Sans spoilers
C'est avec beaucoup d'attentes que j'ai parcouru les pages de The Labyrinth. Le roman graphique précédent de Stålenhag, The Electric State, m'avait marqué pour ses successions de panoramas fascinants et riches de questions, mais aussi pour son récit noire, poétiquement maitrisé jusqu'à la dernière page.
J'ai donc pris mon temps pour apprécier chacune de ces nouvelles scènes contemplatives, de ces petits paragraphes compactes, en espérant ainsi absorber toutes les subtilités cachées d'une œuvre qui porte les lourdes ambitions de son titre énigmatique : "The Labyrinth". Puis, lorsque j'ai commencé par comprendre où voulait m'emmener, et que j'ai enfin tourné la dernière page, une grande déception m'a envahie.
"Tout ça pour ça ?"
J'avais forcément loupé quelque chose. Pourquoi tout ce découpage pompeux en chapitre ? Pourquoi ce titre ?
À la deuxième lecture, l'impression ne fait que se confirmer : tout ça pour ça.
Sans gâcher la découverte personnelle de chacun, je vais tenter d'expliciter mes reproches mais aussi mettre en lumière les qualités de l'œuvre.
D'un point de vue visuel, on retrouve ce cocktail singulier entre hyper-réalisme, peinture, design rétro-futuriste, si ce n'est qu'ici la direction artistique plutôt sobre de cet univers post-apo semble vouloir attirer notre attention sur le contenu du récit plutôt que sur la beauté purement plastique.
On comprendra assez rapidement qu'au fond, Stålenhag n'a pas écrit et illustré ici un roman graphique, mais un film qui ne dit pas son nom. La succession d'illustrations entrecoupant les courts paragraphes (de pages presque entièrement vides), crée un rythme intentionnel. Très souvent, nous sommes exposés à des natures mortes, capturées à différents intervalles de temps, tandis qu'une voix-off déroule le récit en arrière-plan. Dans ces nombreuses scènes d'intérieur, pauvres en complexité décorative, où l'effort de l'artiste se porte sur la lumière et la texture, on peut sentir l'influence du peintre Edward Hopper, ce qui n'est pas pour me déplaire. Hélas, le revers de ce choix artistique et narratif est un sentiment de lassitude dû à la répétition de plans minimalistes qui n'expriment pas beaucoup d'idées en dehors d'un contexte de film de cinéma.
Qu'en est-il du fond alors et de sa narration ? C'est aussi compliqué. Commençons par les reproches.
Comme The Electric State, le monologue nous permet de comprendre un peu mieux le lore de cet univers mais, d'une part, il est beaucoup plus minimaliste, si bien que les visuels ne nous aident pas spécialement à stimuler notre imagination. Et d'autre part, mon gros problème avec la narration est que les révélations finales me semblent mal amenées. Concrètement, le récit contient des pivots importants qui ne sont pas possibles d'anticiper avant que la narratrice nous mette clairement sur la voie. Et lorsqu'elle commence à lâcher des morceaux, le récit ne laisse plus aucune surprise sur la suite des événements. Donc on tourne un certain nombre de pages en espérant voire plus que ce qui est anticipé... Mais non, les choses se déroulent sans grande surprise, les illustrations ne questionnent plus, n'apportent plus de réponse mais ne font que confirmer ce qu'on a déjà compris, et il n'y a presque rien d'autre à se mettre sous la dent.
Objectivement, si je suis si déçu c'est parce que mes attentes n'étaient pas à la hauteur des ambitions de ce projet, mais aussi parce que ce projet n'est à mon sens pas à la hauteur de sa valeur marchande (35 euros). Concrètement, il faut considérer The Labyrinth comme un court métrage. Oui, vous avez bien lu. C'est un récit storyboardé qui tente de toucher des thèmes subtiles et contemporains, mais dans un cadre très restreint et sur une durée relativement courte.
Une fois cet état de fait digéré, il est possible de reconnaitre l'intelligence du propos, que je vais tenter à présent d'esquisser.
Contrairement à ce que les visuels mis en avant suggèrent, l'intérêt ne réside pas dans cet environnement inconnu et inhabitable. Cette catastrophe n'est qu'une analogie des épreuves qui mettent sous pression l'humanité ou la société.
Ce que ce récit explore vraiment, c'est le dilemme moral auquel l'être humain est confronté lorsqu'il doit survivre tout en mettant en péril son humanité. Je n'entrerai pas dans les détails, mais j'y ai vu une tragédie qui aborde aussi bien le défi humanitaire du réchauffement climatique que celui du terrorisme.
En somme, ce qui m'ennuie dans cette œuvre est la dichotomie entre le format et le contenu. Il est très voyant que Simon Stålenhag voulait réaliser un film, un court-métrage d'auteur épuré, sans le moindre compromis (il a d'ailleurs publié une bande originale officielle pour accompagner la lecture). Malheureusement, écrire ce projet comme un storyboard met en lumière les limites de cette proposition hybride : les illustrations, peu nombreuses par rapport à une bande dessinée classique et souvent répétitives, n'apportent pas beaucoup d'informations par rapport au texte, ou parfois trop d'informations. Une seule illustration peut parfois suffire à comprendre le contenu des quatre pages suivantes, diminuant ainsi leur intérêt.
Enfin, un dernier mot sur ce motif éponyme du labyrinthe : s'il est suffisamment vague pour évoquer divers aspects de l'intrigue, il ne me semble pas mérité et contribue, avec sa couverture, à induire les lecteurs en erreur sur le contenu réel de ce récit.