Je me suis initié récemment au célèbre Isaac Asimov avec son non moins célèbre Fondation. Ce fut une déception, pour deux raisons :
Le style
J'avais lu ici ou là que le style d'Isaac Asimov était « fonctionnel » ; j'irais plus loin en le qualifiant de « non-fictionnel ». Vous qui cherchez à stimuler votre imagination avec quelques descriptions de ce monde futuriste, ez votre chemin : on ne brosse aucun tableau ni aucun portrait dans Fondation. La quasi-totalité du récit est basé sur des dialogues dans lesquels, systématiquement, l'un des interlocuteurs cache son jeu tandis que l'autre se met en colère. L'histoire de ces personnages, leurs fêlures, leurs ions ? Vous n'en saurez pratiquement rien, car ils ne prennent la parole que pour des motifs "professionnels".
En lisant Fondation, j'ai pensé à Dune, de Frank Herbert, paru une quinzaine d'années plus tard. Dans Dune, il y a des dialogues, mais aussi de l'introspection, des paysages, des voyages, de l'action. On aime ou on n'aime pas (je ne suis personnellement pas un irateur absolu), mais l'auteur a pu y développer un style. Dans Fondation, il n'y a rien de tout cela.
Car Fondation, ce n'est pas de la littérature ; c'est "seulement" une idée mise en récit. On sent bien l'influence de la formation scientifique d'Isaac Asimov en ceci que son roman est à peine plus proche de la fiction qu'un dialogue socratique.
La psychohistoire, c'est de la magie
Corollaire du point précédent, on peine à se ionner pour ce monde et ce qui s'y e. Pire : on a parfois du mal à y croire. Prenez la psychohistoire, qui est au fondement du récit : comment cela fonctionne-t-il ? Eh bien, tout ce que vous en verrez, c'est Hari Seldon, son inventeur, sortant sa calculatrice en début de roman, posant quelques opérations et déclarant : « Trantor, la capitale de l'Empire, sera détruite dans trois siècles ». C'est tout. Bien sûr, c'est un procédé commun à la science-fiction que de poser quelques axiomes et d'en tirer les conséquences ; mais on attend de l'auteur qu'il fasse un effort pour nous faire ettre ces axiomes, qu'il les rende crédibles en les détaillant un tant soit peu, quitte à noyer le poisson. Isaac Asimov se contente d'affirmer « la psychohistoire permet de prédire l'avenir à l'aide de calculs statistiques, vous n'avez pas besoin d'en savoir plus », et comme les quelques personnages la maîtrisant disparaissent au bout de quelques pages, il n'y a aucune chance que le sujet soit jamais abordé en détails. Difficile alors de croire en la scientificité de la chose.
Dans le même esprit, un personnage appliquera au cours du récit ce qu'il appelle la "logique symbolique" (en gros, un détecteur de sophismes) pour analyser un traité impérial. Le concept sera-t-il développé, détaillé au lecteur ? Non, le personnage se contentera de dire : « L'analyse révèle que quatre-vingt-dix pour cent de ce document n'a aucune signification ».
« Mais comment ça marche ?
— Ta gueule, c'est scientifique. »
On sourit également en constatant que le futur se manifeste avant tout par l'accolement du qualificatif « atomique » à un certain nombre d'objets de la vie courante : couteau atomique, four atomique, machine à laver atomique (je n'invente rien)... De même, on reste dubitatif devant l'affirmation qu'une civilisation ayant perdu la science de l'énergie atomique soit encore capable de voyager de planètes en planètes et de soumettre qui que ce soit.
Comme je le disais plus haut, Fondation est davantage la mise en récit d'une idée qu'une véritable œuvre littéraire, comme un ouvrage de vulgarisation scientifique qui adopterait les codes de la fiction. La psychohistoire est un prétexte pour voyager dans le temps, les siècles défilent, les personnages ont à peine le temps d'exister : ce qui compte, ce sont les mouvements d'ensemble, les conséquences macroscopiques de leurs manœuvres politiques. En cinq parties pour un total de moins de trois cents pages, plus de 150 ans s'écoulent. Un romancier, un poète, aurait écrit un tome par partie, décrit l'Empire Galactique, ses villes, son istration, ses acteurs, leur vie, leurs doutes et leurs espérances ; en arrière-plan, l'ombre de la Fondation et de la psychohistoire planerait : un travail titanesque très impressionnant pour le lecteur.
Or, Fondation, ce n'est pas cela. C'est qu'Isaac Asimov était certes un scientifique, mais qu'il n'était pas un poète.