C'est toujours le théâtre populaire qui sauve la situation. Il a pris de nombreuses formes à travers les âges, mais elles ont toutes un seul facteur commun. C'est le théâtre à l'état brut. Le sol, la sueur, le bruit, l'odeur : c'est le théâtre qui n'est pas dans un théâtre, mais sur des charrettes, des roulottes ou des tréteaux, avec un public qui reste debout ou assis autour d'une table, devant un verre, un public qui participe et qui renvoie la balle ; le théâtre d'arrière-salles, de sous-sols, de granges, avec des représentations uniques, un drap déchiré tendu d'un mur à l'autre, un paravent délabré pour dissimuler les changements rapides de costumes. Le théâtre. Ce seul mot recouvre tout ceci - autant que les lustres étincelants.
J’ai bien failli rater Peter Brook : jusqu’à ce printemps, et sa dernière mise en scène (relativement mineure) de la Tempête de Shakespeare, je n’avais vu aucune de ses pièces. Il est pourtant, je le sais depuis longtemps et cet extrait suffit à le prouver, de ma famille de théâtre : une famille qui promeut un théâtre de l’illusion venu de formes classiques, et de Shakespeare en premier lieu, mais qui questionne avec Arnaud et ses successeurs toutes les conventions usées qui ne participent plus à faire du théâtre un rituel collectif mais seulement un espace de reconnaissance morne, ce « théâtre-rasoir » qui constitue le premier argument de L’espace vide, à la fois manuel de théâtre à l’adresse des metteurs en scène et des acteurs et une célébration de ce mystère qui fait d’un espace vide traversé par quelqu’un ce qu’on appelle une scène de théâtre. J’ai pris beaucoup de plaisir à lire doucement ces réflexion en pleine effervescence du festival d’Avignon, cet été : j’ai peu vu Peter Brook, mais il reste au moins ses écrits, qui rappellent à quel point le théâtre est un art de l’instant, sans cesse à recommencer.
Le théâtre est un art autodestructeur. Il est écrit sur le sable. Le théâtre réunit chaque soir des gens différents et il leur parle à travers le comportement des acteurs. Une mise en scène est établie et doit être reproduite - mais, du jour où elle est fixée, quelque chose d'invisible commence à mourir. »