec un certain flou dans la formulation, Ponge suggère d'opter pour la première solution, plus fidèle au projet d'origine, sans abandonner toutefois l'idée du roman. Comme Paulhan, il aimerait voir aboutir l'entreprise, mais pour cela il faut de l'argent, et tous savent que Gallimard ne considère pas Calet comme une valeur commercialement sûre.

Lettre du 24 décembre 1955 de Francis Ponge à Henri Calet :

"Voici ce que j'ai reçu hier de Paulhan et ce que je lui ai répondu aujourd'hui. Inutile de vous dire ce que je pense de cette attitude de Gaston Gallimard, à savoir qu'elle est inexcusable. Quant à Paulhan, sans doute ne peut-il sur G. G. davantage (peut-être seulement parce qu'il est persuadé de ne le pouvoir ?...mais cela revient au même). Vous pourrez, j'espère, obtenir des Éditions Grasset les délais et avances nécessaires pour faire de ce livre ce que vous avez grand raison de vouloir faire ;il me semble, en tout cas, que vous n'avez rien à perdre à en faire avancer clairement la proposition 'arrondissement par arrondissement' ? Qu'à cela ne tienne... La division de ce roman (qu'il ne faudra pas sous-titrer ainsi, bien sûr) en 'arrondissements' plutôt qu'en 'chapitres' ne me paraît pas — selon ce que vous m'avez dit — une difficulté insurmontable.

Cela peut vous conduire, au contraire, à une composition originale et à des "beautés supplémentaires." Bref, je voudrais que vous n'abandonniez pas l'idée du roman. Nous en reparlerons, n'est-ce pas ? Je vous téléphonerai lundi. Affectueusement

Francis."»

L'Art et la Création de Arcane
8

L'Art et la Création de Arcane (2024)

League of Legends

The Art and Making of Arcane

Sortie : 5 décembre 2024. Beau livre & artbook, Cinéma & télévision

livre de Elisabeth Vincentelli

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Une chose fascinante est que ce sont des concepts généraux, plus que des références particulières, qui nourrissent l'imagination des créateurs de la série, souvent de manière indirecte. Anne-Laure To, superviseuse artistique chez Fortiche, explique que le processus commence par une immersion visant à assimiler le maximum de sources et d'inspirations.

"Nous consultons énormément d'images sur tous les s possibles. Au début, tout peut sembler confus. On regarde, par exemple, un style vestimentaire
ou une pièce de bijouterie juste pour saisir un aspect ou une forme. Ces concepts s'avèrent par la suite utiles, même s'ils prennent une forme complètement différente."

Certaines inspirations pour le monde d'Arcane ne sont pas nécessairement évidentes au premier coup d'œil, mais viennent indirectement enrichir la façon de concevoir et de représenter les personnages. "Je crois que les formes, les couleurs, les traits ont leur propre langage, poursuit To. Si on développe une forme pour raconter quelque chose en particulier, cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas extrapoler et la transposer dans un autre contexte."
Ce qui est stupéfiant dans Arcane, c'est que l'esthétique même de la série a une influence à la fois globale et dans les détails : certaines décisions d'ensemble modifient notre perception des environnements et des personnages en envoyant un message presque imperceptible, et chaque plan fourmille de détails ayant du sens. En d'autres termes, chaque agrémentation visuelle a sa raison d'être dans cet univers cohérent.

Les palettes de couleurs utilisées jouent notamment un rôle essentiel dans l'approche esthétique. Pour Anne-Laure To, l'inspiration dans l'utilisation des couleurs doit beaucoup à la renaissance médiévale européenne du XIIe siècle. "Je crois que cela vient de l'héraldique.Les couleurs y revêtent différentes fonctions. II y a du symbolisme, par exemple si un personnage porte plus de rouge ou de bleu ; le vert qui indique une substance toxique, etc. Elles renvoient également aux éléments physiques. Que représentent les différentes couleurs ? Comment aident-elles à mettre en perspective la lumière ? Elles contribuent aussi à la composition de l'image, où elles permettent d'attirer l'attention du spectateur sur une zone particulière."

