Chaman
8.1
Chaman

livre de Maxence Fermine (2017)

Chronique de l'homme mort

J'ai découvert totalement par hasard ce roman, en faisant le tour de la médiathèque du village. Il était évident que j'allais craquer : avec un titre pareil, j'étais déjà séduit. De plus, l'édition sobre mais efficace et l'accessibilité du roman (comprendre par là sa longueur peu excessive) m'ont convaincu d'essayer. Il s'agissait donc du premier roman que je lisais de Maxence Fermine.


Que m'évoque le chamanisme, finalement ? Puisque c'est le titre et donc le mot qui m'a attiré, il a fallu en faire la brève analyse, car c'était bien là mon horizon d'attente. Le chamanisme, pour moi, c'est la jonction entre l'homme l'esprit et la nature, c'est cette tangente sensible entre ce qui est encore humain et ce qui le dée, c'est également lorsqu'un individu s'émancipe de sa société pour puiser en lui la richesse de son esprit à des fins métaphysiques. Il y a quelque chose de l'abandon, du laisser aller et surtout de la découverte de soi, du plus intime dévoilement de soi. Evidemment, le roman est complètement allé dans ce sens et j'y ai trouvé ce que je cherchais. Alors, forcément, cela peut tout à fait indiquer que le roman a manqué de surprise, mais finalement, cela n'a pas été le cas. Il y a trois points importants pour moi dans ce roman : la narration, qui est maîtrisée, simple et vectrice d'émotions, car souvent mise en pause par des descriptions d'une grande poésie. L'aspect documentaire est également appuyé, et ancre la narration dans un contexte et une histoire chargée. Enfin, le message, la dénonciation sont des éléments forts et nourris de références à d'autres œuvres qui résonnent avec Chaman, et je pense notamment à Dead Man de Jarmusch.


n ce qui concerne la narration, elle est simple car elle se repose sur des procédés qui visent l'épuration : peu de personnages, peu d'action, des épisodes courts (une trentaine de chapitres pour environ 200 pages, la lecture est simple). Il est aisé de tourner la page, car la langue est simple elle aussi. On suit un personnage imposant, Richard Adam, qui a perdu sa mère et qui va renouer avec ses racines, et finalement se découvrir, lui qui a toujours été en décalage avec la société américaine dans laquelle il vit et il travaille. Le lecteur suit son périple, qui l'amène à une réserve indienne du Dakota, où l'on découvre une société qui vit dans la misère et dans une tradition gorgée de rancœur et d'insoumission. Ce périple est plaisant dans un premier temps, car on voyage avec Richard, mais dès lors que l'on arrive à la réserve, il y a quelque chose qui commence à se réveiller : une sorte de magie enfouie, dans le personnage mais aussi dans les mots. Le réalisme dont se sert Fermine pour raconter l'histoire est fondé sur une dose de mysticisme subtile : quelques indices nous montrent des événements difficiles à résoudre et qui fonctionnent sur le mode fantastique. Il y a cet ours, dans le flashback de Richard, qui a décidé de ne pas le poursuivre ; il y a cette cigarette qui s'embrase et disparaît, événement seulement perçu de quelques enfants. Richard est au centre d'une espèce de magie latente et qui s'éveille lorsque Little Horse accomplit le rituel pour l'esprit de la défunte mère de Richard. Le lecteur est donc embarqué dans ce monde enivrant, dont la réalité est teinte d'une palette de couleurs merveilleuses : féerie, spiritualité, amour. Pourtant, quelque chose coince dans cet univers, et c'est bien le sort réservé aux perdants, qui vivent dans la misère. Les deux autres personnages importants du roman sont deux femmes : Olowan et Winona. C'est bien leur sort qui va précipiter le roman vers sa fin, et surtout Richard vers sa destinée, et la surprise s'est trouvée ici, à ce point de rupture entre les mystères envoûtants et la réalité glaciale d'une société injuste et oppressive.


Si le sort de ces personnages nous indignent, c'est justement grâce à cet effort documentaire qui nous plonge dans les ruines de la civilisation indienne. Les thèmes sont déprimants : banalisation de la drogue, de l'alcoolisme ; violences individuelles, symboliques et sociales ; entassements humains dans des quasi-bidonvilles... la liste est longue, mais cela sonne comme la réalité. Cet aspect du roman est renforcé par des citations récurrentes de grands noms indiens (Black Elk, Crazy Horse, Crowfoot...), qui sont souvent des sentences destinées à stigmatiser l'homme blanc et son inhumanité profonde. Il y a un choc culturel et civilisationnel qui fait basculer notre point de vue de citadin urbanisé : dans ce système, nous sommes les méchants, et nous ne sommes pas les méchants parce que nous sommes blancs, nous somme les méchants parce que nous avons rompu le lien qui nous unissait avec la nature ; pire , nous l'avons inversé. Nous avons soumis la nature à nos règles, ou du moins nous avons eu l'impression de le faire. En réalité, c'est le respect envers la nature que nous avons bafoué, c'est notre sentiment de possession qui nous a dépossédés de notre humanité. Evidemment, on va dire que c'est un système binaire manichéen, mais qui correspond pourtant à la vision qu'ont les indiens de notre civilisation : "Il y a de nombreux hivers, nos sages ancêtres ont prédit qu'un grand monstre aux yeux blancs viendrait de l'est, et qu'au fur et à mesure qu'il avancerait, il dévorerait la terre. Ce monstre, c'est la race blanche, et la prédiction est proche de son accomplissement."


