Critique de Comment bifurquer par hdubosc
Trop technique, ne convient probablement pas au grand public (ce qui est dommage)
Par
le 19 août 2024
L'économie est économisme
Si l'on jugeait un essai sur ses bonnes intentions, celui-ci aurait 10.
Mais l' "utopie réaliste" repose ici sur des impensés, des présuppositions dont la "faisabilité", comme disent les auteurs, reste en suspens.
Techno-solutionnistes, en ceci qu'ils pensent que le age à une "industrie verte" sera faisable et rapide. Et d'où viendrait la volonté d'un tel changement? De politiciens qui prendraient le risque de déplaire à une population convertie depuis des générations au consumérisme, et à des banquiers qui ne voudront pas rendre disponibles les fonds pour des investissements "pro bono" ?
Comment convaincre un populo déjà peu enclin à manger "bio" pour sa propre santé dès que les prix augmentent un peu, de prendre compte des crimes commis au nom de sa consommation effrénée de gadgets? Faut-il afficher des images des victimes chaque fois qu'il allume son téléphone, comme ces photos de poumons pourris sur les paquets de clopes ? Le même procédé de transformation des animaux en "viande" est à l’œuvre dans le fétichisme de la marchandise, qui fait oublier aux plus sensibles des idiots, d'où vient ce qu'ils ont dans leur assiette...
L'économie est un discours performatif de légitimation. Une propagande au service d'intérêts. Une idéologie faisant abstraction des réalités gênantes pour ceux qu'elle sert.
Parler le langage de l'économie revient à accepter ce processus de mystification. Ainsi, "internaliser les externalités". De quelles externalités parlons-nous? De la pollution jusqu'ici non prise en compte dans les prix? Ou bien aussi des meurtres et des déportations, des renversements de gouvernements, des états à la botte d'autres états, des espèces et des milieux détruits ? Des planifications étatiques imposées aux milieux, populations et individus ; des famines, des empoisonnements, de la corruption ?
Écoutez au moins Hayek lorsqu'il écrit que l'économie est une tautologie. Soit une logique fermée, hors-sol, désincarnée, une métaphysique violemment imposée au réel.
La spéculation bancaire est le résultat logique de cette logique axée sur une langue désincarnée, ce but ultime et abstrait, la "valeur". L'accroissement du capital, alpha et oméga de ce système clos et aveugle.
Est-il possible de promouvoir une économie basée sur l'utilité plutôt que sur le profit - ce qu'explorent ici en long et en large les auteurs dans la langue abstraite des spécialistes de l'enfumage?
Ils constatent que les travailleurs contrôlent les usines suédoises, mais ne décident pas de la nature de la production. Que la production est planifiée par le politique en , mais que les ouvriers n'ont aucun mot à dire sur la manière dont ce sera produit.
Ils défendent donc l'idée d'une articulation entre les choix à petite et à grande échelle, d'un relais démocratique du bas vers le haut.
Les auteurs s'opposent à la fausse démocratie du consommateur, dans laquelle l'individu subit les choix déjà faits "d'en haut" au niveau de la production, volonté privée qui dépense ensuite des milliards pour vendre sa camelote. L'appel à la responsabilité individuelle ne doit pas masquer les mécanismes systémiques. L'incitation par les prix, logique économiste, en intégrant "les externalités" dans les prix, comme la "taxe carbone", introduit une pseudo-rationalité selon une logique de calculs égoïstes de "coûts-profits" qui transforme tout en "valeur" - en premier chef la destruction actuelle et future, ce qui est de la pure aberration économiste.
L'économisme crée des équivalences entre des choses incommensurables ; entre les bienfaits et les méfaits des technologies, comme si un marchandage ou un équilibre était possible. En éludant la question du choix de société.
Ils appellent à la création d'une société qui concilie l'autorégulation assistée par l'intelligence artificielle à un degré de contrôle extensif et intensif inédit, et une démocratie partant de la base.
