L’immeuble Yacoubian, prestigieux bâtiment de type européen construit au cœur du vieux centre du Caire, offre en ses dix étages un concentré de l’Egypte moderne. En bas de l’échelle sociale, Taha, le fils du portier, brillant élève dont le rêve est de devenir policier, finit, d’humiliation en humiliation, par redre la Jamaa Islamiya. A l’autre extrême, le hadj Azzam, richissime entrepreneur issu du peuple, Hatem Rachid, journaliste et homosexuel notoire, et Zaki Dessouki, vieux séducteur aristocrate, tiennent les appartements. Mais la grande majorité des habitants se satisfait d’un espace beaucoup plus réduit : une cinquantaine de cabanes en fer sur la terrasse, qui offrent quelques mètres carrés à chaque famille. La diversité de ces profils sociaux permet à El Aswany de construire une intrigue où les destins s’entrecroisent sans que ses différents fils se rejoignent jamais tout à fait : on obtient ainsi l’image d’un pays labyrinthe, où la première impression, morale, religieuse ou politique, est le plus souvent trompeuse, une profonde corruption ayant progressivement eu raison de tous les liens sociaux. Menacé par l’ombre de deux vautours - le « Grand Homme » (le Président Moubarak) et l’islamisme -, ce monde bigarré et en décomposition sociale cultive en effet un certain désamour. Seul le vieux Zaki bey, nostalgique de l’ère du roi Farouk, regarde encore avec tendresse sa patrie ; et c’est ce regard qui a le dernier mot, car c’est celui d’El Aswany. Son roman, consacré meilleure vente au Moyen Orient, exprime les rêves et les contradictions de toute une nation.