Jérémie Guez joue et gagne
Idir sort de prison. Rien de bien grave, une bêtise de jeunesse : pour complaire à un ami, il a accepté de casser la figure à un type. Six mois de cabane, ça semble peu. C'est beaucoup. Parce qu'avec cet épisode, Idir a déçu sa famille, et surtout son père kabyle, fils d'une famille analphabète, qui a réussi à devenir médecin chez les Français. Au début du roman, nous sommes le 11 septembre 2001, Idir fête ses 24 ans : "Je fête mes 24 ans derrière les barreaux avec pour seuls cadeaux d'anniversaire le bédo le plus mauvais de ma vie et la première grande catastrophe du siècle nouveau (...) Happy birthday ma gueule. Qu'ils aillent tous se faire enculer."
Qu'est-ce qu'on fait quand on a gâché sa vie et qu'on sort de cabane ? Idir s'improvise enquêteur privé. Sans s'embarrasser de licence ou de toutes ces choses inutiles. Et les affaires marchent : double mission d'emblée. Retrouver le jeune Thibaut, disparu depuis deux mois. Et retrouver la voiture volée d'Eric, le père de Thomas, son ex-meilleur ami. A partir de là, Jérémie Guez va promener son héros dans des zones dangereuses, l'envoyer valdinguer contre tous les obstacles possibles, matériels et mentaux.
Cette situation explosive va donner naissance à une intrigue plus complexe que celles auxquelles nous a habitués Jérémie Guez. L'auteur s'en tire avec les honneurs, sans jamais céder à la facilité, et imprime à son histoire un rythme savamment syncopé, à coups d'accélérations et de pauses jamais vraiment sereines. Coupé de ses racines familiales, étranger aux milieux qu'il fréquente, Idir n'est nulle part et n'est pas bien en sa propre compagnie. Côté style, on gagne en richesse et en audace sans perdre ce qui caractérisait déjà les deux premiers romans : la précision, l'acuité, la brutalité même de l'expression. Pour ce troisième rendez-vous, Jérémie Guez nous donne un roman fort, pessimiste, lucide et puissant. Et on lui souhaite tout le succès qu'il mérite.