Après la Horde, la Zone du dehors, et les nouvelles tout aussi géniales d'Aucun souvenir assez solide, en ant par quelques élans musicaux assez sympas (la collaboration avec Rone autour de l'univers de la Horde du contrevent), je ne peux qu'être affligé devant un pavé aussi insipide. Ayant dévoré tous ses travaux précédents, j'ai acheté les Furtifs sans réfléchir. Bien mal m'en a pris.
Dès le résumé, on nous promet "la quête épique d'un père qui cherche sa fille". Aïe. C'est clair que comparé à la Horde, j'aurais dû me douter que l'histoire allait moins m'intéresser. Mais est-ce juste un effet de contraste ? D'être dans l'ombre de la Horde, qui a tout de même remporté le Grand Prix de l'Imaginaire ? Je ne pense pas. Je pense que c'est vraiment, fondamentalement, mauvais.
La technique est la même que pour la Horde et la Zone : une succession de narrateurs internes, de points de vue à la première personne. Sauf que cette fois, la recette est poussée à l'extrême, jusqu'à compromettre la lecture, et à plusieurs niveaux.
Déjà, il ne suffit pas de parler français pour lire ce roman (français). Si vous parlez pas anglais et espagnol également, vous dégagez.
C'est pas moi qui le dis, c'est le livre qui va vous le faire comprendre. Sympa. Honnêtement, même en ayant la chance d'avoir un bon niveau d'anglais et des bases en espagnol, je trébuche à chaque paragraphe de Ner ou d'Aguero, parce que ce n'est pas juste un mélange absurde de languages pour essayer de démarquer les personnages les uns des autres (tellement naïf comme démarche), c'est aussi une avalanche de néologismes qui ne respectent rien. La Horde possède de toute évidence une structure lexicale planifiée, anticipée, travaillée pendant longtemps. Ici, ce n'est pas le cas. On sent clairement que les néologismes, pseudo-anglicismes et termes geek 3.0 clichés et repoussants sont lâchés au gré de la plume sans chercher à offrir au lecteur un contexte ou une définition, c'est juste des mots qui sonnent bien, c'est le degré zéro de l'invention en somme, parfois ils sont juste claqués au détour d'une phrase pour compléter une allitération, c'est carrément de l'anti-poésie ! La poésie, c'est créer une expérience à la fois littéraire et musicale avec des contraintes sévères. Ici, on triche pour retomber sur ses pattes :
- Regardez, c'est une allitération !
- Oui, mais ça veut dire quoi ?
- Euh ...
Parce que oui, c'est tellement un déluge inextricable d'excentricités (angli-espagnolicismes, néologismes, ponctuation absurde) que ça en devient inable. Quand les points sont remplacés par des parenthèses, je dois comprendre quoi en tant que lecteur, je marque la pause quand même ? C'est genre plus rapide, moins rapide ? Ou alors je vais juste me faire foutre ? Et je parle de Ner qui barre carrément la moitié de ses lettres, qui met des slashs partout...mais qui a envie de lire ça sans déconner ? Toutes les 30 secondes je suis arraché à l'univers des Furtifs parce que je suis confronté à des règles, à des symboles, à des trucs que je ne connais pas "mais attends, c'est une virgule ça ? Et du coup..." C'est extrêmement pénible.
En fait on dirait que son .word a totalement buggué juste avant la parution et que Damasio ne s'en est pas rendu compte.
J'ai écouté des heures d'interviews pour essayer de comprendre ce qui s'est é. En gros, il considère qu'on expérimente pas assez au niveau de l'aspect visuel de l'écriture, de la ponctuation etc. Mais mon coco, tu t'es pas dit qu'il y avait peut-être une raison ? Que c'est un format extrêmement précis, une convention qui permet au lecteur d'oublier la forme, d'oublier qu'il a un bout de papier entre les mains, pour s'immerger dans univers plein de dragons, de magie ou de...furtifs ? L'aspect visuel, c'est sympa en poésie, parce qu'on a tout son temps pour lire les poèmes en spirale, c'est fun ! Mais là on parle de 700 pages brochées en fait. C'est genre 1400 pages format poche. Bonne chance.
Vous avez remarqué, j'ai même pas encore parlé des furtifs, les bestioles du livre ? C'est parce qu'il n'y a rien à dire. C'est des trucs qui sont rapides, qui peuvent changer de forme, qui seraient liés à la disparition de Tishka...et donc ? Le roman ne fait rien pour rendre ces trucs intéressants, et au bout de 300 pages je vous préviens ça n'évolue absolument pas, je vois toujours pas l'intérêt de ces créatures dans l'histoire, au final c'est juste une métaphore de l'envie d'être invisible, déconnecté face à un monde de plus en plus obsédé par l'information, le contrôle et la représentation, mais ça ne va nulle part. En fait Damasio se contente de peindre un monde cyberpunk comme il y en a déjà pléthore dans la science-fiction, et peine à justifier le lien entre le cyberpunk et les furtifs, entre les furtifs et les personnages...
Le roman est un patchwork, que dis-je un raccommodage d'idées hétéroclites qui vraiment penser à quelqu'un qui vide ses tiroirs avant d'abandonner sa carrière littéraire. Si vous ne l'avez pas lu, c'est dur de vous expliquer, mais en gros, au cours du cheminement des persos principaux, on rencontre des vaudous, des hippies, des amateurs de parkours, des militaires, tout ça rempli de clichés et de caricatures, et sans la moindre continuité, comme si Damasio avait joué à ce fameux jeu d'impro avec les dés...mais sur un roman de 700 pages.