[... suite en commentaires]

La Côte sauvage
7.5

La Côte sauvage (1960)

Sortie : janvier 1997 ().

livre de Jean-René Huguenin

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Olivier le suivait d’un regard de chat. Ce regard, cette présence jamais distraite, avaient parfois fatigué Pierre ; contraint, dès qu’Olivier était là (et il était là chaque jour, au moins au Lycée), de regarder partout, d’écouter tout, de chercher avec lui à tout connaître, entraîné sans repos dans de nouvelles fantaisies, quelque découverte métaphysique, des promenades ou des lectures — Nerval et Valéry, ou Fabre d’Olivet — Pierre ne pouvait jamais s’ennuyer à son gré. Il lui fallait vivre de force. « Que fait-on ? » Olivier savait toujours quoi faire. « Où va-t-on ? » Il allait au hasard, mais le hasard l’aimait, ou plutôt il n’aimait que le hasard des choses. Et si Pierre retournait parfois seul dans quelque lieu qui les avait surpris, il s’agaçait de le trouver médiocre, de s’être laissé jouer. Il détestait particulièrement, ces jours-là, une petite phrase qu’Olivier répétait trop souvent : "Je me juge à ma chance." »

« Un soir où il remontait l’allée, après les avoir regardés partir, il entendit un chant de guitare s’échapper par la fenêtre ouverte du salon. Berthe, sans doute, écoutait la radio. Il s’arrêta. Des herbes qui brûlaient dans un champ voisin répandaient une brume bleutée, légère, pareille à celle des soirs de septembre. Tout à coup il vit ces soirs de septembre à Paris — ces soirs bleus de septembre où la lumière mourante de l’été a la douceur des paupières, quand le soleil s’est couché derrière les bois de Sèvres, quand les réverbères sur le pont, les baies phosphorescentes de l’usine Renault, les fenêtres sur l’autre quai ne brillent pas encore, ni les étoiles, il n’y a plus de lumière et tout n’est plus que lumière, même cette femme en corsage rouge qui tend du linge sur une péniche, tandis que reviennent, du tennis de Boulogne, les derniers joueurs de la saison. »

« De ces journées-là, trop remplies, trop rapides, où il ne profitait pas d’Anne, et dont la dispersion l’engourdissait, il n’épuisa jamais toute la saveur ; ne pouvant s’abandonner tout à fait à l’insouciance générale, ni se retirer dans sa détresse solitaire, il ne les vivait qu’à demi, à regret, — mais il devinait que le recul, le détachement désespéré de la mémoire leur rendraient plus tard leur plénitude. »

Vie de Gilles (2025)

Sortie : 2025 (). Recueil de nouvelles, Récit

livre de Marie-Hélène Lafon

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Vendredi c'est aujourd'hui, il faut y aller. Elle y pense dans le lit. Le matin vert et bleu entre par la fenêtre ouverte. Quand les étés sont beaux,elle ne ferme jamais la fenêtre de sa chambre, ni de jour ni de nuit, et elle n'a ni volet ni rideau. Elle ne veut pas être séparée de la lumière des jours et du velours des nuits, le moins possible. Elle a quitté Paris mardi matin, elle est arrivée en fin d'après-midi sous une pluie fine et molle, presque tiède, une pluie verte de début juillet,comme en suscitent parfois dans leur sillage les orages les plus tonitruants. Les premiers gestes, les premières heures sont toujours les mêmes,depuis huit ans. La maison est un bouquet, les couleurs éclatent, ça pavoise en grand, ça jubile dans la gloire irrémédiable des étés. Sa sœur aînée a la main verte et fait merveille. Les framboises sont velues et tièdes sous la langue Les chemins, celui de la vieille route, celui des blaireaux, celui de la Fougerie ou du Jaladis, chatoient et frémissent dans l'or du soir. Elle se laisse traverser et ne pense à peu près à rien tout en prodiguant les usuels soins de début de saison à la maison de pierre, d'ardoises et de bois. »