Une sorte de bureaucratie chinoise démocratique, seul remède au chaos actuel. Ils ne s'étendent pas sur les implications de son caractère national – évacuant de la sorte l'articulation « nécessaire » entre extractivisme colonialiste, productivisme, et guerres interétatiques. L' économie-industrie et l' Etat sont actuellement intriqués dans une logique délétère, un cercle vicieux – on fait la guerre pour accéder aux ressources permettant d'entretenir les moyens techniques de maintenir son rang dans la compétition guerrière mondiale – auquel je ne vois toujours pas d'échappatoire dans les circonstances actuelles. Et quand bien même, le modèle proposé dans ce livre, qui prétend concilier bureaucratie et démocratie populaire, serait-il vraisemblable, fut-il basé sur les extrapolations d'expériences réelles comme ils le prétendent ? Ce type de réalisme suppose qu'il est possible de s'accommoder d'un système, de réaliser à l'intérieur de son cadre ce qu'il a tout fait pour empêcher jusqu'à présent (ce qu'il semble conçu « par nature » pour empêcher) - de concilier des « réalités » peut-être un poil trop contradictoires... Le é a montré que les « démocraties » actuelles mettaient tout en œuvre pour contrer la réalisation des précurseurs (très imparfaits – c'est peu de le dire...) de ce modèle d' « utopie réaliste » - c'est l'histoire même de la seconde moitié du XXe siècle, celle de la « subversion contre-révolutionnaire » menée par les USA , La , la Belgique... Vous croyez vraiment que les banques financeront sans broncher un projet qui leur retire tout pouvoir, pour in fine détruire la logique sur laquelle elles sont fondées (soit l'opposé du processus de la corée du sud mentionné plus bas)?
Pensent-ils vraiment qu'il soit possible de concilier la gestion par une infrastructure technologique omniprésente et omnisciente, avec la sobriété (et la liberté...)? Oublient-ils que les machines s'usent vite, et qu'il faut les réparer puis les remplacer ? Comptent-ils ralentir le rythme de leur usure ? Mais de quelle manière ce scénario conduit-il à une échéance où l'extractivisme minier et l'exploitation de l'environnement seront abandonnés ? Et quelles régions proposeront leur destruction pour l'intérêt général ? En vertu de quelles compensations - acceptées unanimement ? Leur suggérera-t-on la déportation vers des cieux plus cléments ?
L'intelligence artificielle aura-t-elle une solution à nous proposer ? Et alors ? Peut-être vivra-t-on dans une de ces sociétés illustrées par les récits de SF, où la population mène une existence rurale misérable, et vénère un dieu qui cache un ordinateur, qui cache un mec qui s'accapare tout ?
C'est aussi le sujet de Zardoz : l'armée des brutes terrorise les paysans, dont les récoltes entretiennent une minuscule communauté d'éternels vivant dans l'opulence oisive, une nouvelle Olympe. Zardoz est ce monde post-industriel réel, où la technologie est si avancée qu'elle est devenue invisible – mais où la sobriété repose encore et toujours sur l'exploitation. Boorman imagine une humanité parvenue à la fin d'un cycle : les « élites » confites dans leur confort auront perdu leur vitalité, et disparaîtront presque d'elles-mêmes, dès que le petit coup de pouce adéquat se présentera.
Parce que peut-être qu'à un moment, il faudra choisir entre les besoins de la machine et de ceux qui la contrôlent, et ceux des péons. Doit-on attendre que la caste de profiteurs pauvres des « pays développés » sortent de leur sommeil lorsqu'on leur apprendra qu'ils ne pourront plus s'offrir de nouveau jeu-téléphone-ordinateur, de nouvelle voiture ? Ce ne sera pas déjà trop tard ?
Durand et Keucheyan envisagent un idéal techno-bureaucratique qui résiste aux aléas de l'histoire, sur des bases humaines et scientifiques qui ne se sont pas encore réalisées. C'est un gros pari. Quand bien même se voudraient-ils « réalistes », ce « pragmatisme » pourrait n'être qu'une autre forme de mystification.
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Les auteurs vont tout reprendre du début et expliciter. Ils constatent non l'indifférence des Etats modernes face à la crise globale, mais l'inefficacité de leurs actions ; et rappellent qu'ils ont pourtant toujours intervenu dans toutes les sphères de la société, y compris économiques ; l'état, l'industrie et la finance étant inextricablement liés (l'état a sauvé la mise plus d'une fois à la finance, et a déjà imposé une politique industrielle en temps de guerre ou de pandémie ; même le « néolibéralisme » instauré à la fin du siècle est inextricablement bureaucratique, le produit de mesures étatiques).
