La décharge de Béatrix Beck – 1979 - réédité 2022 (Editions Le chemin de fer) avec les
dessins de Rob Miles qui ouvrent et ferment le récit, fragments de la vie et du corps de Noémi, son univers, en désordre, exprimant l’essence de ce qui nous est dit dans ce roman.
Noémi Duchemin est une enfant surdouée, née dans une famille dysfonctionnelle, élevée dans une décharge, recueillie après la mort du père par Melle Minnier, institutrice rigide qu’elle vénère jusqu’au désenchantement.
Noémi est une autodidacte précoce, inspirée par Mouchette (film de Bernanos). Son institutrice (inspirée par la sœur de l’auteure, sa perversion venant d’un échec amoureux) lui conseille d’écrire sa vie, sans « écrire fouillis, ni accumuler les coq-à-l’âne". En fait, pour cette femme, » c’est l’occasion unique d’obtenir un témoignage sur ce sous-prolétariat rural » mais pour Noémi ce choc - la trahison de l'institutrice - l’autorise à écrire désormais contre l’institution/école. La misère va trouver sa langue avec elle, une langue verte, rouge, alerte, inventive, e les registres comme un avion la vitesse du son. Ça décoiffe et tant pis pour les conventions.
L’inceste devient insecte : B.B. commet des erreurs de syntaxe (solécismes) et autres dérives de style, et joue avec les mots.
Je n’oublierai jamais comment j’ai halluciné en lisant « On n’oublie jamais le premier, surtout quand c’est son père. Ceux des autres leur tapaient dessus, le nôtre nous mignotait. Il ne trouvait que lui d’assez bon pour nous. Geneviève Talon bramait : vous commettez l’insecte ».
La dernière partie est un feu d’artifice. Grande, elle se débarrasse de l’épicière (coup de fusil déguisé en suicide) et quitte précipitamment Chèvreloup, devient bonne « je ne veux pas dire que j’ai bon cœur : à tout faire je suis. Coupe couds bous rince tord plie hache presse e »
Le destin de Noémi n’est que langue, chance et liberté. « Me voilà à nouveau à battre le pavé, ce qui vaut tout de même mieux que faire le trottoir. J’ai déjà bien monté. Jusqu’où n’irai-je pas ? »
Source : Roger Yves Roche (En attendant Nadeau).
A voir : le film d’Alain Cavalier « Portraits » - 1991 : 10 mn sur Beatrix Beck.
Pour en savoir plus sur Béatrix Beck : Confidences de gargouille (1998). Propos recueillis par Valérie Marin La Meslée à partir des entretiens réalisés entre 96 et 97, corrigés par B. Beck décédée à 94 ans en 2008.