*

« Il la regarde rarement aux yeux et elle peine à soutenir son regard vert et noyé qu'il faut happer, arracher, saisir sans pouvoir le retenir. Son frère se noie et il est encore là, encore vivant, il tient, il fait, il demeure dans le cours des choses et des jours ; elle ne sait pas pourquoi,elle ne sait pas comment. Elle espère pour lui des moments moins âpres, des accalmies, de furtives douceurs, des bouffées de joie. Elle avance à tâtons aux lisières de la vie de son frère, elle se tient là, comme en vigie. Elle vient, elle s'occupe du linge, change les draps de lit, l'invite chez elle, n'oublie ni l'anniversaire ni Noël, mais elle est effarée, elle est impuissante. »

Les Heures silencieuses
6.9

Les Heures silencieuses (2011)

Sortie : 4 janvier 2011. Roman, Histoire, Peinture & sculpture

livre de Gaëlle Josse

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« L’ordre, la mesure et le travail sont des remparts contre les embarras de l’existence. C’est ce qu’on nous apprend dès l’enfance. Vanité de croire cela. Chaque jour qui e me rappelle, si besoin était, que la conduite d’une vie n’est en rien semblable à celle d’un stock d’épices ou de porcelaine.
Ce que nous tentons de bâtir autour de nous ressemble aux digues que les hommes construisent pour empêcher la mer de nous submerger. Ce sont des édifices fragiles dont se jouent les éléments. Elles restent toujours à consolider ou à refaire. Le cœur des hommes est d’une moindre résistance, je le crains. »

*

« Nous nous installâmes dans cette maison, au bord du canal ; elle nous parut immense. Nos voix résonnaient dans chaque pièce avant que tapis et tentures ne viennent en étouffer l’écho.

Oui, c’est dans cette chambre, où la vie me parut si douce avant de s’assombrir, que j’ai souhaité être peinte, à ces heures où un soleil pâle vient tiédir le sol et y tracer d’insaisissables figures de géométrie. »

*

« Avec le temps, ce sont nos joies d’enfant que nous convoquons le plus facilement dans nos souvenirs, elles nous accompagnent avec une rare fidélité. Retrouver ce que nous avons éprouvé dans ces moments demeure une source de félicité que nul ne pourra nous ravir. Le cours de nos vies est semé de pierres qui nous font trébucher, et de certitudes qui s’amenuisent. Nous ne possédons que l’amour qui nous a été donné, et jamais repris. »

Début et fin de la neige

suivi de Là où retombe la flèche

Sortie : mars 1991 (). Poésie

livre de Yves Bonnefoy

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Oui, à entendre, oui, à faire mienne

Cette source, le cri de joie, qui bouillonnante

Surgit d’entre les pierres de la vie

Tôt, et si fort, puis faiblit et s’aveugle.



Mais écrire n’est pas avoir, ce n’est pas être,

Car le tressaillement de la joie n’y est

Qu’une ombre, serait-elle la plus claire,

Dans des mots qui encore se souviennent



De tant et tant de choses que le temps

A durement labourées de ses griffes,

- Et je ne puis donc faire que te dire

Ce que je ne suis pas, sauf en désir.



Une façon de prendre, qui serait

De cesser d’être soi dans l’acte de prendre,

Une façon de dire, qui ferait

Qu’on ne serait plus seul dans le langage. »

Ce qui fut sans lumière
7.8

Ce qui fut sans lumière (1995)

Suivi de Début et fin de la neige

Sortie : 25 août 1995. Poésie

livre de Yves Bonnefoy

Nushku a mis 7/10.

Annotation :


« Et j’avance, dans l’herbe froide. Ô terre, terre,
Présence si consentante, si donnée,
Est-il vrai que déjà nous ayons vécu
L’heure où l’on voit s’éteindre, de branche en branche,
Les guirlandes du soir de fête ? Et on ne sait,
Seuls à nouveau dans la nuit qui s’achève,
Si même on veut que reparaisse l’aube
Tant le cœur reste pris à ces voix qui chantent
Là-bas, encore, et se font indistinctes
En s’éloignant sur les chemins de sable. »

*

« Ils aiment rentrer tard, ainsi. Ils ne distinguent
Plus même le chemin parmi les pierres
D’où sourd encore une ombre d’ocre rouge.
Ils ont pourtant confiance. Près du seuil
L’herbe est facile et il n’est point de mort.
  