Première partie : Marché et état face à la crise écologique
1. les antinomies du capitalisme vert
p.40 « On compte neuf « limites planétaires » : le changement climatique, l'érosion de la biodiversité, la pollution chimique, al perturbation des cycles biogéochimiques de l'azote et du phosphore, les changements d'utilisation des sols, l'acidification des océans, l'utilisation mondiale de l'eau douce, l'appauvrissement de la couche d'ozone stratosphérique et l'augmentation des aérosols dans l'atmosphère. On sait depuis plus d'une décennie que quatre ont déjà été déées ou irréversiblement perturbées (…) Une cinquième vient de redre la liste : la production de produits chimiques et plastiques, qui a été multipliée par 50 depuis 1950. il ne s'agit à dire vrai pas d'une limite, mais d'une tendance qui affecte beaucoup d'entre elles. C'est l'extension à l'infini de l'empire pétrochimique »
p.18 « Depuis les années 1970 150 agences ou ministères consacrés à ces enjeux on vu le jour de par le monde, des centaines d'accords internationaux ont été signés et des milliers d'entreprises publient chaque année leurs propres engagements. L'OCDE (…) a consacré près de 500 rapports au sujet » Le PNUE en 1972, le GIEC en 1988 , ont été créés.
« En dépit d'une frénésie institutionnelle, les destructions écologiques se sont au contraire intensifiées. La raison principale de cet échec tient au caractère second de la question environnementale par rapport aux objectifs de croissance économique.
p.19 « Selon l'OCDE, « vert » et « croissance » peuvent aller de pair. »
Une croissance économique sans surexploitation des ressources reste un « vœu pieux ».
p.20 L'abandon des industries productrices de gazs à effet de serre « ne peut pas être pris en charge par la logique de valorisation propre au capitalisme, qui ne s'intéresse qu'aux opérations profitables. »
Ils s'exposeront d'ailleurs à la concurrence d'entreprises non soumises aux normes (cf Daniel Kretinksy, qui a racheté à bas prix des centrales à charbon).
Le démantèlement « implique des coûts que le capital ne peut pas absorber au niveau des firmes. »
p.22 « le capitalisme n'assurera pas la transition énergétique de manière suffisamment rapide »
p.23 Jean Pisani-Ferry « la procrastination a réduit les chances d'organiser une transition ordonnée » « rien ne garantit que la transition vers la neutralité carbone sera favorable à la croissance »
p.24 « Des contraintes [environnementales] fortes sur l'offre pour des intrants [matières premières] dont la demande explose dans le cadre de la transition produisent un cocktail détonnant nommé greenflation. (…) plus la transformation écologique doit être effectuée rapidement, plus la pression à la hausse sur les,coûts est importante, ce qui rend la transition encore plus difficile. »
p.25 « Comment fournir juste ce qu'il faut de matière polluantes pour construire une économie propre ? Ne faudrait-il pas distinguer entre les usages frivoles du carbone – SUV, tourisme aérien – et les utilisations vitales – comme la construction de l'infrastructure de production, de transports et d'habitat d'une économie sans carbone, »
p.26 En se raréfiant, le pétrole devient de plus en plus rentable, tandis que les installations de fourniture d'énergie renouvelable en coûtant moins rapportent moins « Comme le rappelle le géographe Brett Christophers, « s'ils ne pensent pas faire de profits, les capitalistes n'investissent pas ». ».
