Une belle plume pour quitter un peu « la route des hommes » et partager un moment avec « les qu'on voudrait qu'ils n'existent pas ».
Nathalie Sauvagnac est une femme de théâtre et avec ses deux premiers romans Ô Pulchérie et Les yeux fumés, elle s'est faite une place dans le monde du roman noir.
Elle fait désormais partie de la meute des Louves du polar, le collectif qui entend promouvoir les plumes féminines du polar français.
Et nous au bord du monde est son troisième roman publié en 2022 et sorti récemment en poche.
« C’est une maison bleue adossée à la colline, le reste, c’est des conneries. On y accède en quittant la route des hommes ».
C'est comme une petite ferme, en région parisienne, peut-être vers Orsay, à l'écart de la ville. À moitié abandonnée, délabrée, sans eau ni électricité.
« Face à tout ça, la ville et ses banlieusards, la voie ferrée au loin et la grande nationale. Et nous, là, au bord du monde ».
Quelques éclopés de la vie y ont trouvé refuge, « des bancals, des pas solides ». Trois ou quatre marginaux s'y protègent, à l'abri d'une société trop dure, à l'écart de l'impitoyable machine à broyer ceux qui ne rentrent pas dans les clous.
Il y a là Jean-Mi : « Gaston Lagaffe en vrai. Il n’est pas laid, Jean-Mi, si on gratte un peu. Un peu brouillon ».
Il y a là Louis : « un Chewbacca hirsute, trapu ».
Et puis Nono quand il reviendra avec ses petits sachets.
Ces trois-là, ce sont « les trois ours de l’histoire … ».
Boucle d'or, ce serait Nadine, notre héroïne, la narratrice. Elle est en rupture de la société mais « pas encore prête à dormir dans la rue ». En rupture tout court, on lui devine un é traumatisant, une enfance bien douloureuse.
« [...] Je ne suis pas loin de la vérité si je dis qu’on est heureux. Là, juste là, à ce moment. Pas après, pas plus tard, parce que rien ne dure. Mais à ce moment précis, rien ne m’empêchera de croire qu’on est heureux. »
Mais évidemment, on a « l'intuition qu’un grain de sable va s’insinuer dans le mécanisme fragile ».
Nathalie Sauvagnac c'est d'abord de la belle écriture. Très vite, le bouquin se retrouve hérissé de post-it ou de signets. Sans jamais basculer dans le prétentieux, les petites phrases et les bonnes formules font de cette lecture un véritable plaisir. C'est vif, sec, imagé et le lecteur e sans cesse de la poésie la plus lumineuse à la noirceur la plus sombre. Car c'est tout de même un roman noir, et bien noir.
Et puis il y a l'humanité, l'empathie dont fait preuve cette auteure pour nous faire partager quelques instants avec les losers, les paumés, les qui ont quitté « la route des hommes », les qui préfèrent rester « au bord du monde », les « vilains petits canards », les « mal traduits », bref « les qu'on voudrait qu'ils n'existent pas ». Ceux-là Nathalie Sauvagnac les fait exister, pour nous, et elle arrive, avec ruse et malice, à nous glisser dans leur personnage, dans leur peau.
À tel point, qu'à la fin de ce petit bouquin, le lecteur se trouve bien conformiste et se dit qu'il ferait peut-être bien de tout plaquer et de prendre la route pour aller voir ailleurs.