Il m’arrive d’oublier l’existence des big data. J’avais conservé un bon souvenir de la lecture, il y a deux ou trois décennies, de la biographie de Robert S. Tuck. Je m’apprêtais à me mettre en sa quête, quand je me souvins opportunément de l’existence de Google, deux clics et un virement plus tard, il ne me restait plus qu’à patienter un couple de jours pour recueillir le petit ouvrage bleu délicatement empaqueté dans ma boîte aux lettres. Nos enfants ignoreront tout du plaisir de la chasse dans les réserves d’un bouquiniste, de la joie brutale de la découverte après la longue épreuve de l’attente. Mais là n’est point le sujet, faisons fi de ces ratiocinages.
Larry Forrester a su parfaitement décrire un guerrier. Tuck le chanceux a survécu à deux collisions en vol, un plongeon dans la Manche, plusieurs crashs, d’innombrables combats et à une longue captivité. Si le trop « bon allemand » Galland m’ennuie par ses justifications maladroites et ses amitiés tardives, Rudel par sa carrure de surhomme nazi, Clostermann par sa ion pour le vol et son aspect trop lisse, j’aime Tuck pour sa franchise. La guerre, c’est fait pour tuer. Il ne joue pas au chevalier du ciel. Il abat un Me 110 après un dur combat, s’approche pour saluer son adversaire. Ce dernier l’accueille à coups de pistolet : il revient sur ses pas et le tue. Tuck, c’est Rolland furieux, bien que sans haine, il combat avec furie.
Il est réputé par sa chance. Jusqu’à ce soir, où il poursuit un Ju 88 solitaire et le touche. Le boche parvient à s’échapper dans une masse nuageuse après avoir largué son chargement au hasard sur la campagne des Galles du Sud. Le soir même, il apprend la mort de son beau-frère, seule victime d’une bombe perdue. Au lieu de s’effondrer sous le poids de la culpabilité, au lieu de maudire le dieu de la guerre, il accepte le coup du sort et décide, ne pouvant rien y faire, de le garder pour lui.
Il tue et voit ses amis tomber. Un seul mort le hantera… Un soir, il vient d’abattre un bombardier. Un seul rescapé nage, isolé. La nuit va tomber, l’eau est gelée. L’ancien marin connait la Mer du Nord. Il éloigne ses camarades, descend et, par charité, le tue. Diable d’homme.