p.28 « les leçons tirées du développementalisme de l'après seconde guerre mondiale sont toujours valables : sans contrainte, les entreprises comprennent la politique industrielle comme étant une socialisation du risque qui laisse intacte l'appropriation privée du profit. »
p.34 « La planification soviétique est largement inspirée de l'organisation de l'économie allemande lors de la première guerre mondiale. »
« Otto Neurath (…) - l'une des figures tutélaires de ce livre – considérait la guerre comme le fondement possible d'une nouvelle conception de l'économie, fondée non sur le calcul monétaire mais sur le calcul en nature. »
« Le rationnement a un équivalent en temps de paix, ce que l'on appelle aujourd'hui la sobriété »
p.35-36 « Le calcul en nature, c'est autre chose que l' « encastrement des marchés » cher à Karl Polanyi. (…) on raisonne en ressources réelles, en ant derrière la forme monétaire et donc la valeur d'échange. »
p.36-37 « La pandémie a confirmé un adage de John Meynard Keynes : « Pour pouvoir se permettre quelque chose, il nous suffit concrètement de pouvoir le faire .» »
p.41 « Dans les temps de guerre, la politique fait faire des prouesses à l'économie. Entre avril 1942 et fin 1944, on ne produit plus aucune voiture aux USA, les ressources humaines et matérielles sont entièrement tournées vers l'industrie militaire. »
p.43 « Le gouvernement par les besoins est rendu possible par un mécanisme fondamental : la socialisation. »
« Le capitalisme, certes, est affaire de séparation. (…) l'appropriation privée des moyens de production (…) sépare la production de la consommation. »
« Mais d'emblée, la division du travail s'accompagne de son contraire : l'interdépendance entre producteurs, et entre producteurs et consommateurs. (…) socialisation organisationnelle.
La logique à l'oeuvre est ici celles des économies d'échelle donnant lieu à des gains de productivité »
« La socialisation organisationnelle implique la centralisation des décisions productives (…) par des « cadres », soit des spécialistes de l'organisation. La propriété du capital et la gestion des entreprises se dissocient »
p.45 « Tandis que la division du travail fragmente, la socialisation organisationnelle totalise. Poussée à la limite, elle rend possible le basculement de la logique marchande dans son contraire : la planification. »
p.46 « La socialisation organisationnelle s'accompagne de la socialisation cognitive. » - sciences, technologies de communication et de transport
p.47 Duménil et Lévy « la production exige la concentration d'énormes masses de capitaux ; ainsi même la propriété du capital prend-elle un caractère social, tout en restant l'apanage des classes capitalistes. « Les sociétés par actions »
p.48 « La montée en échelle de l'accumulation requiert une montée en échelle concomitante de la capitalisation. Celle-ci est à l'origine de la socialisation financière. (…) banques, assureurs et réassureurs, fonds de pension, fonds d'investissement, asset managers... Elles grossissent à chaque génération »
« Rudolf Hilferding le constatait en en 1910 : le capital industriel et le capital financier tendent à fusionner. »
p.49 « L'état est aussi un acteur de la finance, par l'émissions de dette publique, composante fondamentale des portefeuilles financiers, et par son soutien aux marchés financiers, notamment en période de crise. L'état et la finance s'interpénètrent au point que les politiques publiques non seulement profitent au secteur financier, mais surtout zen dépendent pour leur mise en œuvre. La finance devient une excroissance de l'état, et inversement. »
« Le capitalisme a besoin, pour prospérer, d'infrastructures de toutes sortes : écoles, routes, gares, hôpitaux, ports, barrages, mines... (…) que Michael Mann nomme le « pouvoir infrastructurel » »
le partenariat public-privé est « une forme de propriété qui s'est fortement développée au cours de la période néolibérale »
« Organisationnelle, cognitive, financière, infrastructurelle... »
2) un principe d'égalité : toute personne doit pouvoir le satisfaire si elle le souhaite. »
p.60 "pourquoi cette omniprésence de la publicité dans nos quotidiens? Le capitalisme a ceci de particulier que la consommation y est placée sous l'hégémonie de la production. Comme dit Marx, "la production crée le consommateur". Les entreprises doivent produire toujours davantage en moins de temps, et se situer au niveau de productivité moyen du secteur où elles opèrent. Survivre dans un modèle concurrentiel ne laisse guère d'autre choix. Conséquence : une course à la productivité, qui est l'une des causes de l'évolution technologique, et qui ponctionne sur les ressources naturelles des flux d'énergie et des stocks de matières premières toujours plus importants. Et un déversement de marchandises toujours nouvelles - ou prétendument nouvelles - devant être absorbées par la demande"
p.80 "Le développement industriel a conduit à une accélération généralisée des processus socioéconomiques, depuis l'extraction des ressources et la production des biens jusqu'à la distribution et la consommation. En quelques décennies, la vie sociale e du rythme lent et irrégulier du vent et des animaux de trait à la rapidité et à la régularité des machines propulsées par l'énergie fossile."
