l'empire qui n'existait pas

les sioux n'existent pas et n'ont jamais existé

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tout le monde sait ça

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"sioux" est un terme fourre-tout adopté par les colons venus d'Europe pour regrouper tout un tas de tribus amérindiennes alliées et apparentées, partageant une culture commune :

Lakotas, Nakotas, Dakotas, Sissetons, Wahpetons, Wahpekutes, Mdewakantons, Yanktons, Yanktonnais, Hunkpapas, Oglalas, Sicangus, Minneconjous, Itazipacolas, Oohenunpas, Sihasapas, Assiniboines, Stoneys...

Evidemment, "sioux" ça va plus vite et c'est plus facile à retenir.

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Ces peuples se désignent eux-mêmes sous le terme:

Očhéthi Šakówiŋ

( prononcez Otchètii Chakowin )

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- non, c'est raté. essayez encore.

- Toujours pas. Réessayez.

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ici quelqu'un va très gentiment vous aider à prononcer correctement- mais avec un arrière-fond de flûte qui n'aide pas, en fait :

https://youtu.be/TGxHjAsiJDs?feature=shared

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Voilà, c'est mieux :)

...mais ce terme ne désigne pas un peuple ou une ethnie, pas même une nation, il désigne la fédération de toutes ces nations.

C'est un terme politique, et même géopolitique - comme "Etats-Unis d'Amérique".

Il signifie "les sept feux", en référence aux sept tribus primordiales mythiques ( qui englobent toutes les autres ) se réunissant en conseil - le Grand Conseil de tout ce que nous appelions et appelons encore aujourd'hui les "sioux".

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L'auteur, Pekka Hämäläinen, a nommé son livre "L'Amérique des Sioux" parce que "L'Amérique des Lakotas, Nakotas, Dakotas, Sissetons, Wahpetons, Wahpekutes, Mdewakantons, Yanktons, Yanktonnais, Hunkpapas, Oglalas, Sicangus, Minneconjous, Itazipacolas, Oohenunpas, Sihasapas, Assiniboines et Stoneys" n'aurait pas tenu sur la couverture, et que "L'Amérique de l'Očhéthi Šakówiŋ" ne vous aurait rien dit du tout.

( et personne n'aurait su le prononcer pour le demander au libraire )

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Voilà pour le titre du livre, ons au contenu.

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C'est le livre le plus magnifique que j'aie lu depuis longtemps.

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Hämäläinen raconte l'Histoire ( oui, je mets un grand H ) de ces nations, du 16ème au 20ème siècle.

Il ne les raconte pas selon le schéma rousseauiste "bons sauvages victimes", il montre qu'il s'agissait d'un peuple puissant qui a constitué un empire et, confronté à l'arrivée des européens qui déstabilisaient le "nouveau monde" avec les outils de fer, les chevaux et les armes ( en échange de quantités phénoménales de fourrures ), s'est constamment adapté agilement et a modifié sa façon de vivre pour faire y face - avec un certain succès tant qu'il s'agissait des européens, mais les choses se sont terriblement dégradées quand ils ont eu affaire aux Etats-Unis fraîchement constitués.


Les deux premiers siècles sont ionnants, totalement inconnus de nous.

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Pour bien s'écarter de l'image "Yakari", il faut déjà imaginer qu'au 16ème siècle les "sioux" ne vivaient pas encore dans les grandes plaines, qu'ils n'avaient pas de chevaux ( ils ont obtenu et utilisé des fusils avant les chevaux ) mais seulement des chiens tireurs de traineaux ( ou de pavois ), aucun métal, et qu'ils n'étaient pas encore un peuple de chasseurs de bisons.

En revanche, ils affrontaient et razziaient souvent les peuples voisins "non-sioux", qui le leur rendaient bien.

Ces raids faisaient partie de leur culture et de leur mécanique de promotion de "jeune" à "adulte". Sans escarmouches pour se distinguer, pas moyen de s'installer, de se marier et de trouver une place dans la société.

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Hämäläinen explique comment, en échangeant fusils et outils de fer contre fourrures ( surtout de castors au début ) avec d'autres peuples que les "sioux", les colons européens ont déstabilisé toute la géopolitique des amérindiens :

certains peuples se trouvaient soudain en possession d'un avantage militaire insurable, ce qui modifiait les territoires de chasse, obligeant des nations entières à partir, repoussant elles-mêmes d'autres nations en un jeu de dominos qui a modifié leurs modes de vie...

...jusqu'à finir par transformer les "sioux" en cavaliers, habitants des grandes plaines, spécialisés dans la chasse aux bisons POUR VENDRE LEURS PEAUX AUX ETATS-UNIENS , vidant des régions entières de ces troupeaux jusqu'à commencer à détruire eux-mêmes l'espèce ( que les "cowboys" finiront ensuite ) et précipitant ainsi la perte de "l'empire sioux" de l'Očhéthi Šakówiŋ.




Mais la fin de l'histoire ( 19eme>20ème siècle ) est tristement connue, ce n'est pas la moitié la plus intéressante du livre, même si Hämäläinen la détaille très précisément en s'efforçant d'adopter autant le point de vue amérindien qu'étatsunien.

Le processus des traités cédant les terres ( pas contre de la verroterie, oubliez ça, les "sioux" étaient tout sauf naïfs et négociaient très durement ) est la partie la plus ionnante de cette seconde moitié.

Il s'est fait lentement, rencontrant une farouche résistance; toujours sous la menace de mort, et les étatsuniens ont constamment violé leurs propres traités.

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La destruction des bisons a été délibérée ( les archives américaines l'attestent ), conçue comme un moyen infaillible de résoudre le "problème indien" :

- dans un premier temps en poussant les amérindiens à les chasser intensivement pour fournir des peaux aux étatsuniens

- puis, quand les "sioux" ont compris ce qui se ait et voulu préserver les troupeaux, le gouvernement des Etats-Unis a organisé la destruction méthodique des bisons selon l'équation toute simple :

fin des bisons = fin des territoires de chasse = fin des tribus

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( le livre se termine par un appareil de notes très détaillé, exposant toutes les sources des faits ou citations utilisées, et Hämäläinen précise quand il n'est pas d'accord avec l'auteur qu'il cite, et pourquoi )

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N'hésitez plus, si vous voulez découvrir les "sioux" comme vous ne les avez jamais vus, plongez dans "l'Amérique des sioux" à la rencontre de Spotted Tail, Sitting Bull, Crazy horse, et de tous ceux dont vous ne connaissiez pas encore les noms : "They fear even his horses" ( "ils ont peur même de ses chevaux" ), Little crow, Red Cloud...

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Vous ne regarderez plus jamais Yakari de la même façon.




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moranc

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