Un polar à Beyrouth ! Pour réviser l'histoire récente de ce pays au cœur de l'actualité.

Le journaliste français David Hury nous propose un polar à Beyrouth. Une façon séduisante de réviser notre leçon d'histoire du pays tout en suivant un duo d'enquêteurs original : un vieux roublard maronite et une jeune chiite sortie du rang.


David Hury fut correspondant au Liban pendant de nombreuses années.

Avec Beyrouth forever, il nous propose un polar, prétexte à réviser l'histoire douloureuse de ce pays qu'il connait intimement et aime profondément - comme l'indique le titre.

Ce roman policier vient à point pour compléter la série de livres qu'est en train de publier Frédéric Paulin, puisque notre auteur s'intéresse ici à l’écriture de l’Histoire et parfois la non-écriture de l’Histoire.

David Hury est arrivé à Beyrouth le 16 janvier 1997, il en est reparti 18 ans plus tard, le 16 janvier 2015 et son roman sort le 16 janvier 2024 ! Il croit aux signes du destin et veut ici nous faire partager son amour pour ce pays.


Il sera beaucoup question d'histoire et même d'un manuel d'histoire dans ce roman et l'inspecteur Marwan Khalil est lui-même un condensé du Liban et de sa capitale Beyrouth. Nous sommes en 2023 et dans la chair de Marwan et la chair de sa chair, on peut lire comme dans un livre d'histoire.

Sa sœur cadette est décédée de ses blessures en 1982 : la faute à "l’explosion de la rue Sassine qui avait emporté quatre jours plus tôt le président Bachir Gemayel".

Son genou le fait terriblement souffrir : la faute à une kalach dont "une balle de 7,62 mm est venue lui lécher la rotule par une belle après-midi de juin 1988, et lui a laissé une saloperie de mauvais souvenir. Putain de guerre des milices".

Sa fille Maha est partie vivre en après avoir perdu un oeil à Beyrouth : la faute à "l'explosion du port en août 2020".

Comme tout libanais, Marwan est un "fonctionnaire doté d’une conscience professionnelle à géométrie variable".

Et voilà que son patron, celui qu'on surnomme Chivas, lui colle dans les pattes une toute nouvelle recrue, une gamine. Ibtissam Abou Zeid est une jeune chiite à la "French manicure impeccable" et au "voile sans le moindre faux pli" alors que lui est de confession maronite et qu'il a largement "é l'âge de faire du babysitting".

Marwan ne trouve pas ça drôle du tout mais nous on se marre en douce : David Hury semble avoir trouvé là un excellent duo d'enquêteurs !

Un duo qui appelle une suite, Mr Hury !


Dans l'un des rares immeubles encore debout en ville, les voisins appellent la police quand ils voient les asticots er sous la porte de l'une des résidentes car "tout se décompose plus vite au Liban qu’ailleurs, de toute façon. Les cadavres comme le reste".

Après des années de grandes compromissions et de petites corruptions, de mauvais tabac et de vodka de contrebande, à quelques semaines seulement de la retraite, le vieil inspecteur fatigué Marwan Khalil voudrait bien partir en bouclant un beau dossier, au moins une fois dans sa carrière.

Même s'il lui faut, pour cela, mener l'enquête avec, accrochée à ses basques, la jeune recrue musulmane qu'on vient de lui coller dans les pattes.

« [...] – On a quoi sur la morte ? demande froidement Marwan, adossé à la colonne centrale de la cage d’escalier.

– Aimée Asmar, 77 ans. Universitaire à la retraite, répond illico son adte.

– Quelle université ?

– L’Université libanaise. Elle est historienne, c’est une spécialiste de la géopolitique de la région. Elle a écrit plein de livres, j’ai la liste.

– Comment tu sais tout ça ?

– Google.

Petite conne, avec son Google. »


Ce livre d'Histoire, intelligemment intégré à l'intrigue, sera la clé de voûte de ce roman et en fera même tout le sel.

➔ David Hury place l'histoire du Liban au cœur de son bouquin : la vieille dame assassinée était une éminente professeure d'histoire qui avait entrepris d'écrire les derniers chapitres d'un nouveau manuel d'histoire du Liban quand les bouquins officiels s'arrêtent en 1943, à l'indépendance du pays, et se gardent bien d'expliquer la difficile période contemporaine.

Dans un pays où le consensus sert de masque aux pires compromissions, ce manuel d'histoire était un projet à haut risque.

➔ L'auteur aime visiblement ce pays où il a é de nombreuses années et qu'il connait si bien. Trop bien peut-être et donc son héros tient des propos vraiment aigres sur ce Liban qui n'est plus le pays du miel et du lait. Les factions et les communautarismes qui gangrènent le Liban depuis des décennies et maintiennent le pays dans la décomposition la plus complète, sont amèrement critiqués. La charge contre le Hezbollah de Hassan Nasrallah est très sévère (ça se e en 2023, peu de temps avant son élimination par Israël).

Mais ce flic Marwan, "ne quitterait le Liban pour rien au monde, même si plus rien ne fonctionne dans ce pays où seuls les nouveaux riches rotent le miel et le lait.". Un pays qu'on peut haïr et aimer dans le même mouvement parce que "le Liban est facile à détester, mais tellement attachant en même temps".

➔ Le roman de David Hury est pétri de vécu et nous donne une vue synthétique de l'histoire du pays. Désespérante mais synthétique. Ce polar vient compléter habilement les bouquins de Frédéric Paulin qui donnent un éclairage plus politique et une vue plus analytique de l'histoire du pays. Désespérante mais analytique.

Lire la chronique complète.


La curiosité du jour :

C'est au Liban que l'auteur découvrira le chanteur français Bernard Sauvat plus connu à Beyrouth qu'à Paris, nul n'est prophète en son pays ! Un chanteur dont est fan le héros du bouquin et qu'on peut écouter ici (sur Radio Libertaire) avec une sympathique interview de l'auteur.

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Écrit par
BMR

Créée

le 22 févr. 2025

Critique lue 12 fois

Bruno Menetrier

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