Et les voici maintenant sous des voûtes.
Il y fait noir dans la rumeur des feuilles
Sèches, que fait bouger sur le dallage
Le vent qui ne sait pas, de salle en salle,
Ce qui a nom et ce qui n’est que chose.
  
Ils vont, ils vont. Là-bas parmi les ruines,
C’est le pays où les rives sont calmes,
Les chemins immobiles. Dans les chambres
Ils placeront les fleurs, près du miroir
Qui peut-être consume, et peut-être sauve. »

*

« Regarde-les là-bas, à ce carrefour,
Qui semblent hésiter puis qui repartent.
L’enfant court devant eux, ils ont cueilli
En de grandes brassées pour les quelques vases
Ces fleurs d’à travers champs qui n’ont pas de nom.
  
Et l’ange est au-dessus, qui les observe
Enveloppé du vent de ses couleurs.
Un de ses bras est nu dans l’étoffe rouge,
On dirait qu’il tient un miroir, et que la terre
Se reflète dans l’eau de cette autre rive.
  
Et que désigne-t-il maintenant, du doigt
Qui pointe vers un lieu dans cette image ?
Est-ce une autre maison ou un autre monde,
Est-ce même une porte, dans la lumière
Ici mêlée des choses et des signes ? »

La Toussaint
7.8

La Toussaint (1994)

Sortie : février 1994 (). Roman

livre de Pierre Bergounioux

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Il devait avoir quelque idée de ce que j’avais touché en fait de dissensions et de bruit. Ça se voit. C’est à croire qu’au dernier moment, quand on est encore en coulisse, dans l’ombre, l’eau du corps maternel, on n’est pas seul. Ils sont là, qui se dépêchent de nous confier ce qu’ils ont dû remporter, à nous charger comme une mule. On est chargé comme une mule, comme celle des prospecteurs de terres inconnues, avec la bâtée, les pelles et les pioches, la barre à mine, le poêlon et la cafetière, les sacs de farine, le lard fumé, le fusil à piston, les amorces, le prélart, les piquets, l’écriteau pour marquer la concession, tout le bazar, sauf que la mule, quand elle commence, c’est sans rien sur le dos. Nous, on arrive tout harnaché, avec le bât au complet. »

*

« Parfois, la veille encore, ç’avait été la belle saison, la gloire lasse des arbres, les odeurs d’herbe qu’on respirait jusqu’en ville, le bleu acide, intense que le ciel prend à ce moment précis de l’année, vers la fin octobre. On pouvait réellement penser que l’hiver ne reviendrait pas, qu’il nous avait oubliés. Les hommes déambulaient en manches de chemise. Les femmes arboraient des corsages blancs, des robes claires. On entendait jusqu’à la nuit tombée des tintements d’outils dans les jardins, des voix par les fenêtres ouvertes. Là-dessus on se couchait et, lorsqu’on ouvrait les yeux, c’était comme un mauvais rêve qui ne voudrait pas se dissiper quand on a pourtant dit le mot, constaté qu’on rêvait. Une clarté louche filtrait au t du volet. On avait la sensation neuve du froid subit qui avait remplacé, pendant qu’on dormait, la rumeur gaie, les femmes aux couleurs vives, tout ce bleu. C’est peut-être que nous dormons. Il nous faut chaque soir faire droit à ce qui demeure d’obscur, d’irrésolu dans le cours de nos jours, au é, à ses ombres, et les choses ont beau jeu, pendant ce temps, de nous échapper. »

La Brume l'emportera
7.7

La Brume l'emportera (2024)

