J'avais un préjugé favorable envers Bégaudeau. Voyez plutôt : football, et pas n'importe lequel, puisque er du FC Nantes. Rock'n'roll, puisqu'il fut chanteur et parolier d'un obscur groupe punk. Et enfin politique, tendance libertaire qui plus est. Bref, trois piliers sur lesquels peut reposer un système de valeurs solide et sain. Néanmoins, je n'avais jamais rien lu de lui, sans doute en raison d'une sorte d'allergie à la littérature française contemporaine. J'avais cependant vu le film "Entre les murs", tiré de son roman : pas mal, même si ça faisait à mon goût un peu trop prof de français. Que ces derniers, s'ils me font l'honneur et le plaisir de me lire, veuillent bien m'exc pour cette appréciation à l'emporte-pièces.
En guerre est une chronique sociétale de la d'aujourd'hui d'une lucidité et d'une cruauté extrêmes. Bégaudeau y décrit avec une clairvoyance, que j'estime remarquable, les différentes strates sociales qui cohabitent dans une ville de province (ou de lointaine banlieue parisienne, ce qui revient un peu au même). Une écriture au scalpel, toute en précision chirurgicale, un vocabulaire chiadé, qui font que quasiment chaque phrase dans ce bouquin sonne juste, ou du moins évoque des images de la vraie vie. C'est remarquable de puissance évocatrice, et évidemment particulièrement violent par moments, en particulier plus on descend vers les classes populaires. Bon, en même temps, ça s'appelle "En guerre", ça ne laisse pas présager une histoire de Oui-oui, hein ! Et, le roman a d'ailleurs un point commun avec le film de même nom, à savoir la fermeture d'une usine, même si ici, il n'est guère question de syndicalisme.
Mais le thème central du bouquin reste l'impossible convergence entre la classe ouvrière (incarnée par Louisa) et la petite bourgeoisie intellectuelle (incarnée par Romain). Deux classes sociales dont d'aucuns prétendent que leur alliance objective permettrait de changer réellement les choses, dans ce pays comme dans d'autres. Et que tout les mouvements révolutionnaires qui auraient abouti procéderaient justement de cette alliance, devenant donc condition objective au renversement des classes dominantes. Et bien, le père Bégaudeau ne nous laisse guère d'espoir, détaillant impitoyablement tout ce qui peut séparer ces deux classes, tant dans la vie quotidienne que dans la façon qu'elles ont d'appréhender leur place dans la société. Et non content de nous asséner cela, il nous démontre (ou essaie de le faire) que deux individus issus chacun d'une de ces classes sociales ne peuvent se rencontrer que par hasard, tant chacune a ses lieux, ses pratiques, ses valeurs, ses loisirs, son travail.
Ben voilà, ça nous parle de la fracture sociale sur laquelle Chirac (voir mon titre) avait construit sa victoire électorale en 1995, il y a plus de 20 ans. On n'est pas tirés d'affaire...