(...) "Pour la première fois dans l'histoire, au milieu du XIXe siècle, le traitement social des flux de matières menaçait de déer en volume et en vitesse la capacité du système à les contenir." (James A. Beniger 1986)
p.108 "La crise écologique correspond à un désajustement du métabolisme de nos sociétés par rapport aux cycles permettant à la biosphère de se régénérer."
Les auteurs jargonnent péniblement, dans un style qui obscurcit les banalités.
"Les économistes libéraux veulent corriger le marché pour faire entrer l'information manquante dans le système de prix. Entre l'approche coasienne, qui privilégie la distribution des droits de propriété, et la solution pigouvienne, qui plaide pour une taxe, le dénominateur commun c'est la validité du calcul marchand en matière écologique et la possibilité de valoriser la nature.
A l'encontre de cette proposition, l'économie écologique puise dans les contributions de Neurath au débat sur le calcul socialiste l'idée de planification écologique comme solution alternative.
Une écologisation de l’économie implique de renoncer à l'illusion d'un optimum technique au niveau social et d'assumer la prééminence de jugements de valeur multicritères en matière de trajectoires de développement. Le calcul en nature s'exprime à ce niveau par la mise en rapport de données incommensurables ayant trait aux ressources, aux pollutions, aux possibilités de production, aux besoins, à l'attitude vis-à-vis des générations futures. Nourrie de ces divers indicateurs de richesse, la délibération est nécessairement politique ; elle procède par la mobilisation d'arguments articulés et l'évocation de préférences collectives relevant d’attitudes culturelles tacites."
En somme, il va falloir prendre en compte la réalité et les traditions locales.
III le calcul écologique
p.109 "Wassily Leontief, "nobel" d'économie en 1973, l'année qui précéda l'attribution du prix à Hayek, voit dans ce moment politique de la planification l'exercice d'une liberté collective : "Un plan n'est pas une prévision. L'idée même de la planification suppose la possibilité de choisir entre plusieurs scénarios possibles." Mais il ajoute aussitôt : "Le mot-clé est la faisabilité." (...) moment technique de la planification, celui des ingénieurs et de la formation des indicateurs, de l'agrégation et de la distribution des informations, des matrices input-outputs reliant production et consommation, humanité et biosphère. La prise en compte des interdépendances multiples est nécessairement incomplète et obligatoirement soumise à des processus de révision continue en raison de l'incertitude ontologique du devenir social. elle reste cependant la seule façon pour l'humanité d'endiguer, par une action consciente, la catastrophe en cours.
A côté de la délibération et de la technique vient l'expression des subjectivités : celle des individus-producteurs, des individus-consommateurs et des individus-citoyens. Contre le risque d'une dérive technocratique, il s'agit de permettre à chaque personne de faire sens de son inscription dans les rapports socioéconomiques tout en abandonnant l'illusion du sujet complètement souverain qui constitue la pierre angulaire de l'économie libérale.
Dans la planification écologique, la démocratie économique, la mobilisation efficace de la technique et le soin apporté à l'expression des individualités se conjuguent. Ils représentent les trois pôles de ce que Marx appelait "une convention basée sur le rapport de la somme des forces productives à la somme des besoins existants". Comment concevoir et institutionnaliser une telle convention pour l'anthropocène? Cette question pratique et politique est nouvelle dans sa généralité, mais de nombreuses expériences disparates permettent déjà de tenter d'y répondre."
Le calcul écologique
p.113 "La planification écologique n'a jamais été mise en oeuvre à large échelle."
Comme Erik Olin Wright, les auteurs vont partir d'expériences réelles, mais en tenant compte de leur échelle limitée - la ZAD n'est pas un modèle de société technocratique... Alors ils vont examiner le modèle chinois - mais de manière critique... (ouf)
"Lénine formulait en son temps le problème en ces termes : le problème n'est pas de faire des soviets, mais une république des soviets."
"analyse des institutions de l'émancipation, d'où l'idée d'utopies institutionnelles."
Ainsi d'un "numérique" comme outil non plus du consumérisme et de la surveillance, mais de collectifs influant sur les processus productifs.