Sortie : février 2024. Roman, Fantasy

livre de Stéphane Arnier

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Je n’aimais pas les gens – je n’aime pas les gens. J’avais de la famille, avant la brume ; des parents, et un frère jumeau – nous reparlerons d’Oldo plus tard. J’avais aussi, si vous m’en croyez, quelques bons amis. Mais je ne ais chacun qu’à faible dose. Toutes et tous, ils m’agaçaient à les côtoyer de trop près, ou trop longtemps. Même ma chienne, parfois, j’avais besoin qu’elle me fiche la paix, et je lui jetais un bâton en lui disant : « Allez, Lampo, va jouer ailleurs, lâche-moi les bottes ! » Toute ma vie j’ai ressenti ça, pour tout le monde, et Driss était l’exception. »

*

« Ma croyance, Keb, c’est que ce qui gonfle là dehors, ce sont les brumes du é ; un é qui remonte des entrailles de la terre. Je pense que cette brume contient le monde d’avant, et que – sous sa surface cotonneuse –, elle s’affaire à le restaurer. Elle le redessine tel qu’il était, au brin d’herbe près, et c’est une tâche si colossale que cela lui demande beaucoup de temps. Mais, quand elle atteindra le plus haut sommet de la plus haute montagne, son œuvre sera achevée : elle se dissipera et le monde reprendra son cours tel qu’il était… avant. »

*

« La plupart du temps, elle ondulait à la façon d’une mer calme. Aux rafales d’altitude, c’est à peine si elle lâchait quelques traits de coton, comme des gerbes d’écume. Elle m’a dépouillé de tout – de mon pays, de ma famille, de mes amis, de mes troupeaux, de ma chienne. Mais c’était ainsi : je ne pouvais m’empêcher de la trouver belle. Par temps clair, des paillettes d’or s’accrochaient aux arêtes de ses vagues. Tôt le matin, je l’ai parfois contemplée en champ de neige éclatant, en pré de poudreuse inviolé. En fin de journée, elle se muait en un paysage de dunes dans lequel je faisais office de dernier mirage.

Ah ! Voyez comme je parle de celle qui a bien failli manger le monde entier ! »

*

« Qui étaient réellement ces bâtisseurs antiques dominant tout le continent, les fondateurs d’un empire si vaste et si puissant qu’on se demande aujourd’hui comment il a pu disparaître ? Cela ne vous intéresse-t-il pas de découvrir ce qu’ils sont devenus, et pourquoi nous autres Daks n’avons trouvé qu’une poignée de ruines en coquilles vides sur les hauteurs de nos sommets ? »

Antonello de Messine (2024)

Une clairière à s’ouvrir

Sortie : 18 octobre 2024. Essai, Peinture & sculpture

livre de Franck Guyon

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

MAIS ANTONELLO est aussi celui qui a peint comme personne cet événement hors du commun, celui qui paraît par là même soudainement détonner, trancher et s'écarter de cette mise en scène instituée, ou l'on retrouve immanquablement les mêmes personnages à jouer leur rôle dans leur décor.
Cette fois, en faisant allégeance à la plus drastique des économies, Antonello peint l'événement avec une sobriété qui finit par confiner au dénuement le plus strict et qui conduit la scène à se vider jusqu'à l'ascèse.Édith de la Héronnière a mille et trois fois raisons, lorsqu'elle écrit: L'Annonciation d'Antonello da Messina est composée d'absences.
Ici, c'est juste, on s'est débarrassé d'à peu près tout. Ici, à première vue, nous sentons-nous quelque peu perdus, et peut-être saisis, et même privés de ce qui constitue ordinairement une Annonciation.

