Contes de la bécasse
7.5
Contes de la bécasse

livre de Guy de Mauant (1883)

à travers la campagne normande

Contes de la Bécasse. Qu'on ne s'y trompe pas, ces "contes" n'ont rien à voir avec ceux des frères Grimm ou de Charles Perrault. Sauf si on prend l'étymologie du terme : "histoire racontée".
Car c'est bien de cela qu'il s'agit ici : d'une suite d'histoires racontées par différents convives autour d'un repas, à la table d'un aristocrate amateur de chasse mais paralysé. Le principe n'est pas si éloigné de celui du Décameron, par exemple, et s'inscrit donc dans une certaine tradition littéraire.
Mais ici, Mauant nous raconte des histoires à la fois cruelles et réalistes (il y a là une relation de cause à effet : cruelles car réalistes, ou réalistes car cruelles). Des histoires qui, dans l'essentiel, se déroulent dans la campagne normande. Des histoires dans lesquelles l'auteur dresse un portrait brutal de la société de son époque, la de la fin du XIXème siècle. Certaines de ces histoires sont dures, violentes même, comme En mer ou Pierrot. Mauant sait adopter la rudesse des mœurs paysannes, alliée à l'hypocrisie de la "bonne bourgeoisie".

L'argent est un thème majeur du recueil. Les faits et gestes de nombreux personnages sont dictés par leur amour de l'argent et leur volonté d'accumuler le plus possible d'avoirs.
SPOILS
Un pécheur qui préfère couper le bras de son frère plutôt que de risquer de perdre son bateau. Un fils qui reproche à ses parents de ne pas l'avoir vendu, car alors lui (le fils) serait devenu un riche bourgeois au lieu de rester un pauvre paysan.
FIN DE SPOILS
Critique de cette soif de l'argent, qui pourrit toute relation humaine et les transforme en relevés de compte, en calculs d'apothicaire.

Critique aussi, avec lucidité et férocité, d'une société fondamentalement misogyne. Le sort réservé aux femmes n'est pas vraiment enviable.
SPOILS
Ainsi, le bon bourgeois parisien en visite dans une auberge bretonne (oui, parfois, Mauant s'éloigne de sa Normandie) considère que les servantes sont des jouets sexuels dont on peut ab à l'envi. Un jeune bourgeois accepte qu'une pauvre vagabonde lui donne toute ses économies, puis l'oublie littéralement alors qu'elle se consume d'amour pour lui. Une femme est épousée pour son argent et maltraitée toute sa vie.
FIN DE SPOILS
Mauant montre pour dénoncer, mais sans jamais se faire ouvertement donneur de leçons.

La plume acerbe de Mauant s'exerce également contre la littérature de son temps. Ainsi, La Rempailleuse est une attaque évidente et assumée contre les romans à l'eau de rose (les mêmes romans attaqués par le mentor Flaubert dans Madame Bovary) alors que le dernier conte est la description d'un anti-héros de la guerre de 70, un Prussien dont le grand désir est de se constituer prisonnier.
Le tout est écrit avec un talent rare. Tout est très facile et rapide à lire, absolument ionnant, mais parfois rude, rugueux. Des textes très différents, qui ont en commun une analyse psychologique fouillée et une grande importance accordée aux sentiments et aux émotions des personnages.
Plus qu'un classique, c'est un grand texte, une de ces œuvres incontournables de la littérature française, écrite avec la précision du mot juste et du regard acéré.
10
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le 2 févr. 2013

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SanFelice

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