Chine contre Chine

L'ouvrage a soulevé une ample polémique au-delà du cercle des sinologues. Ou bien les lecteurs, toujours nombreux à s'engager dans la discorde et appâtés par les pamphlets, si possibles aussi vides que virulents, n'ont pas accordé foi à l'excuse de Jean François Billeter pour ce titre accrocheur, excuse placée pourtant dès la première ligne. Ou bien la portée du livre dée largement l'intérêt des seuls spécialistes.

Le livre est effectivement bref, concis et extraordinairement riche. Le danger en voulant le résumer serait d'ailleurs d'écrire une critique plus longue que le texte même. Que donc, la franchise, l'absence de détours de Li Tcheu m'inspirent ! Qu'on me pardonne les raccourcis et qu'on se reporte au livre qui mérite trois fois d'être lu.

Jean François Billeter s'attaque à une pensée sur la Chine dont François Jullien constitue en francophonie la figure de proue. Elle postule une radicale altérité entre deux mondes : la Chine et l'Occident. En Occident, on s'intéresse au pourquoi des choses, aux causes externes (Dieu, transcendantalisme, explications) tandis qu'en Chine, le monde est tel qu'il est, et la tâche de l'humain est simplement de s'y accorder au mieux (harmonie, méthode, discipline). Billeter montre que cette opposition entre deux entités ne tient pas puisqu'il n'y a pas de Chine unique (pas davantage de pensée occidentale au singulier). Il souligne qu'un dialogue ne peut surgir là où se rencontrent deux étrangers complets (le fou et l'hérétique chez Wittgenstein). Il s'inquiète que la vision de la Chine de François Jullien ne serve un discours officiel néo-confucianiste posant sa stabilité dans un monde changeant. Le régime chinois est l'héritier de deux millénaires d'Empire, lequel a délibérément vendu au peuple une idéologie retorse pour l'asservir. En effet, dans un monde régit uniquement par des lois internes, la possibilité de changer de monde est exclue, le dirigeant constitue la clef de voûte de l'univers, et la liberté de la personne est inconnue.

Votre serviteur, "l'étranger qui s'est arrêté là", parfois tombé dans certaines ornières, pense que tant son expérience de lecteur amateur de chinoiseries que son commerce avec ses amis chinois vont dans le sens des thèses développées par Jean François Billeter, et sont parfois diablement éclairés par elles.

"Le recours systématique au parallélisme, moyen facile de créer une certaine solennité du discours, est aussi la recette du discours creux."

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le 28 août 2023

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Aragne souriante

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