Recueil de textes publiés sur les rézos par la romancière Cécile Coulon dont j'ignorais tout mais qui m'a beaucoup touché. La langue est simple, claire, et va vite à l'essentiel. Les images rares percutent et restent. Les thèmes parlent à une génération trop rarement touchée ou concernée par la poésie contemporaine. Et ça fait vraiment du bien. On aborde la nature un peu, la rupture beaucoup, le quotidien tout le temps, la famille, l'éloignement, les souvenirs et toujours avec douceur et justesse.
Seul bémol : c'est un peu long et donc inégal, tant sur le recueil tout entier que sur les poèmes en eux-mêmes. On aurait pu couper un bon quart du recueil et parfois élaguer les ronces excessives qui débordent sur certains poèmes.
Tant pis, ça vaut quand même largement le coup.
J'en profite pour glisser mon poème préféré qui a bien parlé à l'ado de 19 ans qui dort toujours en moi.
LA SURFACE, POEME POUR CEUX QUI ONT MAL
dans ces moments où tu cesses de tourner avec le monde
quand tu ne comprends pas
que les autres ne puissent pas comprendre
que tu es blessée
que tu es cassée
qu’il y a dans ta tête la voix inable du é
qui répète
« je te l’avais bien dit
je te l’avais bien dit »
dans ces moments où tu ne peux pas
aller plus loin que la porte de ta chambre
où ta colère est une valise pleine impossible à fermer
quand tu sautes sur ton cœur pour qu’il cesse d’aboyer
les autres ne comprennent pas
non
ils ne comprennent pas
que c’est comme être punie après un long voyage
qu’on t’a renvoyée
qu’on t’a humiliée
les autres ne peuvent pas faire autrement
que de te prendre dans leur bras
en murmurant « ça va aller »
l’amour est un naufrage
et la voix du é s’agace
« je te l’avais bien dit
je te l’avais bien dit
tu ne m’as pas écoutée »
ne t’inquiète pas
tu auras longtemps mal
ça peut prendre une semaine
un mois ou une année
jusqu’à ce que le prochain bateau e
ne t’inquiète pas
il faudra du temps
avant que tu puisses enfin
remonter à la surface
dans ces moments où tu te demandes si tu as mérité
cette plaie grande ouverte qui bat comme un tambour
quand tu ne sais plus
si tu te détestes ou non d’y avoir cru
Personne ne devrait s’en vouloir d’avoir cru en l’amour
c’est un enfant farceur, c’est un mauvais joueur
qui est parti avec les meilleures cartes
et la voix du é
dans ton corps tout entier
Brisé de larmes et de fatigue
qui répète
« je te l’avais bien dit
je te l’avais bien dit
tu ne m’as pas écoutée »
ne t’inquiète pas
Il faut que tu apprennes à vivre de nouveau
à retrouver ta place
ta tristesse est un enclos
ouvert
Il faudra du temps
mais un jour
tu sauras comment
remonter à la surface.
Il n’y a pas de justice en amour
il n’y a pas de victime, de coupable
seulement des corps tendus, des promesses murmurées
des ronds de sueur sur vos deux oreillers
il n’y a pas de route nationale qui permette de contourner
les pires moments
il n’y a pas de bourreau, de responsable
il n’y a pas de ion plus respectable
que celle d’aimer
tu voudrais croire que ça ne recommencera pas
que tu as vécu assez
il n’y a pas d’expérience en amour
seulement des tremblements soudains
et des sourires navrés
et des valises fermées
ton cœur n’a pas manqué d’audace
il n’y a pas de chants sacrés
seulement le souvenir des bouches qui s’embrassent
il ne faudra pas les oublier
la vie ne se tait pas
il faudra l’écouter
si tu veux remonter
bientôt
à la surface.