L'homme qui rit, resté pensant longtemps le roman le plus méconnu de ce géant qu'est Hugo. Critiqué, surtout à sa sortie, il est aujourd'hui progressivement réhabilité.
Il faut dire que ce roman condense tous les défauts, qui pour ma part n'en sont pas, de l'auteur.
Premièrement, une érudition complètement folle. La première partie découragera nombre de lecteurs : se déroulant en mer (thème décidément récurrent), elle accumule les termes les plus techniques, parfois inconnus même du dictionnaire, et ce dans plusieurs langues. L'édition que je possède le précise bien : la richesse lexicale de ce livre est totalement exubérante. Qu'est ce que l'arriero, le chouquet, l'olofée, les pasquilles, la souquenille ? Cependant, il ne s'agit là pas de noyer le lecteur, plutôt de le faire se bercer dans un monde, de créer un décor épique, baroque. Cela continue ensuite, avec de très longues pages de digressions sur le système monarchique anglais, des dialogues philosophiques barrées de plusieurs pages, des références historiques complexes...
Je considère cette érudition comme une qualité. Le roman prend le temps de se mettre en place, et tant pis pour ceux qui se perdent en route.
Autre défaut : certains éléments de l'histoire, qui sont franchement un peu "gros". Certains peineront peut-être à y croire tant certains retournements de situation sont incroyables. Le roman a même été taxé de surréaliste, c'est vous dire.
Bien, parlons maitenant de l'histoire. Celle-ci se concentre autour de Gwynplaine, un jeune garçon défiguré par les Comprachicos (des bourreaux qui défigurent les enfants pour en faire des monstres de foire), et condamné à arborer pour toujours le rictus du rire sur son visage. Fuyant l'Angleterre, ils laissent derrière eux Gwynplaine, qui, seul dans la neige, trouvera morte de froid une femme, tenant auprès d'elle un bébé, visiblement encore vivant, mais, il le comprendra plus tard. Vulnérable, terrifié, il frappe à la porte d'une roulotte, où vit un étrange philosophe : Ursus, et son loup, Homo.
Ce qui fait le charme de ce livre, selon moi, c'est le côté tragique de l'histoire de ce Gwynplaine, affligé pour toujours d'une terrible blessure, condamné à porter la joie sur son visage, et vecteur de moqueries incessantes. Et la relation qu'il entretient avec la jeune fille qu'il a sauvé, Déa, aveugle, la seule à même de pouvoir l'aimer. Le roman est truffé de scènes d'une tristesse à vous broyer le cœur et à vous tirer des larmes. C'est en partie grâce aux personnages, extrêmement développés et tous charismatiques. Hugo a dit : "j'ai senti le besoin d'affirmer l'âme". C'est réussi. Le style de l'auteur est toujours aussi flamboyant, grandiloquent, parfois agaçant, mais superbe.
Un indispensable de l'auteur, clairement. C'est avec ce genre de chefs d'œuvres que Victor Hugo démontre clairement qu'il est un géant absolu, un colosse de la littérature française (c'est dit).