Voilà un bon temps que j’ai cessé d’écrire des critiques sur ce site. Manque de temps, manque de motivation, un podcast ciné qui me dispense d’écrire de longues lignes que seuls deux ou trois personnes liront (je te vois Angel hehe). Mais voilà, il y a un artiste sur lequel je n’ai quasiment rien écrit et qui pourtant, rythme une partie de ma vie depuis bientôt cinq ans. Un type pour qui je voue une iration sans faille pour ses textes, ce type, c’est Hubert-Félix Thiefaine.
Cela fait déjà plusieurs mois que j’y songe, mais face à une discographie comme celle du bonhomme, il est difficile de s’arrêter sur un album ou un morceau en particulier.
Thiefaine, c’est dix-huit albums, un peu plus de deux cents chansons et beaucoup de phases diverses et variées. Je classerai les morceaux de Thiefaine en quatre catégories :
- Les textes drôles (La Fille du Coupeur de t, L’Ascenseur de 22h43, Groupie 89 Turbo 6)
- Les textes obscurs ou dont le sujet m’est encore abstrait (Les Dingues et les Paumés, En Remontant le Fleuve, Redescente Climatisée)
- Les textes engagés ou en tout cas, sur des sujets de société qui lui tiennent à cœur (Alligators 427, Karaganda Camp 99)
- Les textes sur lui-même, ses proches et sa propre psyché (Sentiments Numériques Revisités, Septembre Rose, La Ruelle des Morts, Confessions d’un Never Been)
Beaucoup de textes ne rentrent pas dans certaines catégories, je l’ets. Ce que je veux démontrer, c’est que Thiefaine peut être beaucoup de personnes à la fois. Il peut être cynique et véhément (Dernières Balises Avant Mutation, mon album préféré de lui), tendre et plein d’espoir (La Tentation du Bonheur), désabusé et colérique (Le Bonheur de la Tentation, Chroniques Bluesymental).
Ce qu’on peut surtout comprendre chez Thiefaine, c’est cette peur du monde, ce désir fou de s’en éloigner, de se reclure dans les sombres coins malfamés où personne ne viendra l’y embêter. Thiefaine, c’est ce perpétuel regard sur un monde qui va trop vite pour lui, qui l’effraie, qu’il exècre. Et aucun texte n’exprime aussi bien cette pensée que l’Exercice de Simple Provocation avec 33 fois le Mot Coupable. En neuf minutes, on y retrouve toutes les formes de Thiefaine, sa haine de lui-même et de la société, son humour, son dédain et sa fragilité, ses très nombreuses références littéraires, son vocabulaire tellement riche qu’il m’oblige à le lire en ayant un dictionnaire à portée de main.
Et pourtant…
Ce n’est pas de ce morceau dont je veux vous parler.
J’aurai pu parler de celui-ci ou du Chant du Fou dont la mélancolie et l’ambiance lugubre me rend absolument dingue. J’aurai pu parler d’Alligators 427, de l’idée de génie de prendre le diable en narrateur, invitant les inventeurs du nucléaire à son banquet et dont la consonance en « r » me rappelle le râle des millions de morts provoqués par ces hommes. J’aurai pu parler de Sentiments Numériques Revisités, qui est à la fois la chanson d’amour à sa femme la plus pédante et la plus pure qui soit, usant de toutes les figures de style, toutes les métaphores possibles pour au final, résoudre tout cela en disant qu’
« il n’a plus les mots assez durs pour dire qu’il l’aime ».
Non.
Pour moi, le texte qui résonne avec le plus de persistance dans mon esprit, celui avec lequel Thiefaine s’est le plus mis à nu : c’est Petit Matin 4 :10 heure d’été.
En écoutant ce morceau, je l’imagine nu dans son lit, suant du front, incapable de s’endormir et pris d’une crise de panique. Je l’imagine malheureux, tentant tout ce qu’il peut pour se séparer de l’alcool, addiction qui hante chacun de ses textes et qui lui a valu de nombreux mois en cure de désintox et en hôpital psychiatrique. Je l’imagine se levant en silence, évitant de réveiller sa femme, abattu par une nuit chaude qui ne veut pas se terminer. Je l’imagine se poser dans son salon, dépité et convaincu que sa nuit est terminée. Je l’imagine alors er les heures restantes avant l’aube à écrire ces vers. Et alors que le soleil laisse découvrir ses premiers rayons, celui-ci rédiger :
« L’Heure avant l’aube du jour suivant est toujours si cruellement noire. Dans le jardin d’Eden désert les étoiles n’ont plus de discours. Et j’hésite entre un revolver, un speedball ou un whisky sour ».
Petit Matin 4 :10 Heure d’été, c’est cette mélancolie d’un é qu’on a perdu. Une mélancolie qui est un piège misérable car il nous pousse à nous reclure et à s’enfermer dans le é :
« Je rêve tellement d’avoir été, que je vais finir par tomber »
Petit Matin 4 :10 heure d’été, c’est cet aveu d’échec, cette incapacité à ressentir encore des émotions au point de ne plus se sentir humain :
« Mes yeux gris reflètent un hiver qui paralyse les cœurs meurtris […] Je n’ai plus rien à exposer dans la galerie des sentiments »
Petit Matin 4 :10 heure d’été, c’est cette certitude qu’aller de l’avant, c’est une quête perdue d’avance :
« Je fixe un océan pervers peuplé de pieuvres et de murènes. Tandis que mon vaisseau se perd dans les brouillards d’un happy end. Inutile de graver mon nom sur la liste des disparus. J’ai broyé mon propre horizon et retourne à mon inconnu ».
Ce morceau, c’est aussi cette montée progressive des instruments, ce riff de guitare qui surgit au troisième couplet, ces violons qui apparaissent à la fin pour rendre ce refrain plus épique et majestueux. C’est ce genre de morceau tellement riche qu’il m’est difficile de trouver une conclusion satisfaisante qui saura rendre honneur et témoigner tout le bien que j’en pense.
Il y a en Petit Matin 4 :10 heure d’été, tout ce qui me touche chez Thiefaine.
Je pense aujourd’hui que mes deux musiciens français préférés sont Francis Cabrel et Thiefaine, pour des raisons similaires et opposées à la fois. Chez Cabrel, les mots sont simples, purs, ils vont droit au cœur et n’ont pas besoin de plus d’explication. C’est tout l’inverse chez Thiefaine, il a cette capacité folle à partager des sentiments complexes avec des mots très recherchés. A la différence des mots de Cabrel, ceux de Thiefaine tapent en plein cœur une fois qu’on a véritablement compris leur signification. Ça demande de la recherche, de la curiosité voire de l’effort. Ça implique qu’on ne le comprenne pas lors la première écoute, ni durant la deuxième. Mais on pousse, on poursuit l’effort. Et quand on pense avoir compris Thiefaine, c’est un grand moment de musique.
Je ne suis pas sûr et certain d’avoir pleinement compris Petit Matin 4 :10 heure d’été. Je comprends ses textes à ma manière, peut-être me trompe-je, mais c’est ça tout l’intérêt. On a chacun notre façon de comprendre Thiefaine, de capter une part de sa personnalité, et ce qui me donne un tel sentiment de proximité avec lui. Aucun autre chanteur français ne parvient à me donner cette sensation. Que Thiefaine. Alors je ne pense pas que le mot soit galvaudé quand je scande qu’Hubert Felix Thiefaine est un génie.