Déjà remarqué pour ses précédents romans noirs, S.A. Cosby fait encore une fois un tabac avec ce nouveau polar social, campé comme à son habitude sur la gangrène raciste du Sud rural américain.
Tout commence par ce qui finit par paraître presque banal aux Etats-Unis : une fusillade dans une école. Après avoir tiré sur un professeur (blanc), un lycéen (noir) est à son tour abattu par les adts (blancs aussi) du shérif (noir) Titus Crown. L’affaire, simple a priori, s’avère en réalité rapidement délicate. D’abord parce que, premier Noir élu au poste de shérif dans ce d’ordinaire paisible – du moins en apparence – comté de Charon, en Virginie, Titus sait qu’on ne lui pardonnera aucune erreur. Ensuite, parce que cet enseignant qui ait jusqu’ici pour modèle pourrait bien avoir caché de terriblement sinistres et barbares penchants, n’en déplaise à l’opinion publique qui a déjà fait son procès entre peaux blanches et peaux noires.
C’est donc en marchant sur des œufs que Titus, marqué par une vilaine affaire qui a jadis conduit à sa démission du FBI et bien décidé, coûte que coûte, à faire triompher une vraie justice, s’engage dans une enquête réellement nauséabonde. Coincé entre Blancs qui ne le respectent pas et Noirs qui le prennent pour un traître, confronté au racisme systémique des autorités, parviendra-t-il à établir la vérité et, surtout, à la faire ettre à ces concitoyens, quand une étincelle suffirait à transformer en brasier ce Sud rural à ce point hanté par le é qu’il en est encore à se disputer autour de mémoriaux confédérés ? « Fondé dans le sang et l’obscurité, au sens propre comme au figuré », le comté de Charon cache en son coeur « une plaie purulente », une « gangrène [qui a] gagné les pierres pavant son sol et [a] déjà commencé à les disloquer », déplore-t-il, comme l’auteur d’autant plus lucide et critique que tous deux aiment viscéralement cette terre où ils sont nés.
Menée sur un rythme soutenu autour d’un personnage creusé en profondeur, dans toute la complexité de ses tiraillements, la narration tire sa saveur de sa peinture sans concession des réalités d’une petite ville tout à fait représentative du sud profond américain. Adossés aux séquelles d’une Histoire marquée par l’esclavage et par la guerre de Sécession, racisme et discriminations y font feu de tout bois sur fond de misère et de violence, alors que prolifèrent armes, stupéfiants et prédicateurs religieux de tout poil – le comté de Sharon ne compte pas moins de vingt-et-un lieux de culte. L’on y découvre une atmosphère si bien empoisonnée par les rancoeurs bâties autour des fantômes du é, qu’à tout instant un rien pourrait suffire à mettre le feu aux poudres.
S’inspirant de ses discussions avec des policiers afro-Américains pour incarner en profondeur son personnage principal, S.A Cosby use du polar comme d’un miroir de ce Sud qui est le sien et dont il fait ici une ardente critique sociale. Un récit aussi intense que saisissant.
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