Retour de lecture sur “De sang-froid” un roman écrit par Truman Capote et publié en 1966. Ce livre dont le sous-titre est “Récit véridique d'un meurtre multiple et de ses conséquences” est un roman non-fictionnel appartenant au genre qu’on appelle maintenant le true-crime. Le texte a été publié dans un premier temps en feuilletons dans “The New Yorker” avant de devenir un livre et de connaître un immense succès avec plus de huit millions d'exemplaires vendus. Cela a permis à Capote d’atteindre une immense gloire, à 42 ans, tout en l'entraînant dans une profonde dépression dont il ne sortira jamais vraiment, touché par sa rencontre avec un des protagonistes de cette histoire, Perry Smith, qui finira au bout d’une corde.
Dans ce roman, il entreprend de raconter un fait divers qui a choqué toute l'Amérique, le massacre particulièrement atroce d’une famille entière de 4 personnes, dans une ferme isolée du Kansas. Le roman est découpé en quatres parties distinctes. La première “Les derniers à les avoir vue en vie” raconte le drame, présente le cadre et dresse un portrait des différentes victimes. Nous sommes donc dans le middle-west américain, à Holcomb une petite ville du Kansas, dans laquelle vit la famille d’un fermier, Herb Cutter, un self-made man, pieu, respecté, et iré par tout le monde. Sa femme Bonnie est fragile et douce mais souffre d’une dépression chronique. Ils ont deux enfants adolescents, un garçon Kenyon, très sérieux et bien parti pour suivre les traces de son père et une fille Nancy, la fille parfaite, très jolie, dévouée, qui, tout en réussissant brillamment dans ses études, fait de l’équitation, s’occupe d’oeuvres de charité et gère la maison pour palier aux déficiences de leur mère. Ce sont donc les membres d’une famille presque parfaite, le symbole du rêve américain, qui sont sauvagement assassinés ce 16 novembre 1959, pour un vol au butin dérisoire, par Richard Hiccock et Perry Smith, deux losers, pas gâtés par la vie et à qui rien n’a jamais réussi. La deuxième partie “Personnes inconnues” raconte comment les enquêteurs sont arrivés sur la piste de ces deux tueurs et leur arrestation. La troisième partie ”Réponse” donne, comme son nom l’indique, toutes les explications sur le drame. Enfin la quatrième partie ‘Le coin”, qui est le nom donné au secteur de la prison réservé aux condamnés aux morts, raconte le procès et l'exécution des condamnés.
Capote a été un des premiers à traiter un fait divers réel de cette manière, qui est magistrale. Ce n’est vraiment pas pour rien qu’il a obtenu un tel succès avec ce livre. Tout est quasiment parfait, que ce soit sur le fond ou sur la forme. Il y a d’abord un travail énorme pour rassembler toutes les informations. Pour cela l’auteur s’installe directement à Holcomb un long moment, remplit 8000 pages de notes, recueille, avec l’aide de son amie Harper Lee, le témoignage de toutes les personnes liées de près ou de loin à l’affaire. Il rencontre surtout, à de très nombreuses reprises, les assassins eux-mêmes et il ira jusqu’à assister à leurs exécutions. L’écriture de ce récit est excellente, le tout est particulièrement bien construit, c’est ionnant, rythmé, et cela se lit comme un roman fictionnel. Tout s’articule autour des différents personnages qui constituent cette histoire, les descriptifs sont parfaitement bien établis, ce qui est une des grandes forces de Capote. Sans forcément vivre cela de l'intérieur, on a le sentiment de connaître absolument tout de l'affaire, de tout comprendre de la vie des protagonistes, que ce soient des victimes ou des assassins, ou du rôle de tous ceux qui ont été impliqués de près ou de loin. Capote a fait là un immense travail de journaliste, mis en forme par la plume du grand écrivain qu’il est. En (re)donnant vie à tous ces gens, notamment aux assassin, et sans rien exc, juste en racontant, avec une neutralité parfaite leurs parcours, il leur rend leur part d’humanité et par là nous fait aussi réfléchir sur la peine de mort. Sans jamais ouvrir le débat, juste en dressant un portrait le plus objectif possible de ces deux soi-disant monstres, notamment dans la dernière partie, il nous montre que la peine capitale est juste une horreur de plus dans toute cette affaire.
C’est le livre qui a probablement créé aux Etats-Unis un genre nouveau, ce sont les romans qui relatent des crimes ayant réellement eu lieu. Celui-ci n’est pas seulement l’un des premiers de ce genre, mais aussi très certainement l’un des meilleurs. À lire absolument.
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"Le village de Holcomb est situé sur les hautes plaines à blé de l'ouest du Kansas, une région solitaire que les autres habitants du Kansas appellent "là-bas". A quelques soixante-dix miles à l'est de la frontière du Colorado, la région a une atmophère qui est plutôt Far West que Middle West avec son dur ciel bleu et son air d'une pureté de désert. Le parler local est hérissé d'un accent de la plaine, un nasillement de cow-boy, et nombreux sont les hommes qui portent d'étroits pantalons de pionniers, de grands chapeaux de feutre et des bottes à bouts pointus et à talons hauts. Le pays est plat et la vue étonnamment vaste : des chevaux, des troupeaux de bétail, une masse blanche d'élévateurs à grain, qui se dressent aussi gracieusement que des temples grecs, sont visibles bien avant que le voyageur ne les atteigne."