Goliarda Sapienza a grandi hors de l'école, dans une atmosphère anarcho-socialiste plus épanouissante que n'importe quelle institution scolaire. Toute son écriture, où fourmille un monde d'idées libertaires, est la manifestation d'une éducation singulière, dégagée du joug conformiste de l'école. Plus l'on tourne les pages de L'Art de la joie, plus l'on est surpris et emporté par le vent de liberté qu'insufflent Modesta et les êtres à qui elle se lie. Aucun tabou ni aucun préjugé auxquels l'écriture ne se soumette : il est question d'inceste, de féminisme, de sexualité, de psychanalyse, de militantisme politique, de théories de la famille et de l'éducation, et de bien plus encore – la richesse philosophique du livre ne pouvant ainsi être réduite à une liste sectionnée.
Au cours de cette fresque historique et familiale – qui à certains égards évoque les Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez – Modesta vit au rythme de ses désirs et selon l'éthique qu'elle s'est choisie pour elle seule, affrontant avec force et cohérence celles et ceux qui voudraient la faire plier. Et la faire plier à quoi ? A des modèles d'existences qu'elle ne reconnaît pas comme siens et qu'elle refuse jusqu'à la fin. Les nombreuses discussions qu'elle partage avec ses proches sont ionnantes ; elle ne va « rien moins qu'au fond des choses », avec confiance et force psychique, sans complaisance vis-à-vis d'elle-même ni vis-à-vis des siens. Insoumise et en accord avec soi, Modesta domine tous les dialogues, et l'on voudrait à chaque instant être comme elle, se nourrir de sa force pour acquérir l'aplomb dont elle témoigne en toute circonstance.