L'Astragale d'Albertine Sarrazin est un roman que l'on entend souvent célébrer, parfois même vénérer, mais qui, une fois lu, déçoit par sa nature très éloignée des attentes qu’il suscite. C’est un livre qui semble mieux fonctionner comme sujet de conversation que comme véritable œuvre littéraire. Ce n’est pas tant qu’il soit mauvais, mais il échappe aux canons du romanesque traditionnel. En fait, ce n’est pas un roman à proprement parler, mais plutôt un journal, un récit personnel où l’intimité et la sincérité prennent le pas sur l’artifice de la narration. La forme, bien que simple, est le miroir d’une vie brute, souvent désordonnée, presque crue, mais elle réussit à transmettre une émotion immédiate et profonde.L’argument central du livre – une histoire d’évasion, de rébellion, et d’amour sous le prisme de la fuite, de la marginalité, de la douleur – est tout à fait fascinant. Mais l’intérêt du roman réside moins dans l’intrigue que dans la manière dont l’auteure réussit à capter l’essence du réel, de l'expérience humaine vécue, avec une telle puissance. L’histoire, bien qu’intéressante, n’est ni complexe ni particulièrement originale ; cependant, le réalisme qui la traverse fait d’elle une exploration viscérale du vécu. Sarrazin, dans ce texte, ne cherche pas à jouer avec les codes du genre, elle ne s’embarrasse pas de subtilités littéraires : l’émotion brute, la brutalité du langage, et la violence de la réalité sont ses seuls moteurs.L’auteure elle-même semble être plus un témoin qu’une créatrice de fiction. Loin de la construction rigoureuse d’une narration classique, son écriture transpire un quotidien, une vérité crue. C’est peut-être là l’élément qui fait que L’Astragale résonne profondément chez certains lecteurs : cette impression que le texte est un miroir d'une réalité qu'ils connaissent, une forme de catharsis ou de reconnaissance. Mais il est difficile de nier qu’en termes de pure construction littéraire, le roman reste inégal, certains ages traînant en longueur et parfois se noyant dans l'expression du sentiment sans grande finesse.Cela ne remet pas en cause le génie de Sarrazin, mais il est certain que ce texte bénéficie aujourd’hui d’une forme de sur-évaluation. L’auteure, par son expérience personnelle et son écriture sans concession, devient une figure emblématique d’une littérature de la transgression. Toutefois, cette transgression ne réside pas tant dans la profondeur de la narration que dans l’intensité d’une vie mise à nu. Le roman fonctionne davantage comme un cri, un élan de vie qu’un véritable exercice littéraire.En somme, L'Astragale est un roman puissant mais qui échappe à la catégorie classique du roman ; il faut le lire moins comme un produit de la fiction que comme une confession brute, un journal intime posé sur le papier. Et bien que ce soit un chef-d’œuvre dans sa manière de rendre palpable la réalité, il est aussi un ouvrage qui gagne sa notoriété plus par son authenticité et son impact émotionnel que par son exploration littéraire formelle.