Le age des sociétés par actions au coopératives, de la logique des profits à celle des besoins (non aliénés), serait rendu possible par une volonté politique, ce qui ne se produira que dans un contexte....Favorable.
5. la comptabilité écologique
123 "L'utilisation ciblée du numérique à des fins de planification écologique et de décroissance matérielle doit se faire sous contrainte de sobriété"
Une scrutation exhaustive et un calcul continus de l'état des lieux (environnement, agriculture, conditions de vie...) et des besoins seraient permis par le "big data".
131 "comptabilité écosystémique du capital naturel" - dans les pages suivantes est proposée une bureaucratie technologique d'un degré d'intrication et de contrôle inédits, et pourtant, supposément démocratique, conciliant conseillisme local et planification centrale. Cette conciliation est posée comme un principe de base, mais sa possibilité reste théorique.
6. L'investissement écosocialiste
p.141 Michel Husson "Planification : 21 thèses pour ouvrir le débat", Critique Communiste 106-107, 1991
"trois dispositifs institutionnels" permettraient de mettre en œuvre cette "utopie réaliste" : "les nationalisations, une politique industrielle et une banque nationale d'investissement épaulée par des banques régionales chargées de "distribuer le crédit en fonction de la conformité des projets avec les objectifs du plan, au niveau national ou régional"."
On se demande de quels fonds disposeront ces industries et ces banques ne visant plus le profit pécuniaire, pour "investir" dans l' "eco-friendly". Dans les pages suivantes, sont abordées l' "économie de guerre" examinée par Keynes, la planification d'après-guerre française et coréenne - où, "sous la menace de confiscation de leurs entreprises, les millionnaires doivent accepter de réorienter leur activité en fonction des directives politiques. In fine, seuls les banquiers sont expropriés, mais la fonction d'investissement se trouve solidement placée sous le contrôle public. Le nouveau secteur bancaire nationalisé sert de bras armé aux autorités pour piloter la croissance à travers une politique de taux d('intérêt différenciés en fonction de l’alignement des projets avec la stratégie de développement des exportations définie par le gouvernement. Avec une politique commerciale stratégique sophistiquée et une répression impitoyable du mouvement ouvrier visant à compresser les salaires et à dégager des profits, cette socialisation de l’investissement est la clé du miracle coréen."
p.161 Les auteurs considèrent que la "transition" vers une industrie décarbonée demandera au secteur privé un effort temporaire. Qu'il concèderait alors que l'étape ultérieure serait la « socialisation » de la production ? Voilà qui est foncièrement utopique autant sur le plan technique que politique-économique... Et aucunement validé ou vérifié par l'expérience ée – en infraction avec la méthodologie revendiquée par les auteurs.
Keynes suggérait de lever une épargne obligatoire pour financer la seconde guerre mondiale. Hyman Minsky en 1973 propose que l'état emploie tous les chômeurs à des tâches socialement utiles mais ne rapportant rien (santé ; loisir, éducation...).
7. la demande émancipée
Dans les pages 180-190, l'idée de communautés de consommateurs éclairées orientant la production est proposée, dans une connexion entre réseaux sociaux et big data, filtres de recommandation à souci écolo, etc. Associés à des directives/normes étatiques.
"La logique de l'usage l'emporterait sur la logique de l'échange dans le pilotage de la production." (189)
IV un nouveau régime politique
8 un fédéralisme écologique
Les entités fédérées renoncent volontairement à leur souveraineté au profit de l'état central et d'un "constitutionnalisme" (Carl Schmidt).
Sont mentionnés le ""municipalisme libertaire" de Murray Bookchin et la conception du fédéralisme par hayek.
P.200 Elinor Ostrom examine les "communs", qui supposent la pérennité d'un milieu et de ses habitants.
Un "polycentrisme" consisterait en la délibération entre divers "acteurs" ayant des intérêts divergents sur un même lieu, sans instance supérieure de décision. Même si si quand même.
p.210 "En chine, la hiérarchie du PCC est présente au sein des entreprises, où elle supervise la planification."
