Une épidémie de cécité frappe une ville puis tout un pays, plongeant ses habitants dans un mystérieux "mal blanc"... Plus de 300 aveugles vont être placés en quarantaine dans un ancien asile d'aliénés par un gouvernement qui va peu à peu prendre des allures d'Etat totalitaire (meurtres, etc.).
Le style de Saramago nous entraîne comme une vague de fond, nous laissant reprendre notre respiration qu'une fois la dernière page tournée... Ce qui m'a le plus intéressée c'est son style indirect libre, ses longues phrases sans ponctuation qui rendent la lecture fluide, ainsi que la focalisation : le "nous" employé par le narrateur fait sans arrêt douter de son identité, de ce qu'il sait : il s'agirait d'un procès verbal et le narrateur serait à la recherche de témoins. Pourtant à d'autres moments le ton se fait faussement moralisateur, il cherche l'adhésion du lecteur avec des dictons, des remarques omniscientes, des descriptions très genrées (les femmes sont essentiellement décrites comme des objets sexuels), de façon ironique, voire humoristique (les hommes n'ont aucun goût vestimentaire).
Nous suivons donc un groupe de personnages, chacun étant désigné par des attributs physiques (le vieillard au bandeau noir, la jeune fille aux lunettes teintées, le garçonnet louchon, le chien des larmes, etc.) qui n'ont plus aucun sens car tout le monde est aveugle sauf une personne : la femme de l'ophtalmologue (un comble !), qui va guider cette petite troupe et l'aider à survivre, à résister à l'inexorable déshumanisation de ces infirmes, l'arrêt progressif des infrastructures réduisant la ville à un décor post-apocalyptique, une décharge géante envahie d'immondices (pas d'eau ni électricité ni gaz ni nourriture), où règne la loi du plus fort (les scélérats) sur les faibles (les femmes).
J'ai été emportée par ce livre et j'ai aimé le lire en creux, décrypter ce qu'il ne dit pas, mais je n'ai pas encore vu le film, qui me tente bien...