lci, plus rien de cet ange Gabriel enveloppé dans son drapé luxueux, avec ses ailes ouvertes et bigarrées: plus rien de cet époustouflant annonciateur et ses manières de s'approcher, de fotter, de danser, de s'incliner, de sagenouiller, avec son doigt qui pointe, avec l'index et le majeur collés en signe de bénédiction, avec les bras en croix sur la poitrine comme preuves de son humilité et de son recueillement: et plus rien non plus de cette colombe du Saint-Esprit avec ses longs rayons lancés comme des giclées d'or chaud vers cette Marie de Nazareth, Marie l'élue : et plus rien également des fonds d'or, des décors somptueux, des palais, des portiques, des dais, des édicules, des jardins clos, des paysages dans le lointain, des paradis perdus : plus rien de ces lieux, ces intérieurs, plus rien de la chambre de Marie, de ces carrelages, de ces rideaux, ces marbres, et plus rien de ces phylactères : ni lys ni colonne ni porte close ni vase, pas même une hirondelle pour symboliser discrètement dans son coin le printemps de l'humanité ; et plus rien enfin d'une Marie majestueuse et placée sur un trône, ou bien en pied, pas de Marie fileuse,comme l'avait voulu la tradition byzantine. »

Les Armées de ceux que j'aime
6.1

Les Armées de ceux que j'aime (2021)

The Armies of Those I Love

Sortie : 21 novembre 2024 (). Roman, Science-fiction

livre de Ken Liu

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Mais Franny aimait — aime toujours — les questions, car s'il y a une question, il y aura une réponse. Une question n'indique que le milieu d'une histoire, et non sa fin. "J'ai compris qu'avoir la compagnie de ceux que j'ai mais me suffisait", murmure Franny qui ralentit son débit afin de veiller à réciter le sort d'histoire de la manière précise dont Prudence le lui a enseigné. Lui donner vie de son souffle la convainc que Prudence est encore avec elle.
"Que m'arrêter avec les autres le soir me suffisait..." »

*

« "On n'est pas si différents des anciens, dit-elle. A la fin, on ne laissera que nos os, nos dents et nos histoires. Ma noix de prière contient les dents de ma grand-mère,celles de ma mère, et les miennes à présent. Tant qu'elles continueront de cliqueter et de chanter, tu ne seras jamais privée de nos voix."
Franny accepte la noix de prière. En elle, les questions se bousculent. Je vais faire quoi sans toi ? Comment je pourrai apprendre de nouveaux sorts d'histoire des anciens ? Et si j'oublie le son de ta voix, la forme de ton visage, ton odeur quand tu dors, la sensation de tes bras autour de moi...? »

*

« Montant tout du long, le chariot file dans un dédale de tubes, dont certains transparents, ce qui permet à Franny de se repaître des vues intérieures de Boss.Il y a des fourneaux et des fosses dans lesquelles le butin pulvérisé des batterymarches se mélange. Il y a des cuves géantes où des membres, des tentacules, des poutres et des pièces en os ancien s'amalgament et barattent. Il y a des structures imposantes en entonnoir qui se tournent autour, tels des couples dansant sous les étoiles au solstice. Au gré de ce ballet qui les voit culbuter,pivoter, osciller, s'élever et retomber, une pâte collante S'écoule des déversoirs, témoin de leurs mouvements. A mesure qu'ils reviennent en laisser goutter davantage,elle s'amasse, s'épaissit, gonfle, coagule. Enfin, le sillage de la danse se replie en couches qui forment alors des torses de vardkyries, des ventres de batterymarches, des bulbes de somervilleins.
Ainsi naissent les gardiens : on les fabrique. »

Artemisia (2025)

Héroïne de l'art

Sortie : 11 mars 2025. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Maria Cristina Terzaghi

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Toutefois, certaines questions restent ouvertes : ses débuts difficiles, marqués par la collaboration avec son père ; les répliques, obtenues à l'aide de calques ou de cartons, qu'il faut distinguer des copies ; ses rapports d'échanges avec les artistes qu'elle fréquentait.
Deux expositions en 2020 et 2022 ont abordé le parcours artistique de la pittora et les questions mentionnées ici sous différents points de vue. De fait, il ressortait de la monographie 'Artemisia' de la National Gallery de Londres qu'elle était fondamentalement autonome, maîtresse d'elle-même et de son œuvre, bien qu'elle ait traversé différentes phases stylistiques'. La deuxième exposition,"Artemisia a Napoli", a en revanche remis cette perspective confortable en question en introduisant le problème de la collaboration d'Artemisia avec d'autres artistes plus ou moins connus, qui recouraient à une sorte de koinè picturale : la "marque" Artemisia, très recherchée par les commanditaires italiens et européens.
Dans ce contexte, riche en implications intéressantes, nous aimerions reconsidérer certaines œuvres qui peuvent contribuer du moins à jeter un peu de lumière sur le dilemme d'Artemisia. »

