Depuis plusieurs années déjà, j'avais le sentiment d'une dérive sémantique autour du terme beauf. Un terme que j'utilisais volontiers durant les années 80 pour décrire un gros con réactionnaire (militariste, raciste, toujours du côté de l'ordre et de la sécurité), ce qu'était finalement le personnage originel de Cabu. Et puis, le terme s'est peu à peu dépolitisé pour ne plus devenir que la désignation d'une personne ayant, disons, des goûts de chiottes. Ou, pour le dire différemment, dont le capital culturel est très distinct de celui d'une certaine bourgeoise éclairée, ou, du moins, qui se considère comme telle. Devenant ainsi un marqueur fort de mépris social.
Alors, lorsque je suis tombé un peu par hasard à vrai dire sur ce bouquin, je me suis dit que j'avais peut-être trouvé quelque chose qui aille dans mon sens et qui me permettrait d'approfondir ce que je ressentais. Et là, bingo ! Cette impression de ne pas être seul à penser ce que je pense, un peu comme lorsque j'avais lu "Histoire de ta bêtise" de Bégaudeau. Et une bouffée d'air frais, une ! Car l'autrice revendique sa culture populaire (notamment en musique, avec la variété), raconte les humiliations qu'elle a subi lorsque étudiante elle a côtoyé la bourgeoisie, défend et illustre les valeurs de solidarité des classes populaires (même lorsqu'il s'agit d'électeurs du RN, oui, oui et j'ai bien dit des électeurs, pas du parti lui-même) et pourfend une certaine gauche qu'un temps on appelait "gauche caviar".
Enfin, sur la forme, le bouquin en soi est court, mais touffu. Car l'autrice y entremêle ses souvenirs personnels, ses analyses et ses observations - très politiques - sur la vie (et la mort) lorsqu'on est issu des classes populaires et des citations et courts extraits de travaux de sociologues et chercheurs divers. Ça se lit pour autant très facilement, car le propos est souvent clair et le style n'est pas du tout académique. Une lecture que je recommande chaudement donc, à ceux notamment qui ont envie de retrouver de la fierté.