C'est une question essentielle, dans tous les sens du terme. Crab est-il M. Tout-le-monde ? Pour répondre à cette question, je peux déjà vous renvoyer à la réponse de Chevillard lui-même lorsqu'un journaliste lui posa une question similaire : Crab est M. Tout-le-monde, lequel ne peut qu'être un homme exceptionnel, qui rassemble tous les attributs de tout le monde. Et en effet Crab est tout le monde... Il n'est donc personne. Et tout le "roman" fonctionne selon ce schéma : Crab est, et n'est pas - en prenant ou non le verbe absolument. Il est vivant, et il est mort. Il est chez lui, et il est en prison. Crab est l'homme, mais pas l'Homme, pas l'homme élevé au rang d'universel, non ; Crab est chaque individu singulier - car comment nier la singularité de Crab ? - c'est un mollusque (il le dit lui-même), quelque chose de mou, un crabe en fait peut-être.
Crab est donc indéfinissable, mais n'importe quoi peut le définir. Crab n'est pas intemporel mais atemporel, il a un rôle dans l'Histoire mais il ne sait pas quand... puisque le temps ne l'atteint pas. Ou pas trop. Cependant Crab finit par mourir. Ou plutôt, il finit par mourir plus souvent que d'habitude, ce qui mène finalement à une véritable mort (probable)... Et le livre se referme sur des applaudissements qui semblent froids, faux, d'un autre monde. Etait-ce une illusion ? Crab a-t-il jamais existé, en somme ?
Crab vécut avec une logique implacable... Et totalement absurde. Il parla de tout, fut raconté par tous. Ne fit rien mais alla partout. Fit des découvertes magistrales qu'on ne lui reconnut jamais. Bref, Crab reste un mystère - puisqu'au fond, Crab, c'est n'importe qui.
[Commentaire moins "crabesque"
On voit la densité de la dimension philosophique, c'est assez déroutant mais captivant. On peut noter en outre que le livre fonctionne par saynètes, et par groupes de saynètes, souvent thématiques, qui se font écho les unes aux autres parfois - et parfois pas vraiment. Et la mort supposée vraie arrive. Le texte est bien écrit, dense, brillant, inédit. Vraiment, c'est une expérience... que je réitérerai, j'ai l'embarras du choix au vu du nombre de bouquins que Chevillard a écrit...]
Note : à lire absolument, la critique de Jourde dans La Littérature sans estomac, à son sujet.