*

« La publication d'Artemisia en 1998, la remarquable biographie romancée de l'artiste due à Alexandra Lapierre, a fait de ce personnage auprès du grand public français la figure majeure de l'émancipation des femmes en tant qu'artistes au XVIIe siècle. En Europe, sa personnalité et sa gloire ont un peu occulté le parcours atypique de femmes peintres d'autres nations, des Françaises Louise Moillon, Catherine Girardon et Élisabeth-Sophie Chéron, de la Portugaise Josefa de Óbidos, de l'Anglaise Mary Beale, des Hollandaises Judith Leyster et Maria van Oosterwijk ou des Flamandes Michaclina Wautiers et Clara Peeters, par exemple. Or en Italie même, les carrières des contemporaines d'Artemisia ont été bien étudiées et remises à l'honneur, en particulier dans les régions dont elles étaient originaires. Le catalogue Les Dames du baroque accompagnant l'exposition qui s'est tenue à Gand en 2018-2019, puis ultérieurement celui des manifestations de Hartford et de Détroit), ont proposé une synthèse des recherches actuelles conduites sur ces artistes italiennes du Seicento. »

Textes retrouvés (2003)

Essais, portraits, articles, conférences

Textos recobrados

Sortie : 1 novembre 2024 (). Essai, Littérature & linguistique

livre de Jorge Luis Borges

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Au Paradis du couchant, un Bouddha lui parle d'une divinité dont le nom est l'Empereur de jade : cela fait mille sept cent cinquante kalpas que cet Empereur se perfectionne et chaque kalpa se compose de cent vingt-neuf mille ans. Kalpa est un terme sanscrit; l'amour des cycles de temps infini et des espaces illimités est typique des nations de l'Indostan, de l'astronomie contemporaine et des atomistes d'Abdère. (Oswald Spengler estima que l'intuition d'un temps et d'un espace infinis était le propre d'une culture qu'il appela faustienne; mais le monument le plus inéquivoque de cette intuition du monde n'est pas le drame hésitant et bigarré de Goethe mais le vieux poème cosmologique De rerum natura.) »

« La plaisanterie est pensée ; le calembour, ce sont les miettes ramassées par celui qui n'écoute pas les idées mais les syllabes. II s'attache aux signes et aux apparences du discours, non à son intimité : comme si devant une opération mathématique quelqu'un faisait remarquer que le neuf est un six à l'envers et qu'il tirait des arguments de cette vétille pour l'invalider. »

« Parmi les instruments presque infinis qui sont l’œuvre de l’homme, le plus singulier est le livre. L’épée ou la charrue sont une extension de la main, le télescope ou le miroir le sont de nos yeux. Le livre, en revanche, est une extension durable de l’imagination et de la mémoire, c’est-à-dire de tout le é. »

« J'ai évoqué ces secrets qui n'en sont pas, ces mystères ouverts, ces choses publiques et cachées, car elles me semblent singulièrement applicables à Buenos Aires. Évidemment, Buenos Aires est bien plus qu'un espace défini sillonné de rues qui se coupent à angle droit où l'on trouve beaucoup de maisons basses et de patios. Pour tout habitant de Buenos Aires, la ville, au fil des ans, est devenue une sorte de carte secrète de mémoires, de rencontres, d'adieux, peut-être d'agonies et d'humiliations, et nous avons ainsi deux villes : la ville publique qu'établissent les cartographes, et une autre, la ville intime et secrète de nos biographies. À cette carte personnelle nous pouvons heureusement ajouter aujourd'hui d'autres points, où les faits de la révolution eurent lieu et qui définissent (publique et attachante à la fois) une carte de gloires. »

Nushku

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