214 "l'indétermination des droits de propriété laisse toute latitude au parti de resserrer ou relâcher la bride aux acteurs privés"
Mais reconnaissant que l'essor économique de la chine dans les 80s s'est fait aux dépens de l'environnement et des droits humains, ils notent que la chine devenue dans les 2010 le premier producteur au monde des panneaux solaires et des voitures électriques, reste soumise à un modèle productiviste (tautologie) centré sur la croissance. "Depuis al reprise en main par xi jinping, l' "autoritarisme décentralisé" est de moins en moins en vigueur. Le tournant écologique a servi à renforcer l'autoritarisme au détriment de l’élément décentralisateur, donnant lieu à un "environnementalisme autoritaire"."
9. Les institutions politiques de la planification écologique
Commisssions de post-croissance & « Constitutions vertes »
Jean Monnet se voua au modèle US , condition d'attribution du plan Marshall. Le "conseil général au plan" court-circuita les institutions politiques et istratives - « "agence" au sens du New Deal : une structure souple dédiée à une tâche spécifique. A l'origine, c'est un plan d'investissement qui se transforme rapidement en cockpit de pilotage de l'économie. »
Edgar Pisani distinguait "istration de gestion" et "istration de mission". Les "commissions de modernisation" impliquaient privé, public, syndicats et guidaient les investissements publics vers un "plan de modernisation de l'économie".
Leur "planification indicative" fut aussi coercitive, comme en Inde, au Japon ou en Corée du sud pour ne pas mentionner l'URSS). Elle se "décentralisera" progressivement, une fois les infrastructures installées.
224 La "planification verte" s'appuierait sur une "constitution environnementale". Plusieurs pays du sud ont intégré la lutte contre le changement climatique dans leur constitution. L'Equateur a aussi accordé des droits à "la nature".
Il faudra opérer sous la contrainte de "normes constitutionnelles antiproductivistes et anticonsuméristes" (224). Alors que la contrainte actuelle est celle de maintenir un profit, malgré la raréfaction des ressources, ce qui intensifie l'extractivisme au lieu de nous en détourner.
"A terme, [l'interdit du productivisme] empiétera forcément sur un principe ancré de longue date dans les ordres constitutionnels modernes : la propriété privée." (227)
p.228 Dans "les pays les plus anciennement développés, "des services publics qui demeurent puissants bien qu'ils aient été fragilisés par les politiques néo-libérales. Avec les commissions de post-croissance et les constitutions vertes, formeront le troisième élément de la "colonne vertébrale" politique de la planification écologique." ("En chine les services publics sont indigents" 227). Continuité, égalité, mutabilité : ils permettent de servir les besoins changeants et nouveaux d'une humanité épanouie.
10 la démocratie augmentée
Les auteurs promeuvent une démocratie participative de conseils populaires, complétée par une démocratie délibérative des techniciens/scientifiques/spécialistes, et le parlement.
p.240 Cela suppose de reprendre le pouvoir accaparé par "un "appareil d'hégémonie" (au sens de Gramsci)" , "le ministère de l'économie et des finances qui, depuis 40 ans, conçoit et met en œuvre les "réformes" néolibérales" "force de frappe politique, économique et idéologique sans pareil".
Par son implantation territoriale, mais aussi sa "vue panoptique" (...) possède un véritable "pouvoir infrastructurel" au sens de Mann"
"les assemblées nationales doivent devenir le lieu d'un "pouvoir infrastructurel" : elles ne l'ont jamais été"
"Dans les années 70 est créé au USA le Congressional Budget Office (CBO), sorte de Cour des Comptes intégrée au Congrès (…) vise à contrer un « bonapartisme budgétaire »»
Le CBO n'a pas d’équivalent en ou en europe ; et la banque centrale européenne qui depuis 2020 intègre le souci climatique ne dispose pas de moyens de contrôle viable des "investissements verts".
149 "'En l'absence de système statistique public unifié, la standardisation repose sur des agences de certification privées rémunérées par les firmes elles-mêmes, avec tous les risques de manipulation ou de biais que cela implique - on se souvient peut-être des titres financiers certifiés AAA par les agences de notation avant 2008 et que les banquiers qualifiaient entre eux de "sacs à merde".
