Il y a 40 ans que Irving s’est lancé dans la cuisine littéraire. Ses ingrédients sont toujours les mêmes mais il parvient à nous préparer à chaque fois des plats différents. Cette fois on dirait bien qu’il a tout jeté en l’air et attendu que cela retombe en vrac pour nous livrer tel quel son dernier roman.
Ce n’est pas qu’il soit mauvais ( Irving n’écrit pas de mauvais romans) mais n’ayant plus à convaincre ni à séduire, il a choisi de ne pas sortir de sa zone de confort. Alors il se laisse aller à faire ce qu’il fait de mieux : le rococo, le flamboyant, le sexe, l’exubérance, l’humour ET le volubile. Nous n’échapperons pas à ses thèmes de prédilection : la lutte, le ski, le New Hampshire, les hôtels, les femmes de caractère, l’absence du père, les personnages de petite taille, la sexualité etc etc. Il semble que Irving ait voulu faire un genre de best off avec tous les matériaux employés dans ses romans. Nous éviterons par contre les marins, les ours, le cirque et les prostituées viennoises. Tout cela contribue à former un joyeux foutoir où l’on navigue entre les vies réelles et rêvées de son héros Adam et ses livres écrits ou pas et ses scénarii tournés ou pas. (Pour lesquels j’émets une réserve plus nette) La verve de John Irving ne s’est pas évanouie mais dissipée dans l’épaisseur de son ouvrage. La truculence reste de mise mais une impression de déjà vu n’aura pas échappé à ceux qui comme moi ont lu ‘tout’ Irving. Au final, un roman mineur mais on lui pardonnera pour tous ceux dont il nous a régalé avant celui-ci. Ceci étant dit, il convient toutefois de nuancer le propos en constatant qu’il n’a rien perdu de son mordant, particulièrement envers cette Amérique républicaine pudibonde et hypocrite qu’il déteste.
Arrivé à un âge où l’on n’a plus peur de rien ni de personne, il n’hésite pas à balancer du lourd : « …elle ne s’était pas contentée d’entrevoir à quel point les Américains, ce peuple bête à remuer la merde avec un bâton, étaient manipulables » ou
« les Américains sont les vaches sacrées de la politique américaine »
« Les ploucs en casquette MAGA »
« …Si elles sont républicaines (les femmes), c’est qu’on leur a lavé le cerveau… »
Avec une mention particulière pour Ronald Reagan, guère épargné, et son laxisme coupable durant l’épidémie du sida qui conduisit à une stigmatisation de la communauté LGBT+ dont Irving d’un bout à l’autre de l’ouvrage se fait un ardent défenseur.
(On se souviendra avec nostalgie de son premier transgenre Roberta dans Le monde selon Garp )