Il y a donc un message fort qui vise à dénoncer quelque chose, et cela semble plutôt aisé d'en deviner la cible. Au détour d'une phrase, Trump en prend également pour son grade. Le message de Fermine serait donc, d'une part, une humilité à retrouver de notre part afin de prendre le chemin d'une repentance vis-à-vis de nos multiples pêchés (envers la nature, envers les autres civilisations), mais aussi un discours social qui vise à reconnaître en premier lieu et surtout indigner dans un second temps le lecteur à propos de ce qu'il découvre. L'idée est de faire du lecteur une sorte d'Anton Harper, cet homme qui décide d'arrêter la chasse, qui décide de poser les armes lorsqu'il découvre cette sensation du mystère de la nature (je n'en dirais pas davantage pour ne pas spoiler plus). Mais ce discours renvoie notamment à une oeuvre magistrale et historique dans sa reconnaissance de la culture indienne : Dead Man, de Jim Jarmusch. Je ne sais pas si Maxence Fermine a vu ce film, mais il me semble qu'il en partage des traits tellement forts et évidents, qu'il est impossible que ce n'en soit pas le cas. Dans le film de Jarmusch, le personnage principal est un homme blanc, William Blake, mais il est déjà incarné par Johnny Depp, acteur métis qui possède également du sang indien. La mort est un motif essentiel dans les deux oeuvres : c'est la mort de la mère de Richard qui motive le début de sa quête et qu'il verra sous toutes ses formes durant son périple ; c'est la mort qui est l'élément déclencheur de la quête initiatique de William Blake (la nuit avec la prostituée, au début du film) et qu'il croisera également à de multiples reprises. Le rapport au chamanisme dans les deux oeuvres est d'une puissance évocatrice forte, entre les mysticismes subtils et les grands moments de transe délirante. Toute la magie du spirituel oeuvre aussi dans le lyrisme prononcé et l'élan de l'homme vers la nature : les symbioses avec les paysages mais aussi avec tout le bestiaire de l'Amérique. Evidemment, il y a des différences fondamentales, Dead Man a été caractérisée d'anti-western, alors que Chaman s'inscrit plutôt dans le genre du road novel. Ce ne sont pas les mêmes époques, pas les mêmes lieux, mais il y a ce propos, ce discours de fond qui les rapproche.


Par conséquent, la lecture de Chaman est vivement recommandée si vous avez aimé Dead Man, si vous aimez les figures mythologiques indiennes, si vous aimez découvrir d'autres cultures... Et puis surtout, si vous avez aimé Chaman, je ne saurais que vous conseiller de regarder Dead Man.

8
Écrit par

Créée

le 26 nov. 2017

Critique lue 282 fois

Desolation

Écrit par

Critique lue 282 fois

D'autres avis sur Chaman

Un chaman en manque de magie

Et la magie amérindienne n’a pas pris dans ce parcours à la recherche de soi, un peu plat et manquant de corps et d’émotion. Maxence Fermine n’a pas réussi à me faire traverser l’Atlantique avec les...

Par

le 30 mars 2022

Chaman - Maxence FERMINE

Un conseil, lisez les phrases que j'ai sorties du texte, il y en a quelques-unes qui sont criantes de vérité. Des citations que l'on doit à de grands chefs indiens. Elles introduisent les chapitres...

le 6 nov. 2019

Chronique de l'homme mort

J'ai découvert totalement par hasard ce roman, en faisant le tour de la médiathèque du village. Il était évident que j'allais craquer : avec un titre pareil, j'étais déjà séduit. De plus, l'édition...

le 26 nov. 2017

Du même critique

Critique de Ōkami HD par Desolation

Okami aurait pu être le jeu parfait. Il ne lui manque au final pas grand chose, si ce n'est un tout petit peu plus d'audace sur certains partis pris ; on notera tout de même que l'audace, Clover en...

le 8 déc. 2012

11 j'aime

3

A l'ouest du sommeil.

Ce qui m'a principalement attiré dans cette nouvelle, c'est en premier lieu cette édition qui est un produit vraiment fini, beau, agréable à feuilleter. Ce n'est pas quelque chose de fondamentalement...

le 10 juil. 2012

5 j'aime

Critique de Silent Hill : Revelation 3D par Desolation

Voilà, j'ai laissé un peu le film mûrir dans ma tête, j'ai laissé er un peu de temps donc maintenant je peux m'atteler à la critique de SIlent Hill Revelations 3D (au age je n'ai pas vu la...

le 4 déc. 2012

4 j'aime