Un autre problème est que le soutien apporté favorise dans de nombreux cas un extractivisme vert : le processus de décarbonation des firmes du nord se fait sans considération pour les autres impacts environnementaux et les dégâts sociaux, en particulier en lien avec l'extraction des minerais ou l’appropriation des terres dans les pays du sud. Prenons l'exemple de la firme Iberdrola, un des leaders mondiaux dans la production d'énergie renouvelable et dont la BCE détenait en 2023 des obligations pour près de 10 milliards de dollars. L'entreprise espagnole a développé de nombreux projets au Mexique, en particulier dans l'isthme de Tehuantepec dans la région de Oaxaca ; or l’accaparement des terres pour ces constructions s'est fait au mépris des droits des populations indigènes, rendant de larges surfaces inhabitables et entraînant des déplacements forcés ainsi qu'une réduction de la biodiversité. En abaissant le coût du crédit pour Iberdrola via sa politique monétaire verte, la BCE facilite les investissements de la firme et contribue ainsi indirectement aux déprédations auxquelles ils donnent lieu."
Au contraire, le PC chinois contrôle TOUT, ce qui permet d'éviter ce genre de résultat imprévu, paraît-il. (p.151)
p.242 "L'élaboration du plan erait par trois phases. La première, la phase expérimentale-délibérative, se déroulerait à l'échelle des communes, départements dans le cadre de dispositifs de démocratie participative et délibérative. (...° Ces instances chercheraient à répondre à une question : quels sont nos besoins réels? Chaque échelon s'autogère, mais il peut aussi être saisi d'une question par un échelon supérieur. La dimension fédérale de cette première phase es t cruciale : tout ce qui peut être décidé et exécuté à l'échelon inférieur l'est, la montée en échelle doit résulter d'une nécessité.
Puis viendrait la deuxième phase : les commissions de post-croissance opéreraient des synthèses des expérimentations et des délibérations de la première. Cette deuxième phase déboucherait sur la rédaction d'une première version du plan , d'un "plan de transformation de l'économie française" , pour parler comme le Shift Project. Ce plan serait toujours aussi un scénario de bifurcation écologique.
Enfin, la troisième phase : l'assemblée nationale se saisirait de ce plan et le ferait évoluer. (...) il ne pourrait en aucun cas cas modifier le plan dans un sens productiviste et consumériste, sous peine d'être invalidé par le conseil constitutionnel."
"le calcul en nature monterait en puissance jusqu'à devenir hégémonique, la propriété privée s'estomperait au bénéfice de la propriété publique, coopérative et communale."
p.245 Conclusion
"La planification écologique joues sur deux tableaux côté pile, le calcul écologique, côté face, la politique des besoins."
"cette visée est affectée de nombreux dilemmes. Dilemme technique d'abord. Le déploiement de la planification écologique devra s’appuyer sur les technologies de l'information, que ce soit pour prendre la mesure des transformations de la nature, suivre les impacts écologiques des processus de production, modéliser les enchaînements productifs correspondant aux différentes options viables ou encore rompre avec l'isolement des consommateurs" " le coût environnemental de la technique (...) oblige à maintenir ces usages dans une enveloppe compatible avec la trajectoire de sobriété retenue. (...) Dans quels secteurs et pour quelles activités ferons-nous le choix collectif de mobiliser la pleine puissance de la coopération sociale à travers la spécialisation ? Dans quels domaines doit-on au contraire laisser place à une autonomie porteuse de satisfactions individuelles ?"
"Autre point de friction, l'articulation entre centralisation et décentralisation politique."
247 « l'adoption d'un tel programme e par sa formulation politique et son soutien par diverse groupes sociaux." Bien qu'elles soient les plus exposées aux dégradations écologiques, "Sans garanties sociales contre les risques de transformation ni mécanisme d'inclusion démocratique, le soutien des classes populaires à la planification écologique risque de faire défaut. Or, sans elles, elle ne peut advenir."
A partir de spoutnik en 1957, on envoyait entre 100 et 150 bidules par an dans la stratosphère. Depuis 2022 ce sont plus de 2000.
Créée
le 13 mars 2025
Modifiée
le 15 mars 2025
Critique lue 15 fois
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2 commentaires
Trop technique, ne convient probablement pas au grand public (ce qui est dommage)
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le 19 août 2024
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